L’OMS : contrepoids géopolitique ou formalité diplomatique ?

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Que fêtez-vous chaque 7 avril ? Omettriez-vous cette date-phare qu’est la Journée mondiale de la santé, qui commémore la naissance de l’OMS ? Car c’est en effet le 7 avril 1948, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, suite à la Conférence Internationale de la Santé à New York, qu’entre en vigueur la constitution de l’OMS, Organisation mondiale de la santé.

L’OMS : contrepoids géopolitique ou formalité diplomatique ?

L'objectif initial de l’OMS, tel qu’inscrit dans sa constitution, est d’amener la population mondiale au niveau de santé le plus élevé possible (et non uniquement ses États membres, 61 à l’époque, 194 aujourd’hui), la santé étant définie dans le préambule de ce même document comme un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».

Les 30 Glorieuses… médicamenteuses

Dans les principaux axes d'action de cet organisme dépendant de l’ONU, on trouve la création et l’homogénéisation de normes et recommandations en matière de santé. Les thématiques prioritaires ? Elles sont décrites comme des urgences sanitaires : le paludisme, la variole, la tuberculose, la poliomyélite, la santé de la mère et de l'enfant, l'alimentation et les IST.

Ainsi, dès 1950, à la suite de la découverte des antibiotiques, l'OMS conseille les pays pour un usage adapté. Elle débute les campagnes mondiales de vaccination contre la poliomyélite, aboutissant à sa quasi-éradication, et contre la variole, éliminée en 1979.

L’OMS réalise également la Classification internationale des maladies(CIM), dresse et maintient à jour une liste des médicaments essentiels, recensant les molécules que les systèmes de santé de tous les pays devraient rendre disponibles à un prix abordable pour la population générale. Le Dr Mohamed Salah Ben Ammar, chef de service en anesthésie-réanimation aux Quinze-Vingts, ancien directeur général de la Santé au ministère tunisien du même nom, membre du panel d’experts de l’OMS à propos des technologies chirurgicales et président du comité Éthique et Recherche des bureaux africains de l’OMS, se souvient : « Tous les 2 ans, l’expert du pays repartait avec cette liste de médicaments essentiels vers son ministre de la Santé, les pays du tiers-monde étant extrêmement sensibles à ces recommandations. Cela tenait en partie à la ritualisation encadrant cette réunion (le choix du rapporteur et de l'ordre du jour, la photo commune, sacrée…), contraignant les pays participants à une certaine adhésion aux résolutions. »

Un autre dessein de l’OMS est l'assistance sanitaire technique dans les États demandeurs, ainsi que le soutien à la recherche et à la formation médicale. Le Dr Ben Ammar a ainsi pris part au comité éditorial, côté anesthésie, de la Pratique chirurgicale de base dans les structures à moyens limités édité par l’OMS en 2011, qui se veut être un guide aussi complet que possible sur les interventions pratiquées en routine au niveau d’un hôpital de premier recours, dans les situations les plus fréquentes. « J’ai eu la chance d’écrire un livre qui répond finalement à la question suivante : comment faire de l’anesthésie lorsque l’on ne dispose de rien, que l’on n’est pas médecin anesthésiste réanimateur (MAR), dans les Districts Hospitals ? À l’époque, au Tchad par exemple, il n’y avait que 3 ou 4 MAR pour tout le pays ! »

Enfin, l’OMS se veut être une veille statistique à l'échelle mondiale. C’est l'un de ses rôles-phares selon le Dr Ben Ammar, celui de « lanceur d’alerte, en installant des sas de surveillance permettant de suivre les vagues en temps réel » : celle de la grippe aviaire, du SRAS et d’Ebola dans un premier temps. Dans ce cadre, l’OMS limite les déplacements à destination des pays touchés, accompagne le développement dans tous les pays de systèmes efficients de surveillance épidémiologique et collabore au développement de vaccins – contre la grippe notamment –. C’est elle qui, la première, déclare le 31 janvier 2020 une « urgence sanitaire mondiale » devant la pandémie de Covid-19.

Quand les élèves dépassent le maître ?

Pourtant, ici et là, on dit que l’OMS devient désuète, vieillotte. « Elle est de plus en plus critiquée car elle donne l’impression de ne pas être assez réactive, on a l’impression que c’est une espèce d’énorme machine administrative qui manque d’efficience, un mastodonte avec un budget de fonctionnement énorme », explique le Dr Ben Ammar. 

En effet, dès les années 1990 l’OMS est concurrencée par de nombreuses autres institutions, telles que la Banque mondiale, ou encore le Fonds mondial, avec des moyens financiers déployés sans commune mesure avec ceux de l’OMS, permettant de mettre à disposition dans les pays touchés par les épidémies de VIH, de tuberculose et de la trithérapie, les préservatifs, les antipaludéens, les moustiquaires traitées, etc. 

Puis, lorsque naissent des organisations internationales prenant la forme d’agences de partenariat public-privé, telles que GAVI, « l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation », sorte de centrale d’achat des vaccins qui les vend à prix très intéressants aux pays du tiers-monde, qui allie l’expertise technique de l’OMS, la puissance d’achat en matière de vaccins de l’UNICEF et le savoir-faire financier de la Banque mondiale, le poids du mastodonte administratif sur la scène internationale se voit réduit à peau de chagrin. 

La clé du succès de ces agences ? C’est le virage que l’OMS n’a pas su prendre : l’efficience administrative et managériale. « Au Fonds mondial, ont été engagés dans le comité d’administration les meilleurs économistes de la santé au monde. » Alors que les réunions des (trop ?) nombreux experts des pays membres patinent, devant combattre avec moult politesses l’inertie autour de la recherche d’un accord, afin d’adopter des rapports finalement peu contraignants…

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Un avis que ne partage pas Luc Noël, médecin biologiste spécialisé en médecine transfusionnelle et hématologie, associé à la création de l’Agence française du sang, recruté à l’OMS en 1999 comme coordinateur de la sécurité et procédure clinique transfusionnelle. Selon lui, l’OMS est avant tout une agence technique, et non une agence de financement. Elle a pour vocation de susciter des partenariats, qu’ils soient pécuniaires avec des partenaires privés ou pratiques avec d’autres sociétés techniques.

« C’est une façon de sous-traiter un problème technique circonscrit de façon efficace. On rêverait que la source des financements ne soit pas dissociée. Mais le fait que l’OMS ne soit pas un organe de financement est un gage de neutralité, d’indépendance. L’OMS a un avis, on peut renverser la proposition car il peut y avoir des différences de perception avec les groupes qui sont le plus souvent des créations de l’OMS. Selon moi, c’est la raison d’être et l’essence même de l’OMS. »

Un moteur Diesel certes mais un gage de carburant non frelaté… La clé de la pérennité ? À méditer…

 

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