Les infirmiers vont piquer le boulot des médecins, ah bon t'es sûr ?

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La loi infirmière est vue comme un immense progrès par les premiers concernés, mais elle a suscité de multiples craintes chez les médecins. Reste à savoir si ces peurs sont motivées par un souci de santé publique ou par un réflexe corporatiste.

Les infirmiers vont piquer le boulot des médecins, ah bon t'es sûr ?

© Midjourney x What's up Doc

« On ne peut pas mettre sur le même plan législatif le diagnostic médical et le traitement médical avec la consultation infirmière, le diagnostic infirmier et les prescriptions que les infirmiers peuvent réaliser. » Voilà ce qu’écrivait le 28 février dernier, dans un courrier révélé par Egora, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) au député Frédéric Valletoux, corédacteur de la « proposition de loi sur la profession d’infirmier ». 

Quelques mots qui trahissent ce qu’une partie des médecins pensent de ce texte en voie d’adoption au moment où nous écrivons ces lignes : en confiant de nouvelles responsabilités aux infirmiers, la nouvelle législation ferait peser un risque sur la qualité des soins, et mettrait en cause la place centrale du médecin dans le système de santé.

La Fédération des médecins de France s'inquiétait des missions infirmières qui vont crescendo

Concrètement, la loi infirmière élargit ce qu’on appelle « le rôle propre » de la profession, c’est-à-dire la partie de son activité pour laquelle elle agit en autonomie, et notamment sans prescription médicale. On peut notamment noter que la loi ajoute aux responsabilités infirmières la conciliation médicamenteuse, l’orientation des patients, et leur donne la possibilité d’effectuer des consultations infirmières, des diagnostics infirmiers, et de prescrire des produits de santé de même que des examens selon une liste à définir par décret. 

Ce sont ces trois derniers éléments qui ont concentré les critiques de certaines organisations médicales. C’est ainsi que la Fédération des médecins de France, par exemple, s’inquiétait, après l’adoption du texte au Sénat, des missions infirmières qui « vont crescendo ». « On part des missions de base pour arriver à "Comment faire de la médecine sans avoir à en subir les longues et difficiles études" », pouvait-on lire dans la lettre hebdomadaire diffusée par ce syndicat le 15 mai dernier.

Quand la consultation donne des boutons

« Ces réactions ne sont pas surprenantes, elles ont toujours existé à chaque fois qu’un peu d’autonomie a été proposée pour les infirmières, remarque Nicole Dubré-Chirat, députée (Renaissance) du Maine-et-Loire et corédactrice de la proposition de loi. Mais dans notre texte, les choses sont très claires, les infirmières exercent en collaboration avec les médecins» Par ailleurs, tacle la parlementaire, les médecins « ne peuvent pas prétendre qu’ils vont tout faire, tout maîtriser alors qu’il y a des endroits sur le territoire où ils ne sont pas présents » du fait de leur démographie chancelante. 

« La consultation infirmière donne des boutons à certains médecins, mais elle existe déjà, et quand elle est en place, il n’y a pas de sujet, note pour sa part Évelyne Malaquin-Pavan, présidente du Conseil national professionnel infirmier (CNPI). Ce sont toujours des consultations qui s’articulent dans un parcours en complémentarité avec les autres professions, et qui sont centrées sur notre rôle propre, par exemple pour l’éducation à la santé. »

Autre irritant, l'accès direct aux infirmières

Autre irritant pour certains médecins : la loi prévoit pour les infirmières l’accès direct, ce qui ôte le rôle de porte d’entrée que jouent actuellement les cabinets médicaux pour les soins infirmiers. « Cet accès direct se fera dans le cadre de la partie des missions infirmières qui constitue leur rôle propre, et concernent donc les besoins fondamentaux de la personne », précise Nicole Dubré-Chirat. 

Évelyne Malaquin-Pavan ajoute que l’accès direct et la prescription (qui, précise-t-elle, se limitera elle aussi au rôle propre) constitueront un gain de temps pour tout le monde. « Il nous faut aujourd'hui une prescription pour accéder au domicile, c’est un peu idiot de facturer une consultation alors qu’on pourrait très souvent le faire nous-mêmes », estime cette ancienne cadre supérieure de santé.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/reforme-du-metier-dinfirmier-y-est-presque-avant-derniere-etape-franchie-en-commission

La présidente du CNPI l’affirme donc : il ne faut pas voir la loi infirmière comme un texte qui cherche à « remplacer une profession par une autre », mais plutôt comme une opportunité « pour les ressources sous-exploitées que sont les infirmières de se mobiliser pleinement et de répondre aux besoins ». Et le moins que l’on puisse dire, avec le vieillissement de la population et le tsunami démographique qui se préparent, c’est qu’on ne risque pas de manquer de bras face à ces besoins.

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