Ukraine : « Les médecins doivent être formés à tous types de blessures, y compris celles causées par des armes chimiques »

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Le Pr Raphaël Pitti, spécialiste de médecine de guerre, est sur le pont pour former des médecins Ukrainiens au « damage control ». Fort de son expérience en Syrie, il attend le feu vert des autorités ukrainiennes. Il y a urgence alors que les hôpitaux civils sont débordés par l’afflux de victimes et que l’armée russe est prête à faire usage de tout l’arsenal à sa disposition, y compris des armes chimiques pourtant interdites.

Ukraine : « Les médecins doivent être formés à tous types de blessures, y compris celles causées par des armes chimiques »

What’s up Doc : Pourquoi une formation à la médecine de guerre est-elle indispensable en Ukraine ?

 
Pr Raphaël Pitti : Pour bien comprendre, on peut se référer à ce qu’il s’est passé au Bataclan en 2015 : lorsque les hôpitaux parisiens ont reçu les victimes des attentats, ils ne savaient pas du tout s’organiser. Les chirurgiens ne connaissaient pas le « damage control », la chirurgie de guerre. Aujourd’hui, dans tous nos hôpitaux, il y a un médecin référent capable de coordonner la prise en charge de ces victimes. Il en a été de même en Syrie, où je suis responsable depuis 10 ans de la formation à la médecine de guerre pour l’UOSSM (Union des organisations de secours et soins médicaux)-revoir sa Consult de 2018
La guerre là-bas impactait les populations et les hôpitaux civils. Comme en Ukraine aujourd’hui. Sur place il y a deux types de prise en charge : militaire et civile. Les médecins militaires sont préparés à la médecine de l’avant, mais ce n’est pas le cas pour les médecins civils.

Comment allez-vous former des médecins ukrainiens ?

Pr R.P. : Fin mars, nous avons ouvert à Metz, en urgence, un centre de formation à la médecine de guerre avec l’UOSSM, en partenariat avec la Chaîne de l’espoir. Lors de notre dernière mission en Ukraine début avril, nous avons rencontré 11 médecins ukrainiens (anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens). Ils sont volontaires pour être formés à Metz et devenir ensuite eux-mêmes formateurs sur le terrain. Mais nous attendons d’avoir l’autorisation pour les faire venir en France 10 jours en formation. C’est compliqué car il est interdit aux hommes de moins de 60 ans de sortir d’Ukraine. Nous avons déposé un dossier à l’ambassade d’Ukraine à Paris mais pour le moment, nous sommes bloqués. Nous lançons aussi un appel pour trouver des médecins urgentistes et anesthésistes franco-ukrainiens ou russophones pour devenir formateurs sur le terrain. Par ailleurs, nous avons commandé le matériel nécessaire, à savoir des mannequins pédagogiques sur lesquels on peut simuler beaucoup de blessures et pathologies, mais la fabrication est à flux tendu.
 

Quels types de blessures doivent prendre en charge les soignants en Ukraine ? 

Pr R.P. : Ce sont essentiellement les 3B : blessés, brûlés, blastés. Les blessés ont des polytraumatismes de guerre liés à des éclats de balles qui détruisent le revêtement cutané et les os en créant un cône de fragmentation. Ces plaies sont très complexes à prendre en charge. Certaines victimes sont éviscérées, amputées, ont des lésions vasculaires très importantes. D’autres ont été écrasées sous les décombres et présentent un « crush syndrome ». Sans parler des psycho-traumatismes. Le couple réanimateur-chirurgien joue un rôle fondamental pour sauver le plus grand nombre de victimes. Les médecins sur place doivent apprendre à trier les victimes et à stabiliser les plus graves dès la 1ère heure pour éviter qu’elles ne meurent d’hémorragie. Tout ceci en situation dégradée, avec un flot de blessés ininterrompu et de moins en moins de moyens.  
 

L’armée russe a-t-elle déjà utilisé des armes chimiques sur le sol ukrainien, à votre connaissance ?

Pr R.P. : Cela a été le cas en Syrie, où la population a été martyrisée. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’armée russe ne recommence pas. Les Ukrainiens ont déjà déclaré avoir subi des attaques au phosphore néanmoins, pour le moment, nous n’avons pas vu de victimes avec des lésions typiques du phosphore (ndlr : brûlures cutanées et des voies respiratoires). Cette arme n’est pas interdite pour les manœuvres militaires mais son usage contre les populations, lui, est interdit. Il est vraisemblable que des armes chimiques ont déjà été utilisées en Ukraine, comme elles l’ont été en Syrie, pour déloger les civils de leurs cachettes dans des caves, des souterrains, etc… C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui à Marioupol, où les résistants ukrainiens sont cachés dans un quartier industriel et où l’armée russe essaie de les faire sortir au moyen de gaz toxiques. Le pire, c’est que les Russes feront disparaître les preuves, car ils sont maîtres du terrain : ils vont utiliser le chimique pour aller très vite, Marioupol va tomber dans les jours à venir, puis tous les cadavres seront mis dans des fosses communes, recouverts de chaux sodée, et on ne verra plus rien.
 

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