Jean-François Mattei : médecin à convictions

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Après avoir tâté de la génétique, de l’éthique, de la politique, de l’humanitaire, Jean-François Mattei a pris pour 2020 la présidence de l’Académie nationale de médecine. Il publie par ailleurs un livre synthétisant sa vision du futur de la santé. Rencontre avec un ex-ministre qui assume ses convictions… même si elles dérangent.

Jean-François Mattei : médecin à convictions

What’s up Doc. Santé, le grand bouleversement, livre que vous venez de faire paraître a parfois des accents de programme politique. Vous envisagez un come-back pour 2022 ?

Jean-François Mattei. J’ai 77 ans, en 2022 j’en aurai 79, et je n’ai évidemment aucune intention de revenir en politique. J’ai goûté à la politique nationale pendant 15 ans, je suis heureux de l’avoir fait et je suis heureux d’avoir connu d’autres choses après.
 

WUD. Ce livre montre toutefois que vous ne renoncez pas à influer sur les décisions politiques…

JFM. J’ai eu la chance d’avoir une vie assez diversifiée à l’hôpital, à la Faculté, au ministère de la Santé, à la Croix-Rouge française, et à l’Académie de médecine… Cela me permet d’opérer une certaine synthèse. Je ne suis pas le seul, évidemment, mais il y a un moment où on a envie de proposer quelque chose. L’un des messages que je cherche à faire passer, c’est qu’il faut rapprocher le médical et le social. J’ai fait des maraudes à la Croix-Rouge, et j’ai bien vu que la médecine ne peut pas être seulement une technique : c’est un humanisme. Un autre message important, c’est que nous vivons de formidables progrès, mais qu’il faut absolument accompagner la science par un surplus de conscience. Les nanotechnologies, l’intelligence artificielle sont des outils, elles ne doivent pas prendre notre place.
 

WUD. On ne vous reverra donc plus en politique. Celle-ci vous avait de toute façon laissé un goût amer quand en 2004, vous avez quitté le ministère de la Santé sur fond de canicule…

JFM. Cet épisode est effectivement un mauvais souvenir. Je fais toutefois remarquer que si j’avais été en faute, j’aurais été remplacé sur-le-champ. J’ai d’ailleurs proposé ma démission qui a été refusée. Je suis resté une année de plus au Ministère, et ce dont se souviennent les professionnels, c’est que j’ai fait le plan Hôpital 2007, que j’ai lutté contre le Sras [syndrome respiratoire aigu sévère, NDLR], que j’ai créé la Haute Autorité de santé…
 

WUD. Comment votre carrière politique avait-elle commencé ?

JFM. Au début des années 1960, j’étais très impliqué, notamment dans les débats autour de la guerre d’Algérie… Mais la médecine se rappelle toujours à ceux qui la négligent : à la fin de la 2e année, j’ai arrêté tout engagement pour me concentrer sur mes études. Lorsque j’ai été nommé chef de clinique en 1974, je suis revenu dans un club de réflexion politique. Puis en 1981-1982, Jean-Claude Gaudin [futur maire de Marseille, NDLR] recrutait pour faire une équipe à Marseille. J’ai été élu au conseil municipal, puis j’ai continué sans brûler les étapes, en faisant chaque fois mes preuves : j’ai été élu député en 1989, nommé ministre en 2002…
 

WUD. Pourquoi vous être engagé au centre droit ?

JFM. Je suis fondamentalement un démocrate chrétien. « Chrétien », cela ne se dit pas dans une république laïque ; on peut effectivement dire que je suis de centre droit : je pense notamment que quand on a reçu beaucoup, on doit donner beaucoup. Et je pense aussi qu’on peut gagner de l’argent, mais que quand on en a, il faut partager avec ceux qui n’ont pas eu la même chance.
 

WUD. Et comment avait commencé votre carrière médicale ?

