« Le numérique permet d’envisager des parcours patients plus fluides »

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S’orienter dans le système de santé est devenu un "parcours du combattant" pour les patients, selon une note publiée par l'Institut Montaigne, ce mercredi 29 septembre. Entretien avec son auteure, Angèle Malâtre-Lansac, directrice déléguée à la Santé du think tank.

« Le numérique permet d’envisager des parcours patients plus fluides »

WUD : La crise sanitaire, avec l’explosion des usages de digital, « a démontré que des changements structurants étaient possibles et que les acteurs y étaient prêts », pour améliorer le parcours patient, écrivez-vous. Une note d’optimisme pour le tiers des Français qui estiment vivre dans un désert médical ? 

A. M.-L. : En effet, aujourd’hui plus d’un tiers des Français estime vivre dans un désert médical, cette proportion atteint même 48% chez les moins de 35 ans ! On voit bien qu’il y a un malaise profond dans la population par rapport à l’offre de soins. Ces chiffres sont révélateurs de la réalité du terrain et de la difficulté à accéder à des soins (délais d’attente, distances géographiques), mais aussi de la difficulté à s’orienter dans le système, à comprendre quel professionnel aller voir lorsqu’on a un problème de santé. Aujourd’hui, le nombre de professionnels qui se succèdent au chevet des patients pose une vraie question de coordination : on peut avoir jusqu’à 30 professionnels pour un syndrôme parkinsonien ou encore 15 à 25 pour un AVC, c’est un véritable labyrinthe. Et la coordination de tous ces acteurs est encore très défaillante : les informations ne sont pas partagées entre les professionnels, il existe des clivages très forts entre la ville, l’hôpital, le public, le privé, le médico-social, le domicile, etc. Ces défauts d’organisation, qui pèsent beaucoup sur l’expérience des patients, ont également un impact fort sur les professionnels de santé qui perdent beaucoup de temps et d'énergie à essayer de coordonner les soins. Il y a aussi des conséquences néfastes sur la qualité des soins (iatrogénie, redondance des actes, sur prescriptions, sous prescriptions etc.). 

Le numérique n’est pas une solution en soi mais un outil, un levier, au service d’une meilleure coordination. Et la bonne nouvelle c’est que l’expérience qu’en ont fait les Français pendant la crise était très positive : 86% d’entre eux pensent que la e-santé est une bonne chose et les ¾ d’entre eux pensent même que l’utilisation des outils numériques permettra d’améliorer leur suivi médical dans le futur. Côté professionnels, qui en majorité portaient un intérêt très limité à la téléconsultation avant 2020, la pandémie a aussi marqué un tournant. Aujourd’hui, rien que sur la plateforme Doctolib, la moitié des généralistes propose la téléconsultation, 30% des spécialistes.

Aujourd’hui, le digital est encore trop souvent perçu comme une charge et non pas comme un facilitateur

Le numérique permet d’envisager des parcours patients beaucoup plus fluides et porte un espoir. En premier lieu, la digitalisation et l’accès aux nouvelles technologies devraient permettre aux patients d’accéder à davantage d’informations sur leur pathologie ou sur les actions de prévention qu’ils peuvent entreprendre : les patients deviennent davantage acteurs de leur santé. Deuxièmement, le numérique constitue aussi une des pistes pour augmenter l’accès aux soins : avec la téléconsultation bien sûr, mais aussi avec les plateformes de prise de rendez-vous en ligne qui font gagner du temps aux professionnels de santé. Enfin, le digital devrait permettre aux professionnels d’améliorer les échanges d’informations de façon simple et sécurisée, ce qui peut également diminuer leur charge administrative et leur redonner du temps médical. Encore faut-il que les outils soient simples, sécurisés, adaptés à la pratique et aux usages. Aujourd’hui, le digital est encore trop souvent perçu comme une charge et non pas comme un facilitateur. Simplifier son accès, former les professionnels à la e-santé, créer des outils numériques plus simples et adaptés : c’est l’objet d’une des propositions dans la note “Parcours patient : parcours du combattant ?”.

