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Véritable fléau en France, la surmédication tue encore des milliers de personnes. Et dans l’équation rien ne va, car du côté des dépenses remboursées de médicaments par l’Assurance Maladie, les chiffres font grincer des dents avec un chèque de 25,5 milliards d’euros en 2023. La sobriété médicamenteuse constitue donc un défi de santé publique majeur dont s’empare les pouvoirs publics, les médecins et les patients, qui, heureusement, se mobilisent de plus en plus sur le sujet.
Prescription raisonnée, les lignes bougent
D’après une étude récente* de l’Assurance maladie, les médecins seraient prêts à prescrire moins de lignes de médicaments et adopter à la place, une posture d’écoute et de conseil. Et les patients aussi, se disent prêts à repartir avec des conseils, lorsque c’est possible, plutôt que de courir à la pharmacie.
« Beaucoup de patients peuvent avoir du mal à concevoir qu’une consultation puisse se terminer sans prescription et certains confrères ont du mal à conclure une consultation sans n’avoir rien prescrit. »
Dr Arthur Lefort, médecin du sport
Et ses résultats sont plus que clairs : 57% des patients viennent en consultation en priorité pour obtenir une prescription médicamenteuse et carrément 82% des médecins ressentent cette pression d’une attente de médicaments de la part de leurs patients.
L’étude montre d’ailleurs que cette demande de prescription est plus forte en France que dans les pays voisins.
Malgré ces constats chiffrés, les consciences s’éveillent. Médecins, comme patients, sont unanimes : la consommation de médicaments est trop importante dans le pays. L’espoir est donc permis, ainsi 9 Français sur 10, affirment qu’ils seraient satisfaits de se voir délivrer une explication et un conseil à la place d’un médicament par leur médecin.
Ce n’est pas vraiment le vécu du Dr Arthur Lefort, médecin du sport : « Beaucoup de patients peuvent avoir du mal à concevoir qu’une consultation puisse se terminer sans prescription et certains confrères ont du mal à conclure une consultation sans n’avoir rien prescrit. » Il exerce en cabinet libéral et c’est son quotidien d’expliquer aux patients que la pilule miracle n’existe pas. D’ailleurs 6 médecins sur 10 seulement estiment que leurs patients sont en faveur de la sobriété médicamenteuse. Cela révèle sans doute une crainte disproportionnée du praticien vis-à-vis de la réaction de son patient, s’il ne lui prescrivait « rien ».
« Si personne ne touche jamais aux ordonnances, on peut facilement se retrouver avec des ordonnances de 4 pages. Il faut toujours réévaluer car un traitement qui était nécessaire il y a 10 ans peut ne plus l’être aujourd’hui. »
Dr Cyrielle Rambaud, gériatre
Un constat partagé par le Dr Cyrielle Rambaud, gériatre, qui prend ce sujet très à cœur et « déprescrit » de façon quasi quotidienne : « Cela m’arrive tout le temps. La première chose que je fais quand un patient vient me voir, c’est de reprendre son ordonnance afin de réévaluer l’utilité des molécules prescrites et de vérifier s’il y a des médicaments iatrogènes ou pas, et si possible d’alléger l’ordonnance ».
Sur le terrain, que se passe-t-il ?
Selon l’Assurance Maladie, ce sont plus de 40 boîtes de médicaments prescrites par patient chaque année et près de 10 boîtes par mois à partir de l’âge de 80 ans. Il y a donc matière à agir auprès de la patientèle âgée. Sur le terrain, la prescription prolongée de benzodiazépines dans le cadre de troubles du sommeil, -qui, pourtant, n’ont un effet qu’à court terme-, est très courante. Même combat, pour les antibiotiques, qui, bien qu’en baisse, restent encore trop prescrits en France, qui se situe au 5ème rang des pays européens pour la prescription d’antibiotiques. Pourtant, la résistance aux antibiotiques est une réalité à ne pas ignorer. Idem pour les traitements antihypertenseurs qui en plus d’être iatrogènes, s’avèrent parfois moins efficaces en vieillissant et peuvent entrainer des troubles de l’équilibre et des chutes chez le sujet âgé, selon Cyrielle Rambaud. Et la liste est longue.
« Si personne ne touche jamais aux ordonnances, on peut facilement se retrouver avec des ordonnances de 4 pages. Il faut toujours réévaluer car un traitement qui était nécessaire il y a 10 ans peut ne plus l’être aujourd’hui. Certains traitements ne sont pas ou plus efficaces aussi. Je pense à certains de mes patients qui ont des traitements pour des incontinences urinaires, potentiellement iatrogènes, et qui à l’interrogatoire me disent que les médicaments ne sont pas efficaces. Pourtant, comme ils sont prescrits, ils continuent de les prendre » Explique-t-elle.
Apprendre à « déprescrire » c’est donc important pour éviter la iatrogénie médicamenteuse et essayer de créer une alliance entre le praticien, le patient et les spécialités qui gravitent autour de lui. Il existe des tas d’approches alternatives possibles face à des problèmes d’ordre somatique ou psychologique. Parmi elles, on peut citer l’activité physique adaptée, la réalisation d’un bilan de prévention ou bien encore la consultation d’un psychologue dans certaines situations par exemple. Et pour la gériatre, « Il faut être à l’écoute du patient, notamment lorsqu’on fait des changements sur l’ordonnance. Je propose souvent de faire un point téléphonique à 15 jours pour voir comment l’arrêt des traitements se déroule, répondre à d’éventuelles questions. Ça rassure le patient de savoir qu’il peut revenir me voir s’il en a besoin ».Être disponible et rassurer le patient, même si cela parait trivial, est indispensable pour accompagner le changement d’ordonnance.