JFM. Mon père était chirurgien militaire, et j’ai toujours voulu être médecin. J’ai retrouvé une vieille carte d’identité que je m’étais faite pour jouer quand j’avais 7 ou 8 ans : la profession que j’avais inscrite, c’était « médecin cow-boy ». J’étais pourtant plutôt un littéraire, et j’ai pensé à faire autre chose. Mais en première année, ma mère m’a encouragé, elle m’a dit de m’accrocher, et j’ai finalement été reçu avec un très bon rang.
 

WUD. Quel souvenir gardez-vous de vos études de médecine ?

JFM. J’ai étudié à Marseille, et je me souviens d’une très grande exigence. On avait d’abord la propédeutique pour accéder à la première année. Le concours de l’externat arrivait presque aussitôt, et on soufflait à peine que l’internat se profilait. Ce n’était pas une mauvaise période, mais c’était une vie un peu monacale.
 

WUD. Comment avez-vous choisi la génétique ?

JFM. Je voulais être psychiatre. Puis j’ai fait de l’ethnopsychiatrie pendant ma coopération à Dakar : j’ai trouvé que c’était très intéressant, mais que ce n’était pas assez proactif et pas assez efficace. J’ai là-bas beaucoup travaillé sur la malnutrition protéique de l’enfant, et quand je suis rentré, je me suis orienté en pédiatrie. Puis mon patron, le Pr Francis Giraud, m’a demandé de créer la génétique médicale à Marseille avec ma femme, c’est donc ce que nous avons fait.
 

WUD. On a donc choisi la génétique pour vous ?

JFM. Oui, c’est parce que ma femme était généticienne que le Pr Giraud s’est tourné vers moi. C’était une bénédiction. Et malheureusement, un tel parcours serait plus difficile aujourd’hui.
 

WUD. Comment avez-vous concilié vos activités politiques et la médecine ?

JFM. J’ai continué à voir des malades jusqu’à ce que je devienne ministre en 2002. Je groupais tous mes enseignements pendant les vacances parlementaires, et une fois par semaine je voyais quelques malades qu’on m’orientait. Par ailleurs, en politique, je n’ai jamais voulu m’occuper de tout : j’ai toujours désiré me limiter aux problèmes de santé, d’enfants, et d’éthique.
 

WUD. Comment en êtes-vous venu à une réflexion sur l’éthique ?

JFM. La génétique est une spécialité qui y conduit obligatoirement : vous avez généralement un couple en face de vous, et vous n’êtes donc plus dans le cadre du colloque singulier. Vous vous posez inévitablement la question éthique de savoir ce qui appartient à l’un, et qui n’intéresse pas l’autre. Puis est arrivé le diagnostic prénatal. Est-ce le rôle de la médecine de supprimer le malade qu’elle ne sait pas soigner ? C’est typiquement une question éthique.
 

WUD. Comment votre engagement éthique s’est-il matérialisé ?

JFM. J’ai créé un enseignement d’éthique assez rapidement, et quand je suis arrivé à l’Assemblée, j’ai d’emblée considéré qu’on ne pouvait pas faire l’économie de légiférer sur ce sujet. La question est la suivante : le médecin a-t-il l’obligation morale de satisfaire toutes les demandes qui lui sont faites ? C’est comme ça que j’ai écrit les premières lois de bioéthique de 1994.
 

WUD. Il y a d’ailleurs un lien entre votre intérêt pour la bioéthique et votre entrée à l’Académie…

JFM. Oui, j’ai été sollicité par le Secrétaire en 1997 parce que j’avais fait les lois de bioéthique. J’ai d’abord été correspondant, puis en 2000 j’ai été titulaire.
 

WUD. C’est une institution que l’on juge parfois un peu désuète. À quoi sert-elle au juste ?

