Un patron... pas comme les autres. Portrait de Guy Vallancien

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Le Pr Guy Vallancien, ex-chef du département d’urologie de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM) dans le sud de Paris, nous accueille, souriant, À la tête de son fief de l'École européenne de chirurgie (EEC), rue des Saints-Pères, au dernier étage de la fac Paris V-Descartes.

Un patron... pas comme les autres. Portrait de Guy Vallancien

Chirurgien, patron, scientifique, directeur et même politique sans être politicien, Guy Vallancien semble être sur tous les fronts. Une diversité qui lui réussit et fait de lui un homme hors du commun dans le paysage médical. Entretien d’un patron… pas comme les autres, qui partage avec nous sa vision de la santé.

 

WUD Vos travaux de recherche ont largement balayé l’urologie, mais ce qui pique le plus la curiosité, c’est la publication d’un papier sur la prostatectomie radicale par voie Laparoscopique (PRL) en 1998[1]. Une première mondiale, française, qui aura bouleversé les pratiques. On peut dire qu’il y a un avant et un après PRL. Les Français qui ont une renommée internationale en médecine se comptent sur les doigts de la main, ça n’est pas banal ! Comment vous est venue cette idée de technique opératoire ?

GV Nous avons commencé à y penser 2 ans avant de démarrer. La chirurgie ouverte de la prostate restait extrêmement lourde et nous nous demandions comment faire bénéficier nos patients des avantages de la cœlioscopie. Un jour, nous sommes tombés sur une publication américaine concluant qu’il était impossible d’y parvenir.

Mais, les saignements se comptaient en litres et le temps opératoire en dizaines d’heures… Le « nightmare » ! C’est ça qui a excité la fibre franchouillarde que nous avons tous dans le cœur.

WUD Et la mayonnaise a pris…

GV Oui, nous avons débuté en novembre 1997 et… ça s’est tout de suite bien passé. Pour avoir un solide papier, nous avons attendu 60 cas avant de publier. 3 ans plus tard, nous réalisions 2 prostatectomies « live » au cours d’un congrès à l’IMM devant 220 chirurgiens du monde entier. Le lendemain nos patients opérés venaient à pied discuter dans l’amphithéâtre avec des chirurgiens littéralement sciés.

À l’époque, la chirurgie ouverte nécessitait une dizaine de jours d’hospitalisation ; le bénéfice pour les patients était donc évident.

WUD Vous avez même enseigné cette technique aux États-Unis…

GV Ah, ça… Les Américains étaient un peu vexés de voir que des Frenchies avaient réalisé ce qu’ils n’étaient jamais parvenus à faire jusqu'alors, mais ils ont été beaux joueurs. Dès lors, nous nous y sommes longtemps rendus pour donner des cours aux chirurgiens avec le fameux visa « O-1 » ; celui des artistes et des sportifs !

WUD Comment invente-t-on une technique chirurgicale ?

GV On y réfléchit des heures… la nuit en dormant notamment. Il faut que l’intervention soit écrite et pratiquement programmée pas à pas. En cours d’intervention, on s’aperçoit que ça ne se passe pas toujours exactement comme prévu et au fur et à mesure des opérations on améliore la technique. Naviguer par force 2 sans courant, tout le monde sait le faire, mais affronter et savoir gérer des complications par force 10, c’est à ça que l’on reconnaît une équipe expérimentée.

WUD C’est en urologie que la robotique a pris son envol et vous y avez aussi participé ?

GV Ah oui ! La robotique offre une vision 3D et une amélioration de la gestuelle. Elle permet aussi des simulations remarquables et la courbe d’apprentissage est très rapide. Tout chirurgien qui met sa main dans le robot comprend immédiatement où est son intérêt.

On nous dit que nous n’avons pas validé d’étude randomisée robot contre cœlioscopie et chirurgie ouverte. C’est du baratin car c’est impossible à faire, et ce ne serait qu’une perte de temps.

En chirurgie, quand un progrès évident arrive, on passe à l’étape suivante ! Vous connaissez le syndrome du Horse Act ?

En 1830, le parlement anglais a voté une loi obligeant les premières locomotives à toujours avoir un cheval devant eux, pour protéger le lobby des diligences qui ne voulait pas que le train aille plus vite que les chevaux… Les « anti » trouveront toujours le moyen de descendre les modernes.

WUD Vous avez dirigé un service de chirurgie dont l’organisation est particulière… Médecins et chirurgiens se partagent les patients. Expliquez-nous.

GV Je tenais à ce que médecins et chirurgiens travaillent ensemble dans le même service, qu’ils se partagent les tâches et notamment les suites opératoires, chacun ayant ses fonctions. C’est d’ailleurs probablement cette complémentarité qui a permis d’avoir peu de complications postopératoires aux débuts de la cœlioscopie.

WUD Cela rejoint une autre idée à laquelle vous tenez : l'importance du travail en équipe. Dans votre unité, la renommée vient plus du service que du chirurgien. Pas banal dans un monde très égocentré, non ?

