Dr Fanny Larcher : « Urgentiste, chirurgienne, psy et même dentiste… Pour ma mission en Antarctique, j’ai été formée à un peu toutes les spécialités »

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Fanny Larcher, urgentiste rennaise, est partie plus d’un an exercer sur Concordia, base scientifique franco-italienne en Antarctique. Seule médecin de la base pendant les 9 mois d’hiver, elle a appris à gérer toutes les pathologies possibles sans aucune possibilité de renfort. Rencontre.

Dr Fanny Larcher : « Urgentiste, chirurgienne, psy et même dentiste… Pour ma mission en Antarctique, j’ai été formée à un peu toutes les spécialités »

© Fanny Larcher

 

What’s up Doc : Comment l’envie de partir en mission en Antarctique est arrivée ?

Fanny Larcher : Je suis née, j’ai grandi et j’ai fait mes études de médecine à Rennes. J’ai toujours eu envie de devenir urgentiste. J’ai d’abord fait un DES de médecine générale puis un DESC de médecine d’urgence.

Et, pendant ce DESC, j’ai eu un professeur qui nous apprenait à gérer des urgences aortiques en dehors de l’hôpital. Il a ajouté : « Il y a peu de chances que vous ayez à utiliser ces techniques sauf dans un lieu très isolé. » Nous l’avons questionné et il nous a finalement parlé de son expérience sur les îles Kerguelen dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

C’est là que l’idée a commencé à germer. Je voulais absolument réaliser une mission de ce type un jour.

 

« On nous apprend les bases dans des domaines très variés, parce qu’une fois en mission, on est seul. Personne ne pourra venir nous aider à sauver quelqu’un. »

 

À quel moment cette envie de partir s’est concrétisée ?

F.L : Lorsque j’étais interne, ce n’était pas le moment. Trop jeune, trop peu expérimentée, et d’un point de vue plus personnel j’étais en couple. Ce n’est pas une décision facile de partir plusieurs mois à des milliers de kilomètres de son partenaire. 

Puis, nous nous sommes séparés. C’était le bon moment pour envoyer ma candidature au Dr Paul Laforest, médecin-chef des TAAF. Pour aller en Antarctique, il faut absolument être urgentiste de formation. 

Avant de partir, on passe un test d’aptitude médicale et psychologique. Une fois ce test validé, on est formé pendant 4 mois au sein des hôpitaux d’instruction des armées. On nous apprend les bases dans des domaines très variés, parce qu’une fois en mission, on est seul. Personne ne pourra venir nous aider à sauver quelqu’un. On doit devenir expert en damage control. J’ai même appris à prodiguer des soins dentaires.

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Par ailleurs, nous avons aussi suivi une formation spéciale pour le secourisme « sur glace. » Je suis par exemple capable maintenant de porter une petsonne sur des longues distances en plein milieu de l’Antarctique.

En plus, comme la particularité de la base Concordia est qu’elle est située en altitude.-, on nous enseigne aussi les pathologies de montagne. En bref, c’est très complet !

 

Lieu de consultation sur Concordia

 

Quel était votre rôle sur place ?

F.L : Je suis multifacette sur la base Concordia. Mais, il y a eu deux phases différentes. Quand je suis arrivée, c’était l’été (de novembre à fin janvier), la seule saison, où il est possible de voyager vers Concordia. Durant cette période, il y a pas mal de monde. Des scientifiques s’arrêtent chez nous pour faire leur lessive, recharger leurs batteries, faire le plein de nourriture, etc. Il y a pas mal de petits bobos, rien de grave.

Pendant cette période, il y avait une infirmière avec moi. Elle m’aidait énormément pour réaliser les inventaires, former les équipes à l’hivernage, poser des sondes urinaires, poser des pansements.

Quand l’hiver arrive, c’est là que le vrai travail a commencé pour moi. J’étais complétement seule, et quoi qu’il arrive je dois savoir gérer. Aucun avion ne peut être affrété. Le point positif c’est que j’ai pu voir tout le monde en amont de l’hiver qui dure 9 mois. Les pathologies les plus courantes sur Concordia sont le manque d’oxygène, la dépression, les carences. Cela est dû aux conditions extrêmes. Nous avons les mêmes contraintes que sur Mars par exemple. C’est pourquoi il n’y’a à chaque fois, qu’un médecin de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) durant l’hiver. Pendant ma mission, c’était Jessica Studer qui a été envoyée par l’ESA. Elle m’a beaucoup aidée ! Ce qui est super c’est qu’elle pouvait m’examiner également.

Finalement, l’hiver c’est très bien passé. L’essentiel pour moi c’est que je n’ai eu à opérer personne au niveau du ventre. C’était ma hantise. J’ai fait beaucoup de dentaire par contre. Et puis, nous vivons 24h/24 ensemble. Je pouvais repérer très vite quand quelqu’un n’allait pas bien, ainsi les choses n’avaient pas le temps de se compliquer.

Mon rôle en tant que médecin, c’était aussi de prendre soin du moral des troupes. C’est difficile d’être enfermé pendant plusieurs mois. J’organisais des soirées à thème, des sessions de sport, des « journées spa ». Cela nous permettait de se vider la tête.

 

« C’était hors du temps. Les couleurs du paysage, je ne les oublierai jamais. »

 

Finalement, quel a été votre meilleur souvenir ?

F.L : C’était un soir où je suivais une conférence de médecine à distance. Il y avait pas mal de perturbations sur la connexion internet. Et quand internet saute, c’est souvent parce qu’il y a des aurores boréales. Je suis partie chercher la médecin de l’ESA, l’astronome et le météorologue. Nous sommes sortis et le ciel était incroyable.

Je ne pouvais pas décoller mes yeux du ciel. Je devais cligner des yeux très souvent pour éviter qu’ils ne gèlent. C’était hors du temps. Les couleurs du paysage, je ne les oublierai jamais. Il arrivait que lorsque le soleil se couche, la neige devienne violette à cause des reflets. C’est quelque chose que je ne reverrai jamais dans ma vie.

 

Paysage autour de Concordia

 

Vous ne pensez pas retourner en Antarctique ?

F.L : J’aimerais beaucoup, mais pas aussi longtemps. Maintenant que j’ai vécu cette expérience incroyable et que j’ai été formée pour, j’ai envie d’en faire bénéficier d’autres personnes. Quand je suis rentrée, je me suis réengagée au CHU de Rennes (urgences et SAMU) mais en 60%. Comme ça, si je veux repartir un jour, je peux faire un 100% pendant plusieurs mois puis me consacrer entièrement à ma mission ensuite.

C’est une expérience humaine tellement forte. Elle m’a changée en tant que personne mais aussi en tant que médecin. On comprend ce qui est vraiment important et ce qui ne l’est pas. 

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À l’hôpital, on convoite des postes qui nous apporteront argent, gloire et respect de nos pairs, mais on s’oublie. Je ne veux jamais m’oublier. C’est une des raisons qui m’ont poussée à ne pas reprendre mon travail à temps plein. Je gagne moins d’argent, mais j’ai le temps de vivre.

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