Près de 80% des gynécologues italiens refusent de pratiquer l’avortement

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Dans le centre de Rome, des dizaines de jeunes prêtres en soutane dansent sur le rythme joyeux de tambours tandis que des religieuses défilent en récitant des prières sur des mégaphones, suivies par des milliers d'Italiens ordinaires.

Près de 80% des gynécologues italiens refusent de pratiquer l’avortement

Le but de cette manifestation qui s'est tenue en mai ? Réaffirmer la ferme opposition de l'Eglise catholique à l'avortement, légal en Italie depuis 1978 même si dans la pratique de nombreux gynécologues refusent de le pratiquer.

Le personnel de santé peut en effet invoquer l'objection de conscience, avec pour résultat des dizaines d'hôpitaux et cliniques n'offrant aucune possibilité d'y avorter.

Il n'existe pas de liste officielle des établissements qui les pratiquent, et les disparités géographiques sont importantes.

"Par conséquent une personne va à l'hôpital sans savoir si le médecin en face d'elle le fera ou non", explique à l'AFP Eleonora Mizzoni, 32 ans, militante pro-avortement à Pise (Toscane, centre).

Alors que le droit d'avorter vacille aux Etats-Unis un demi-siècle après sa légalisation, l'Italie est la preuve que même quand l'avortement est légal, l'exercice de ce droit peut être rendu extrêmement difficile.

67% des gynécologues de la péninsule sont objecteurs de conscience, selon les derniers chiffres du ministère de la Santé datant de 2019. Ce chiffre monte à 80% dans cinq des vingt régions italiennes.

Martina Patone, une Italienne de 35 ans, a expliqué à l'AFP comment elle avait appelé une dizaine d'hôpitaux il y a huit ans pour organiser son avortement avant qu'une association ne lui vienne en aide.

Elle se souvient aussi avoir dû expliquer à une infirmière le fonctionnement de la pilule abortive et avoir fait la queue à 06H00 du matin pour s'inscrire sur une liste d'attente.

"Je pensais vraiment qu'aller à l'hôpital serait facile, mais pas du tout", déplore-t-elle, jugeant "absurde" que les femmes continuent d'avoir des problèmes pour exercer leur droit d'avorter.

L'exemple le plus extrême est la petite région Molise (sud), où pendant 40 ans un seul gynécologue a pratiqué tous les avortements, reportant deux fois son départ à la retraite faute de remplaçant.

"Nous qui tous les jours accompagnons (des femmes souhaitant avorter) nous savons à quel point il est difficile d'avorter en Italie", souligne Eleonora Mizzoni.

"Je suis objecteur, au revoir"

Il y a cinq ans, son association "Obiezione Respinta" ("Objection refusée") a créé une carte interactive en ligne où des femmes peuvent en alerter d'autres sur les endroits où elles risquent de voir leur demande refusée.

Sur ce site, une femme raconte comment après avoir attendu des heures dans un établissement de Caserte, près de Naples, le gynécologue l'a renvoyée en lui donnant cette explication lapidaire : "Je suis objecteur, au revoir".

Une autre femme de Pistoia en Toscane se souvient d'un gynécologue qui lui a prescrit un médicament pour la fertilité alors qu'elle demandait la pilule du lendemain.

Une Italienne de Foligno en Ombrie (centre) s'est vu refuser un suivi après un avortement alors qu'elle avait des douleurs et de la fièvre. La loi prévoit pourtant que les objecteurs ne peuvent refuser des soins avant ou après un avortement.

Une Sicilienne de 32 ans, Valentina Milluzzo, est même morte de septicémie en 2016 durant son cinquième mois de grossesse après que des médecins eurent refusé d'intervenir quand l'un de ses jumeaux est mort dans son ventre.

L'Italie est un cas particulier en Europe, où la tendance générale au cours des dernières décennies a été plutôt de lever les obstacles à l'avortement, observe Leah Hoctor, directrice pour l'Europe du Center for Reproductive Health.

"Pour y avoir accès, les patients doivent affronter un parcours d'obstacles (...) en raison de ces refus de soins largement répandus et de la totale abdication de l'Etat. C'est inacceptable", dit-elle à l'AFP.

"On ne peut pas contraindre un médecin à tuer"

Le Conseil de l'Europe a condamné deux fois Rome sur ce sujet, sans que cela se traduise par le moindre progrès.

Les objecteurs de conscience invoquent leur foi catholique, alors que l'Eglise est intransigeante sur l'avortement, récemment qualifié de "meurtre" par le pape François.

"On ne peut pas contraindre un médecin à tuer", affirme Lorena, une sexagénaire mère de douze enfants à une manifestation anti-avortement, refusant de donner son nom de famille.

L'Association italienne des gynécologues et obstétriciens, qui n'a pas répondu aux demandes d'interviews de l'AFP, affirme que sa mission consiste à "lutter contre la culture de la mort" et à "promouvoir le respect de la vie humaine dans son intégralité, de la conception jusqu'à la mort naturelle".

Selon nombre de militants pro-avortement, l'objection de conscience est surtout devenue une affaire de convenance personnelle plus qu'une position morale. Michele Mariano, l'unique médecin de Molise pratiquant des avortements, a ainsi expliqué l'an dernier au quotidien La Repubblica que "ceux qui font des avortements ne font pas carrière".

Il est difficile de résister dans un pays à la natalité en berne où la majorité des médecins hospitaliers sont objecteurs, où l'avortement ne fait pas partie de l'enseignement de base des médecins et où l'éducation sexuelle à l'école n'est pas obligatoire.

En outre, certains pharmaciens refusent de délivrer la pilule du lendemain, même si c'est illégal.

La politique joue aussi un rôle, avec des tentatives de limiter l'accès à l'avortement dans certaines régions contrôlées par des partis de droite entretenant des liens étroits avec l'Eglise.

Le Piémont, une riche région du nord-ouest contrôlée par une coalition dominée par l'extrême droite, a annoncé en avril qu'elle donnerait 4 000 euros à cent femmes envisageant d'avorter pour des raisons économiques afin qu'elles reconsidèrent leur décision.

Contrairement aux Etats-Unis, l'abolition du droit à avortement n'est toutefois pas en tête des programmes politiques à droite.

Et les militants pro-avortement, qui souhaiteraient améliorer la législation actuelle, craignent d'ouvrir une boîte de Pandore : "Personne n'ose remettre sur la table la loi sur le droit à l'avortement de peur que la réouverture du dossier n'entraîne une détérioration" des textes en vigueur, résume Mirella Parachini, gynécologue.

Avec AFP

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