JFM. Je sais que certains pensent que l’Académie est une sorte de gérontocratie. Ce n’est pas tout à fait exact. Il faut d’abord dire qu’elle commence à se rajeunir et à se féminiser. Et ses membres travaillent ! Ils sont motivés, ils ont une expérience, une compétence et ils ont encore envie de servir. Dans toutes les tribus primitives, il y a ce qu’on appelle les vieux sages que l’on vient trouver. Nous ne sommes pas si vieux que ça, mais nous sommes sages…
 

WUD. L’Académie a rendu ces derniers temps des avis assez politiques sur l’hôpital, sur l’homéopathie, sur la procréation médicalement assistée (PMA)… Faut-il y voir votre influence ?

JFM. Non, je ne suis pas responsable de cela. Nous avons un fonctionnement très collectif. Les textes sont d’abord élaborés par des commissions thématiques de 12 à 16 personnes. N’imaginez pas qu’ils vont remettre le pouvoir au rapporteur qui va écrire ce qu’il veut ! Une fois voté en commission, le document arrive au Conseil d’administration, où nous sommes 14 à le passer au crible. Il est ensuite soumis en séance plénière au vote de tous les académiciens. On ne peut donc jamais dire qu’il s’agit de la position d’une personne.
 

WUD. C’est donc collectivement que l’Académie devient plus politique ?

JFM. Non, elle ne devient pas politique, notamment parce que nous ne nous mêlons jamais des questions financières. Quand nous disons qu’il serait logique d’associer les médecins à la direction de l’hôpital, ce n’est pas politique. Sur l’homéopathie, nous constatons simplement que ses effets sont peu différents de ceux du placebo.
 

WUD. Le dernier rapport de l’Académie sur la bioéthique, très critique sur l’extension de la PMA, expose une vision assez conservatrice…

JFM. C’est faux. Ce rapport, qui n’est pas le mien mais que j’ai bâti, commence par dire qu’il s’agit d’un problème sociétal, et que l’Académie s’interdit donc de porter un avis. Elle ajoute cependant qu’au plan médical, certaines questions doivent être posées, et notamment celle de l’enfant. On sait que les enfants de couples hétérosexuels infertiles qui naissent par IAD [insémination artificielle avec sperme de donneur, NDLR], arrivés à l’âge de 14 ou 15 ans, s’interrogent beaucoup sur leurs origines biologiques, parfois de façon obsessionnelle. Entourés par l’avis de pédopsychiatres, nous avons donc averti sur le risque d’augmentation des difficultés qu’éprouveront ces enfants à se situer.
 

WUD. Terminons sur une note moins polémique. Qu’est-ce que le médecin qui a affronté la première grande canicule peut dire à ceux qui vont exercer la médecine dans un monde où la température aura augmenté de 2, 3, voire 4°C et plus ?

JFM. Le lien entre la détérioration de l’environnement et celle de la santé est désormais prouvé. Je pense que la santé publique doit prendre davantage d’importance dans l’exercice de la médecine, pour enfin mettre en pratique le « mieux vaut prévenir que guérir ». Et je pense qu’il faut créer une médecine de l’environnement qui serait impliquée sur les projets énergétiques, les choix urbanistiques… Aujourd’hui, on saisit des ingénieurs, des financiers… Il y a là un domaine ouvert à la médecine, et qu’elle doit occuper.
 

Bio express
1961. Commence ses études de médecine à Marseille
1981. Professeur de pédiatrie et de génétique médicale au CHU de Marseille
1989. Député des Bouches-du-Rhône
2002. Ministre de la Santé
2004. Président de la Croix-Rouge française
2020. Président de l’Académie nationale de médecine
 
Biblio express
2020. Santé, le grand bouleversement, Les Liens qui libèrent
2017. Questions de conscience, de la génétique au posthumanisme, Les Liens qui libèrent
2014. L’Humanitaire à l’épreuve de l’éthique, Les Liens qui libèrent
2013. Où va l’humanité ? (avec Israël Nisand), Les Liens qui libèrent

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