Suicide : les facteurs de risques liés à la personne

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Sensation de ne pas avoir de place, déni, vie personnelle difficile… Le passage à l’acte est souvent multifactoriel. Et les médecins ne font pas exception.

Suicide : les facteurs de risques liés à la personne

Dans les hôpitaux comme dans les cabinets libéraux, le malaise est palpable. Ici, c’est un généraliste qui s’effondre. Là, un anesthésiste qui ne rouvrira pas les yeux. Ailleurs encore, c’est une interne qui a mis fin à ses jours. Un passage à l’acte souvent multifactoriel. « Il existe deux façons de comprendre et d’évaluer les facteurs de risques personnels », explique Marc Fillatre, psychiatre au CHRU de Tours et président de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS). « La première est de regarder les données scientifiques, de croiser les chiffres des populations dites à risque. Plus discriminées, plus éloignées du soin, victimes de violences sexuelles, etc. La seconde, c’est de regarder l’histoire de chaque individu et d’évaluer les risques à partir du vécu personnel. En croisant les deux, on s’aperçoit très vite que les médecins sont une population à risque ».
 
Parmi les facteurs cités, la non-prise en compte de sa personne, qui peut se traduire par une difficulté à prendre soin de soi. Pour Clément Drubay, 34 ans, médecin généraliste à Albens (Savoie), cette souffrance, il l’a ressentie lors de son internat. Entre la charge de travail, la non-gestion de la douleur, de la mort et le manque de considération de ses supérieurs, il n’arrivait plus à exister, décrit-il. « À ce moment-là, j’ai craqué. On devait encaisser, ne jamais remettre en question l’autorité et être au top pour nos patients. À aucun moment on ne nous a appris à nous occuper de nous, à lever le pied ou juste à dire stop ».

La vie personnelle n’existe plus

À cela s’ajoute une hygiène de vie qui s’équilibre souvent entre le manque de sommeil et les soirées, continue Marc Fillatre. « C’est une période où la vie personnelle n’existe plus ou très peu en dehors du monde médical. Le corps doit tenir à tout prix. » Plus tard, lorsque le médecin arrive en poste, le même schéma se reproduit. « Comme nous avons plus appris à encaisser qu’à prendre soin de nous, on s’interdit de tomber malade », raconte Marine, médecin généraliste du côté de Marseille, qui souhaite rester anonyme. « À titre personnel, je tombe malade systématiquement quand je suis en vacances. Mon corps décompresse. »
 
À cela s’ajoute la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas y arriver. « La construction se fait en groupe dans le milieu médical, ajoute Marc Fillatre. Dès qu’un médecin ne va pas bien, il peut avoir le sentiment de ne plus appartenir à ce groupe, d’être rejeté. Et ce sentiment de désappartenance est l’un des plus importants facteurs de risque individuels. » Dans les faits, cela peut se traduire par la sensation de ne pas avoir d’utilité. Du côté des médecins, beaucoup décrivent avoir l’impression de s’éloigner du rôle de soignant.
 
« Avant, le médecin incarnait le savoir, explique Marine. Aujourd’hui, les généralistes sont toujours au cœur du système de soins mais ils sont déconsidérés ». Peu à peu, certains vont se sentir écrasés par cette angoisse. Par la peur de ne pas y arriver, de faire une erreur, voire de ne pas trouver leur place dans ce groupe socioprofessionnel. Résultat, la survenue d’événement traumatique peut occasionner un passage à l’acte. « Faire médecine, si on n’est pas ok avec soi-même, ce n’est vraiment pas une bonne idée, ajoute Marine. La pratique actuelle ne permet pas le recul nécessaire. »

Apprendre à vivre avec la souffrance

Elle décrit cette vision du médecin qui ne peut souffrir ni être malade. Qui n’est pas vu comme un être humain. Et qui pourtant doit apprendre à vivre avec la souffrance qu’il reçoit. « Quand la charge de travail est très importante, il est nécessaire que l’environnement familial soit safe », admet Sandrine Vialle-Lenoël, psychosociologue intervenante en entreprise sur la question du suicide. De fait, la vie privée peut précipiter un passage à l’acte. « Par exemple, pour les femmes, la période post-accouchement est très à risque, même si l’enfant est désiré », explique-t-elle. À l’angoisse de réussir à trouver une place dans sa vie pour ce nouvel être vivant s’ajoute le stress du quotidien.

Sandrine Vialle-Lenoël, qui décrit le suicide comme « une rupture avec le monde du dialogue », souligne aussi qu’il n’est pas une fatalité. La prévention en amont et la prise en charge permettent d’éviter de très nombreux passages à l’acte. Comme pour Clément Drubay. Au décès de sa soeur, il a la sensation de ne rien pouvoir faire, d’être impuissant. « À cette époque, on a commencé une thérapie familiale avec mes parents. Je pense que cela m’a sauvé. »
 
Aujourd’hui, il s’aménage du temps avec sa famille et continue d’être accompagné par une psychologue.
 

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