La médecine personnalisée en prend pour son grade

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Et avec ca, je vous mets quoi ?

La médecine personnalisée en prend pour son grade

Pour la deuxième journée des Conversations éthiques 2016, la médecine personnalisée était au cœur des débats. En cause : le peu de place qu’elle laisse à la… personne.

 

Il était une fois la médecine personnalisée. Une médecine capable, grâce à la génomique, de traiter chaque patient dans sa singularité. Finie la santé « taille unique », place au sur-mesure : tests prédictifs, traitements à la carte, programmes de prévention intelligents…

« You have to be ready to embrace this new world », écrivait, tout à son enthousiasme, le célèbre généticien américain Francis Collins dans son livre The Language of Life. Un futur que l’initiateur du projet Génome humain appellait vigoureusement de ses vœux.

Ton ADN, tu cultiveras

Ce meilleur des mondes n’a pourtant pas semblé conquérir les cœurs, au deuxième jour des Conversations éthiques 2016. Il faut dire que l’Espace éthique Île-de-France, à l’origine de l’événement, se voudrait le garde-fou d’une « certaine vision » de l’homme, face à l’épouvantail de la biomédecine mondialisée.

Pour Gaia Barazetti, philosophe à l’université de Lausanne, le projet de la médecine personnalisée a été quelque peu embelli par ses prophètes. Louée sur le mode de la promesse, voire de l’injonction morale, la médecine personnalisée finit par générer des malentendus et de fausses attentes auprès des patients et des soignants.

Des soignants mi-figue, mi-raisin

« On n’est pas face à un savoir qui devient un pouvoir, mais un savoir qui devient un devoir », a-t-elle dénoncé, peu sensible aux sirènes du progrès. Une réserve que la philosophe vaudoise a également mise en lumière chez les soignants eux-mêmes, interrogés dans le cadre d’une enquête menée en 2015 dans le canton de Lausanne.

Les généralistes doutaient ainsi de leur capacité à maîtriser des techniques considérées comme très éloignées de la relation de soin au quotidien. Plus enthousiastes, les spécialistes interrogés se réjouissaient de dépasser les tâtonnements de la thérapeutique actuelle. Mais tous s’interrogeaient sur la prise en charge de ces patients à risque, ni malades ni bien-portants, que produit la médecine prédictive.

Pour une médecine personnalisante

C’est le Pr Jean-Philippe Pierron, philosophe à l’université Lyon 3, qui s’est chargé de prolonger la charge. « La maladie, si c’est un fait biologique, est en même temps un événement biographique », a-t-il revendiqué. Face à une médecine personnalisée qui « prolonge et radicalise » l’emprise de la biologie sur le soin, il a proposé l’idée d’une « médecine personnalisante », apte à laisser toute sa place à la personne.

Sauf qu’en matière de concepts flous au bagage métaphysique chargé, celui de « personne » se pose là. « La médecine personnalisante vient questionner… ce qu’elle n’arrive pas à définir : la personne », a admis tout de go Jean-Philippe Pierron, refusant pourtant de jeter le bébé avec l’eau du bain.

« Si le concept de personne est toujours convoqué, c’est qu’il reste le meilleur candidat pour soutenir les combats éthiques, juridiques, politiques ». Et le philosophe de proposer une définition inspirée de Ricœur, qu’on s’essaiera à résumer en ces termes : le soin doit préserver le vécu et les aspirations des patients.

N’en jetez plus, la coupe est pleine

Il y eut peu de voix, ce matin-là, pour s’essayer à défendre la médecine personnalisée. Un doctorant en éthique médicale a pourtant fini par se jeter à l’eau. « Peut-être faudrait-il laisser la chance à la médecine personnalisée d’advenir et de se développer avant de la critiquer ? », s’est enquis l’audacieux technophile.

« La question, c’est les choix qu’on fait à travers les investissements », lui a répondu Jean-Philippe Pierron. « C’est vrai, la médecine personnalisée est encore embryonnaire. Mais quel est le prix à payer pour ça, aux sens propre et figuré ? Je suis perplexe. » Une perplexité visiblement partagée dans la salle.

Source:

Yvan Pandelé

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