WUD : Une proposition sur le sujet fondamental de la pénurie d’effectifs ?

A. M.-L. : C’est évidemment un enjeu fondamental et c’est d’ailleurs l’objet de la toute première recommandation de ma note écrite pour l’Institut Montaigne qui propose de renforcer l’attractivité des métiers du soin et d’augmenter le nombre de personnels de santé. Si nous manquons de professionnels et de ressources humaines, rien ne sera possible. Le capital humain est la priorité absolue. Les pouvoirs publics l’ont bien compris en engageant plus de 10 milliards d’euros dans le Ségur de la santé. Malgré cet engagement historique, il reste beaucoup à faire pour mettre les ressources humaines au cœur de la transformation des parcours. Dans nos propositions nous insistons sur l’attractivité des métiers ainsi que sur la formation des professionnels : l’enseignement de la e-santé et de l’utilisation des données de santé en formation initiale comme continue doit être développé, de même que les formations autour du management et du travail en équipe, si nécessaire pour développer des approches coordonnées.

Il existe déjà de nombreux exemples étrangers ainsi que des expérimentations en France sur des modalités de paiement alternatives au paiement à l’acte et à la T2A. Il faut partir de ces exemples pour bâtir des modèles de financement plus vertueux

Autre enjeu essentiel pour redonner de l’attractivité aux professions de santé : développer les passerelles entre métiers du soin, les formations regroupées, et accompagner les déroulés de carrière notamment pour les infirmiers qui jouent un rôle central dans les parcours. De nouveaux métiers se développent et c’est une tendance à accélérer : les infirmiers en pratique avancée, les care manager, les coordinateurs de parcours, etc. 

Enfin, les modalités tarifaires actuelles n’incitent pas les professionnels à la coordination. C’est pour cette raison que nous proposons de repenser les modalités de paiement pour fluidifier les parcours et encourager à la qualité et à la coordination entre professionnels. Il existe déjà de nombreux exemples étrangers ainsi que des expérimentations en France sur des modalités de paiement alternatives au paiement à l’acte et à la T2A. Il faut partir de ces exemples pour bâtir des modèles de financement plus vertueux. 

WUD : Que proposez-vous concrètement pour réinventer le parcours de soins ? 

A. M.-L. : La première proposition de la note de l’Institut Montaigne concerne donc le capital humain, la formation, l’attractivité des métiers du soin. Ensuite, côté numérique, il y a deux enjeux fondamentaux : d’une part garantir la sécurité, l’accès et la portabilité des données de santé. Aujourd’hui, un professionnel qui veut changer de logiciel métier risque de perdre toutes ses données. De même, un patient qui passe d’un établissement à un autre doit récupérer son dossier médical pour le transmettre lui-même. Cela entraîne des pertes d’information et de temps. Les systèmes d’information ne se parlent pas entre établissements, entre ville et hôpital, etc. C’est pour cela que nous insistons sur l’enjeu de l’interopérabilité, qui est un enjeu qui peut paraître technique mais dont les répercussions sont très réelles dans la vie des patients et des professionnels. Il existe des référentiels communs pour faire se parler entre eux les systèmes, comme le référentiel FHIR que nous proposons d’utiliser comme cadre normatif. Autre enjeu derrière les données de santé : la sécurité. Nous investissons trop peu en cybersécurité et chaque jour des établissements et des logiciels se font pirater. Il est essentiel d’investir ce champ si nous voulons créer de la confiance et éviter des situations très dommageables. L’Europe a un rôle à jouer pour porter une vision à la fois éthique et compétitive sur le sujet des données de santé qui est un enjeu majeur de souveraineté, mais aussi de recherche et d’innovation.

