Arsène Sabanieev : «Quand mon banquier m’a vu dans le journal, il m’a appelé pour me prévenir que l’assurance de mon crédit ne couvrait pas la médecine en zone de guerre»

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Arsène Sabanieev, est cet anesthésiste lillois, franco-ukrainien, qui en voyant son pays d’origine ravagé par les bombes a décidé, seul, de sa propre initiative, de collecter du matériel et partir soigner les blessés en Ukraine. On lui téléphone…

Arsène Sabanieev : «Quand mon banquier m’a vu dans le journal, il m’a appelé pour me prévenir que l’assurance de mon crédit ne couvrait pas la médecine en zone de guerre»

What’s up Doc : On vous a laissé vous étiez sur le point de partir en Ukraine pour aller soigner, d’où nous parlez-vous aujourd’hui ?

Arsène Sabanieev : Je suis revenu à Lille. J’étais parti avec une connaissance, lui est français, nous sommes restés une dizaine de jours sur place. Et là je prépare un deuxième voyage. J’ai toute ma famille à Kiev, donc je ne suis pas un Français qui va là-bas et qui découvre le pays. J’y vais régulièrement, j’y étais encore au début de la guerre. C’est plus simple pour moi. Nous sommes donc allés à Kiev pour déposer du matériel médical à l’hôpital militaire de Kiev. J’ai rencontré mes confrères anesthésistes.

 

Comment fonctionnait l’hôpital à Kiev ?

A. S. : En fait les hôpitaux c’est un peu comme pendant le Covid. Ils ont déprogrammé tout ce qui n’est pas urgent, pour ne faire que de la médecine d’Urgences.

 

Et en termes de matériel, de médicaments ont-ils des besoins urgents ?

A. S. : C’est compliqué parce qu’ils ont certains matériels en trop. Le problème c’est que l’aide humanitaire est un peu n’importe comment. Les gens donnent un peu tout ce qu’ils ont, sans que ce ne soit corrélé à ce qu’il faut. Par exemple ils ont besoin de fixateur externe en grande quantité, de drogue anesthésiante, de bistouri électrique… pas vraiment de compresses, de couches. Nous quand on est arrivé à l’hôpital militaire on s’est limite fait engueuler par le médecin chef. Il s’est dit encore un convoi. Ils débordaient de matériels pas très utiles. Après quand il a vu que j’avais un respirateur portable, des aspirations portables, des civières, des drogues anesthésiantes, des antibiotiques, il était content.

 

Qui a financé le matériel que vous avez apporté ?

A. S. : Au tout début, des gens qui donnaient du matériel d’hôpital, tout ce qui est matériel de plan blanc, tout ce qui est périmé, ce qu’on a en trop qu’on n’utilise pas, des petits dons d’hôpitaux. Et j’ai acheté des kits de premiers secours pour 3 000€. Donc le seul financement c’était moi-même.

 

Et depuis que vous avez parlé dans les journaux, y a-t-il plus de dons, des médecins volontaires pour vous accompagner ?

A. S. : Les candidatures, il y en a eu à foison. Mais 99% des gens ne savent pas dans quoi ils s’engagent. Ceux à qui j’ai répondu, quand je leur ai expliqué par A plus B en quoi ça consistait, ils m’ont dit : Ah non ! Parce qu’il faut savoir que les gens qui pensent partir là-bas avec une organisation humanitaire, faire des missions, signer un contrat… Ce n’est pas ça du tout. Il n’y a aucun organisme humanitaire en Ukraine, il n’y a pas MSF, il n’y a pas la Croix Rouge, il n’y a rien du tout. C’est une démarche personnelle et individuelle. Même mon banquier m’a appelé, quand il m’a vu dans le journal, pour me dire : « Désolé, c’est très bien ce que vous faites, mais s’il vous arrive quelque chose sachez que l’assurance de votre crédit ne prend pas en charge les zones de guerre, donc s’il vous arrive quoi que ce soit c’est pour votre pomme. » Ceux qui veulent y aller, doivent comprendre : L’Ukraine c’est vraiment une zone de guerre de très haute intensité comme il n’y en a pas eu depuis la seconde guerre mondiale. Il y a de l’artillerie de l’aviation, des missiles balistiques…

 

Vous avez pu soigner sur place ?

