La place des médecins dans la prévention n’est pas toujours celle à laquelle on pense

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La prévention : priorité systématique des élus et/ou candidats en période électorale, priorité des lois et réformes de santé, etc. Mais en fait-on plus qu’avant ? Et surtout de quoi parlons-nous ?…

La place des médecins dans la prévention n’est pas toujours celle à laquelle on pense

Une prévention qui ne dit pas son nom…

Un exemple? La grande majorité des traitements d’une tension artérielle élevée. Il n’y a en général pas de « maladie hypertensive », ni de symptôme… La pression artérielle au-delà d’un seuil « épidémiologique » est un simple facteur de risque statistique dont on a démontré que la baisse contribue à réduire des pathologies à venir : AVC, infarctus, insuffisance rénale… Et il existe des débats très doctes pour savoir quel est le seuil le plus efficace en termes de bénéfice « populationnel ».

C’est aussi vrai pour les traitements des hyperlipidémies simples… et d’autres encore, qui, en pratique courante, sont confondus avec les actes médicaux curatifs.

…Et pourtant particulièrement remise en question!

On sait exactement quel est le bénéfice attendu de la prise en charge d’un patient qui consulte pour une plainte précise; c’est moins vrai dans le cas d’un acte préventif. Ce bénéfice n’est d’ailleurs pas forcément individuel mais plutôt « populationnel ». Pour le dire autrement : quel est le bénéfice d’être soigné pour quelque chose qu’on ne perçoit pas et pour lequel on ne demande rien, avec des risques qui eux sont individuels ? Cette question sous-tend le cas actuel des vaccins, dont l’ambiguïté d’objectifs génère un rejet par une partie de la population. Leurs bénéfices sont oubliés en grande partie grâce à leur efficacité, puisque les maladies dont ils protègent ne sont plus perçues comme inquiétantes.

Aussi, le dépistage soulève ses propres ambivalences. Dépister précocement un cancer avant qu’il ne se manifeste semble logique. Pourtant on ne sait pas toujours si des cancers dépistés très tôt auraient réellement évolué (comme par exemple le cancer de la prostate asymptomatique). De plus, ce dépistage peut détecter des faux positifs… Avec de potentielles conséquences néfastes.

Une autre prévention, plus sociétale, attend toujours les médecins…

Reprenons l'exemple de la tension artérielle. En amont se trouve la quantité de sel dans l’alimentation. S’il est évident que l’influence des médecins dans cette consommation depuis l’enfance n’est qu’un élément parmi d’autres, le médecin peut expliquer aux familles les effets du sel, et contribuer ainsi à l’éducation à la santé et à sa promotion. Ce qui ne va pas de soi dans un contexte de consultation classique, ni en termes économiques, ni en termes sociétaux, considérant le mandat du médecin tel que perçu par les patients.

Pourtant un autre rôle des médecins est possible. Ces derniers oublient parfois qu’ils restent des « experts » ayant une compétence santé reconnue. Ils pourraient jouer un rôle en amont, par exemple sur les processus de l’industrie alimentaire qui définissent le contenu en sel de l’alimentation, sur les producteurs, en convainquant les régulateurs. C’est un rôle de lobbyiste pour la santé, de contre-lobby face à ceux qui s’opposent à des mesures en faveur de la santé; un autre volet d’activité, absent du mandat « Sécurité sociale » des médecins aujourd’hui.

Dans ce domaine cependant, il y a beaucoup de travail : sur le sucre, le gras, le tabac, l’alcool, les risques chimiques et environnementaux, etc. Les lieux de confrontation entre groupes de pression ayant des intérêts divergents, les instances de régulation et de contrôle, seraient enrichis par la présence de médecins plus nombreux et plus actifs qu’aujourd’hui. Un premier pas, déjà, serait de rappeler régulièrement aux décideurs leurs promesses électorales et leurs engagements dans les traités internationaux touchant à la santé…

Source:

* Yves Charpak est médecin de santé publique, chercheur, spécialiste de l’évaluation… il a travaillé (entre autres) pour l’OMS, l’Inserm, l’Institut Pasteur, l’Établissement francais du sang… Il n’hésite pas `a prendre position dans l’espace public, o`u il décline une vision originale du futur de la santé.

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