GV Un service ne peut pas être connu sur la seule tête de son chef ou d’un opérateur ! Cette vision est archaïque. La boîte doit être prédominante, même si c’est le patron qui la dirige. Chacun dans le service est un membre actif, à part entière, capable de communiquer, d’exporter les techniques et de pousser en avant les évolutions thérapeutiques.

C’est le premier pas de l’artisanat vers l’entreprise.

WUD Justement, parlons-en de « l’hôpital entreprise », c’est un thème qui vous est cher… et qui vous a peut-être coûté cher ?

GV En effet, c’est un terme qui a assez mauvaise presse. Peut-être parce qu’il est mal compris ? Pour ses détracteurs, l‘hôpital devrait ne pas être lié à l’argent.

Mais ont-ils oublié dans quel monde nous vivons ? Un hôpital a des charges, des coûts de fonctionnement et des recettes pour équilibrer son budget, comme toute entreprise… et il n’est pas possible d’échapper à ces données économiques !

Soyons réalistes, comme le disait Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

L’expression « hôpital entreprise » est à considérer avant tout comme un modèle d’organisation et de réorganisation des process médicaux, contemporain d’une époque de maîtrise économique.

Se donner dans un désordre indescriptible et constater que les résultats ne sont pas à la hauteur de ses espérances, c’est ça qui est décevant.

WUD Cette expression ne sous-tend-elle pas l’idée de profit ou de lucrativité ?

GV Si, bien sûr. Grâce à ses améliorations, l’hôpital peut faire des bénéfices à réinvestir dans le personnel, le matériel, les locaux… et alors ? Qui cela gêne-t-il ? Les soignants ?

La rentabilité n’est pas un « mauvais » mot et devrait être, au contraire, un élément moteur des hôpitaux pour qu’ils soient au minimum à l’équilibre. Et on y vient d’ailleurs, qu’on apprécie ou pas le terme, c’est l’évolution économique des choses.

WUD Vous êtes également un adepte de l’hyperspécialisation. Vous ne faisiez presque que de la cancérologie…

GV On ne connaît bien que ce que l’on fait beaucoup et que l’on répète souvent. En réduisant la variété des actes pratiqués, non seulement on devient meilleur mais on augmente aussi le recrutement et on devient capable de sortir des séries comparables à celles des Américains et d’entrer dans la bataille mondiale de la publication.

C’est la raison pour laquelle il faut rassembler les services. Pourquoi avoir 8 services morcelés d’urologie à l’APHP ? C’est tellement dommage de s’éparpiller.

WUD Le secteur 2, vous n’y avez jamais goûté ?

GV Le salariat de Montsouris m’offrait une rémunération suffisante pour ne pas avoir besoin d’y recourir. Mais le terme de « dépassement d’honoraires » est terrible. Comme si on devenait hors-la-loi en franchissant la ligne jaune, alors qu’en réalité, c’est le remboursement qui n’est pas à la hauteur. Vaste débat…

WUD Vous n’avez jamais été élu. Le suffrage ne vous intéresse pas ?

GV Je me vois plus en passeur d’idées qu’en élu. Pour faire de la politique, il faut mettre de l’eau dans son vin, et ça… ça, je n’y suis pas prêt !

WUD D’où Cham’ (Convention On Health Analysis and Management), le congrès que vous organisez annuellement que l’on surnomme « le Davos de la santé » ?

GV Oui, en effet, mon engagement politique, c’est Cham’. Un congrès sur l’organisation des systèmes de santé. On y retrouve tout ce qui existe en la matière : les institutions publiques et privées, les directions d’hôpitaux et de cliniques, les politiques… des étrangers viennent également apporter leur expérience. Tout ceci forme un brassage, un échange d’idées passionnant.

Cette année, le thème sera : « L’innovation en santé, pourquoi toutes ces peurs ? », il y a tellement à dire !

WUD Votre moteur dans votre vie de médecin, c’était… ?

GV Sans hésitation : la consultation. Le rapport humain avec le patient qui vient pour la première fois, c’est ça la médecine ! Toute la technologie, on peut la confier à des intermédiaires.

Mais la vraie médecine, c’est le relationnel, j’en suis convaincu.

 

Curriculum Vitae

1er janvier 1946 Naissance à Boulogne-Billancourt

1972 Interne des hôpitaux de Paris

1979 à 1982 Chef de clinique à la Pitié-Salpêtrière

1992 Professeur des universités

1996 Chef de département d’urologie à l’IMM

1998 Réalisation d'une première mondiale : prostatectomie radicale laparoscopique

2001 Fondation de l’École européenne de chirurgie

2002-2003 Chargé de mission auprès du ministre de la Santé Jean- François Mattei

2006 Fondation du Cercle Santé Société

2004-2009 Auteur de divers rapports pour Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot.

2009 Fondation de Cham’

Distinctions Principales :

2010 Officier de la Légion d’Honneur

2007 Membre de l’Académie nationale de chirurgie

2006 Officier de l’Ordre national du mérite

2003 Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

Source:

1. Guillonneau B, Cathelineau, X, Barret, E, Rozet, F, Vallancien, G. Radical laparoscopic prostatectomy: Early results in 28 Cases. Presse Medicale Volume 27, Issue 31, 17 October 1998, Pages 1570-1574

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