Petit cours d'économie à l'usage des médecins

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La théorie économique n’est généralement pas le fort des médecins. Et pourtant, elle leur est indispensable pour comprendre le monde dans lequel ils évoluent. What’s Up Doc a pris un cours de rattrapage avec l’économiste et essayiste Nicolas Bouzou.

Petit cours d'économie à l'usage des médecins


What’s Up Doc
. La culture économique des médecins vous semble-t-elle suffisante ?

Nicolas Bouzou. Bien sûr que non. Si je voulais être méchant, je dirais que le niveau moyen des médecins en économie est à peu près comparable à mon niveau en médecine. Mais je pourrais dire cela de beaucoup de professions : la culture économique en France est de manière générale extrêmement faible.

WUD. Quelles sont les conséquences des lacunes des médecins en la matière ? 

NB. Elles peuvent être importantes, dans la mesure où notre système de santé fait face à une double problématique économique. Tout d’abord, les comptes de l’Assurance maladie sont structurellement déficitaires. Mais l’économie, ce n’est pas uniquement dépenser moins. C’est aussi la question de l’efficience, de la justice et de l’équité : comment dépenser de façon intelligente, productive et juste ? Les médecins envisagent trop souvent les problématiques économiques sous l’angle financier et punitif. Il faudrait les sensibiliser davantage.

WUD. Et bien commençons ! Qu’est-ce qui caractérise le marché médical ?

NB. Tout d’abord, le marché de la santé est en France extrêmement réglementé, à tel point qu’on peut à peine parler de marché : avec la T2A par exemple, on a des prix administrés qui rappellent le système soviétique. La deuxième spécificité, c’est qu’on a dans le secteur de la santé une problématique d’équité qui est plus forte qu’ailleurs. Sur le marché de l’habillement, cela ne choque personne que les gens riches aient des vêtements plus chers que les autres. Mais dans la santé, on considère que tous les Français doivent avoir accès aux mêmes soins. Et c’est très bien !

WUD. Ce n’est sûrement pas tout ce qui fait la particularité du secteur de la santé aux yeux des économistes…

NB. Non. Il y a des spécificités inhérentes à ce marché : on les aurait même s’il était libre. Tout d’abord, l’asymétrie d’information : les médecins savent ce qu’ils « vendent », mais les patients ne savent pas ce qu’ils « achètent ». Cette asymétrie est telle que le médecin peut imposer au patient de revenir le voir régulièrement, par exemple. D’autre part, on note dans le secteur de la santé une présence très importante des assurances. Quand les patients cotisent et que leur achat est remboursé, cela peut entraîner une certaine tendance à la surconsommation.

WUD. Sur ce marché si particulier, comment s’ajustent l’offre, la demande et les prix ?

NB. Sur un marché libre, le prix est là pour équilibrer l’offre et la demande, et éviter le rationnement. Mais dans la santé, les prix sont fixés de l’extérieur. Dans certains cas comme celui de la consultation de médecine générale en secteur 1, ils le sont à un niveau extrêmement bas. Cela se traduit par une demande énorme, et des files d’attente. Cela renvoie évidemment à la problématique des déserts médicaux.

WUD. Vous pensez donc qu’augmenter la rémunération des médecins permettrait de résoudre les problèmes de pénurie médicale ?

NB. Il y a une crise d’attractivité de la profession, et celle-ci est clairement liée à la rémunération. 23 ou 25 euros pour une consultation en secteur 1, cela ne correspond ni au niveau de responsabilité, ni au niveau d’études des médecins.

WUD. Si on fait les comptes, les particularités du marché de la santé jouent-elles en faveur des médecins ?

NB. Elles leur sont plutôt favorables. Le problème des files d’attente leur assure un certain volume d’activité. L’asymétrie d’information leur donne une grande latitude pour prescrire.

Mais fort heureusement, il n’y a pas beaucoup de médecins type « Dr Knock » pour abuser de leur position dominante : les médecins ont un Ordre, une éthique, le serment d’Hippocrate, autant de facteurs qui leur permettent de s’autoréguler.

WUD. Dans quel sens faudrait-il réformer le marché de la santé pour qu’il fonctionne mieux ?

NB. Il faut bien entendu augmenter la rémunération des médecins, mais cela ne serait pas sans répercussions sur les comptes publics. Tous les échelons doivent donc monter en productivité. Les médecins doivent se concentrer sur les actes à forte valeur ajoutée. Il faut donc favoriser les délégations de tâches : il est anormal d’aller chez le médecin pour un vaccin ou un mal de gorge. Le médecin de ville pourrait de son côté assumer des tâches actuellement effectuées par l’hôpital. Cela suppose de diversifier la valeur des actes : toutes les consultations ne doivent pas être payées le même montant, certaines doivent pouvoir être payées 50, voire 100 euros.

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