La qualité des soins est un vrai sujet dont on ne parle pas suffisamment. Pourtant, chaque année, des milliers de personnes meurent en France en raison de défauts de qualité et d’erreurs qui sont souvent liés aux défauts d’organisation du système de santé

Autre proposition que nous formulons : faciliter l’accès aux applications digitales pour les patients. Aujourd’hui il existe plus de 300.000 applications en santé, et rien qu’en 2020, 90.000 nouvelles applications sont venues s’ajouter sur les stores. Le défi, c’est qu’il existe un décalage énorme entre cette offre pléthorique et les données sur l’efficacité et la sécurité de ces outils. De ce fait, les professionnels ont du mal à les recommander pour leurs patients et ces derniers ne savent pas vraiment vers quel outil se tourner. C’est pourquoi nous recommandons d’une part de consolider la filière pour éviter l’éparpillement des solutions, d’autre part d'accélérer les données d’évaluation sur la qualité du service rendu par ces applications notamment en permettant des partenariats entre les startups de la e-santé et les équipes de recherche. Le déploiement du store de l’Espace numérique en santé en 2022 pourrait constituer une occasion inédite d'accélérer le déploiement de ces innovations. Certaines solutions pourraient être remboursées pour les patients si leur service médical est démontré, comme cela se fait en Allemagne. 

WUD : Vous rappelez que pour une majorité des Français, le système de santé est un enjeu « tout à fait prioritaire » de la campagne présidentielle. Parmi vos propositions : faire de la qualité des soins une priorité. Serait-ce l’idée fédératrice à défendre pour les professionnels de santé ? 

A. M.-L. : La qualité des soins est un vrai sujet dont on ne parle pas suffisamment. Pourtant, chaque année, des milliers de personnes meurent en France en raison de défauts de qualité et d’erreurs qui sont souvent liés aux défauts d’organisation du système de santé. De plus, cette qualité est très hétérogène d’un lieu à un autre et les études montrent que nous ne sommes pas soignés de la même façon en fonction de notre lieu d’habitation. C’est encore très tabou mais c’est un sujet majeur. Aujourd’hui, si vous n’avez pas dans votre réseau un professionnel de santé, il est quasiment impossible de savoir où sont donnés les meilleurs soins, ni de comprendre vers quel professionnel se tourner. Cela renforce les inégalités de santé. Les Français sont pourtant très demandeurs d’information sur la qualité des soins : 90% des patients jugent que la publication d’indicateurs sur ce sujet serait une bonne chose et la très grande majorité d’entre eux sont prêts à répondre à des questionnaires pour participer à la mesure de cette qualité. Chaque année, les classements des établissements de santé publiés par les magazines rencontrent un large succès. Il faut être vigilant face à ces attentes et y répondre car il y a un risque fort dans les prochaines années que se développent des classements arbitraires, des systèmes de notation “sauvages” qui seraient dommageables pour les professionnels comme pour les patients. C’est pour cela que nous proposons de construire des indicateurs de qualité standardisés en impliquant les sociétés savantes, les professionnels et les patients et de systématiser le recueil d’indicateurs de qualité. Parmi ces indicateurs, il est important de faire remonter les indicateurs de qualité de vie des patients car ce sont des données qui les intéressent tout particulièrement lorsqu’ils font face à un problème de santé. Ces données doivent ensuite être publiées de façon transparente et accessible. Enfin, pour s’assurer de la remontée de données sur la qualité, il est essentiel que les financements et les tarifications encouragent la remontée de données. La rémunération ne doit plus refléter uniquement le volume d’activité mais aussi la qualité des soins et la coordination. La qualité, la pertinence sont des sujets très fédérateurs et qui font sens pour tous : les professionnels, les patients et le système.

La période constitue une opportunité inédite pour transformer les parcours de soins des patients : il est urgent de se saisir de cette opportunité pour faire de la qualité la boussole de notre système de santé.

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