A. S. : Je pensais naïvement pouvoir faire du soin, qu’il y aurait des besoins. Mais là où j’étais à Kiev, il n’y avait pas de besoin. Mais de toutes les façons j’ai compris une chose, la logistique, l’arrière, c’est quasiment tout le travail. Il faut trouver le matériel, avoir les contacts, il faut pouvoir l’acheminer, donc trouver les personnes qui l’accompagnent, trouver le véhicule, par quel endroit passer, il faut passer avec des convois, il y a des check points, des contrôles, il faut pouvoir s’arrêter dormir la nuit dans des lieux sécurisés, remettre le matériel à la bonne personne, c’est vraiment une organisation. L’humanitaire c’est quelque chose que je découvre, mais ça ne s’improvise pas. Et quand je suis parti de Kiev, le lendemain, ils ont vraiment commencé à bombarder la ville. Jusqu’ici ils m’avaient dit qu’ils s’en sortaient et j’ai reçu aujourd’hui un appel, disant qu’ils ouvraient un centre d’accueil des blessés à Kiev, et qu’ils avaient besoin de bras. Donc je vais pouvoir être utile là-bas.

 

Et concrètement avec votre poste à l’institut catholique de Lille ça se passe comment ?

A. S. : Ils me soutiennent beaucoup, du soutien moral c’est important. Et puis nous avons de la chance d’être nombreux dans l’équipe donc l’absence d’une personne ne change pas le fonctionnement de l’hôpital. Pour l’instant, je prends tout en congés, le nombre de jours, mon solde, c’est tellement secondaire, en clair je m’en fiche.

 

Même si le conflit dure, s’enlise, vous comptez y retourner régulièrement ?

A. S. : Mais il ne va pas s’enliser, je vais y retourner jusqu’à la victoire. Ce qui est clair, c’est que si j’étais seul, célibataire, j’irais directement en Ukraine et je signerais un contrat avec l’armée ukrainienne, jusqu’à la victoire. Le problème c’est qu’il y a la vie derrière en France et c’est compliqué.

 

Est-ce que sur place, par moment vous avez eu peur ?

A. S. : L’hôpital où j’étais, était à 3 Km du front, et il y a eu des percées jusqu’à proximité de l’hôpital. Ce qui m’a fait peur, c’est qu’on entendait des tirs d’armes légères, des kalachnikovs. Les militaires qui m’accompagnaient m’ont expliqué, ‘une kalach si tu l’entends, c’est qu’elle est à moins de 3 km.’ Et les Russes ont une stratégie simple, les groupes d’éclaireurs, s’enfoncent dans les terres et s’ils voient des civils, de peur qu’ils ne révèlent leur position, ils les éliminent. Ce sont des crimes de guerre. Oui ça fait peur. Ils ne regardent pas s’il y a une croix de médecin, ou si c’est marqué Presse… Ils tuent. La barbarie pure et simple.

 

Quand repartez-vous ?

A. S. : On m’offre deux ambulances, je les reçois normalement, début de semaine prochaine. Ensuite il faut que je les charge de matériel médical et puis on y va. Le trajet est long il faut compter deux jours.

 

Comment peut-on vous aider ?

A. S. : On a besoin de deux choses : argent et temps. Je travaille avec des associations locales, pour acheter du matériel ciblé. On ne peut pas faire des centaines de kilomètres pour récupérer une boite de compresses. Et il faut des gens, par exemple des chauffeurs routiers nous ont proposé leur aide. Faire le trajet jusqu’en Ukraine ça prend du temps. Donc du temps et de l’argent.

 

Pour soutenir l’action d’Arsène Sabanieev, le Portail de l’Ukraine en France, une association lilloise qu’il connait collecte les dons à sa place.

 

 

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