"J'ai eu la chance de parler tout de suite et d'avoir des parents qui m'ont cru"

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Interview de François Devaux, membre fondateur de l'association La Parole Libérée, à propos de la sortie du film "Grâce à Dieu" de François Ozon.

"J'ai eu la chance de parler tout de suite et d'avoir des parents qui m'ont cru"

What's Up Doc. Vous avez découvert le film en novembre 2018. Quelle a été votre réaction?

François Devaux. Ça a été très difficile pour moi. Jusqu'à la veille je pensais ne pas y aller, j'étais totalement bloqué. Sur le tournage, j'avais parlé avec Denis Ménochet, qui me joue à l'écran et qui avait dit à François Ozon : "Tu veux me faire jouer un excité du bocal mais en vrai il est vachement posé !" Bon, François lui a dit que non, que quand même j'étais bien direct comme mec. Bref, j'avais très peur de voir ce que ça allait donner à l'écran. Et c'est vrai que j'ai beaucoup de mal à avoir de la distance. Il m'a fallu "imprimer" que c'était ma famille qu'on voyait à l'écran.

Et vous, ou plutôt le personnage inspiré de vous?

FD. Je ne peux m'empêcher de comparer le rôle qu'Ozon fait prendre à mon personnage dans le film et la réalité. François grossit le trait, c'est normal car cela permet de transmettre le message de La Parole avec plus de puissance. Mais malgré tout, cela me gênerait tellement que le film donne l'image de quelqu'un que je ne suis pas, qui utiliserait un combat juste pour des motifs personnels. Alors que je ne suis pas du tout dans une démarche "anti". Je ne suis pas animé par la haine des cathos, au contraire. Le but de notre combat est de faire évoluer l'Église. Par exemple, quand dans le film mon personnage annonce presque fièrement qu'il s'est fait apostasier, la vérité est bien plus nuancée : cette décision est issue d'une démarche très personnelle et je n'ai jamais incité quiconque dans l'association à me suivre, encore moins à ce qu'on en fasse un coup d'éclat, ni même à en faire la publicité.
 

« Le but de notre combat est de faire évoluer l'Église »

Votre personnage apparaît au contraire comme très sincère et on sent que son combat est avant tout le fruit d'une révolte qu'il a longtemps tue, ou plutôt d'une colère qui jusqu'alors n'avait pas trouvé sa direction. 

FD. Ce que vous me dites me rassure. Et, globalement, chez tous ceux qui m'ont parlé du film, aucun ne semble avoir remarqué ce côté "anti"! Mais je vous le répète, c'est très compliqué pour moi d'avoir une juste distance. Ce qui me soulage, par contre, c'est que nous ne sommes pas du tout héroïsés dans le film. C'était ma principale crainte.

Vous en avez parlé avec les autres membres de l'association, les proches,  qui apparaissent dans le film ?

FD. Oui... Il faut savoir que voir le film a été un traumatisme pour nous tous ! Parce que François est vraiment allé très loin dans la révélation, et que nécessairement il a appuyé là où ça faisait mal. Mais en même temps, sa volonté de filmer les victimes au plus près va permettre des retombées extraordinaires sur l'association, ce que l'on constate déjà. Nous recevons énormément de messages de soutien depuis la sortie du film, beaucoup de promesses de dons. Il y a une crédibilisation extraordinaire de notre démarche.

Parmi les expériences difficiles, on imagine que de se voir enfant, lors des scènes de flash-backs, a dû être douloureux.

FD. C'était surtout extrêmement troublant, parce que François avait eu le souci de reconstituer au détail près les lieux, les décors, les objets de l'époque. Les voitures, la paroisse, et bien sûr le labo photo... Tout y était! 
 

« Voir le film a été un traumatisme pour nous tous ! »

Voir son agresseur joué sur l'écran, également...

FD. Dans les scènes, on voit Preynat se saisir d'un gosse, l'amener sous la tente... C'est très brutal, mais en vrai c'était beaucoup plus insidieux. Preynat était très tactile, même quand les parents étaient à côté. Il construisait une relation intime dans laquelle tout le monde était pris, ce qui fait que les gosses étaient totalement perdus. Preynat flirtait avec eux quasiment sous le regard de leurs parents, quel espace y avait-il pour qu'ils puissent remettre cela en cause, se confier ? Moi j'ai eu la chance de parler tout de suite, d'avoir des parents qui m'ont cru et ont été extrêmement clairs dès le début. C'est probablement pour cela qu'aujourd'hui encore je ne me considère pas comme une victime, en tout cas pas au sens psychologique du terme.

Pourtant, les victimes sont au cœur de votre association, La Parole Libérée.

FD. Oui, l'association est issue d'une démarche de victimes qui répond à une défaillance générale de la société, des institutions. Je crois qu'à l'époque c'était une première. On a mis en place une véritable stratégie, et notre visibilité a duré extrêmement longtemps. Les médias n'avaient jamais vu ça. Nous voulions vraiment "démocratiser" l'image de la victime.

Pouvez-vous nous présenter les principaux buts de l'association ?

FD. Notre action première est une action de lobbying afin de faire prendre conscience de l'incohérence des lois et des erreurs de stratégie de l'Église, mais aussi des autres institutions, dans la prévention des crimes sexuels sur enfant. Nous n'avons pas vocation à perdurer ! Et pourtant peu à peu nous nous sommes rendus compte de la puissance de cette chaîne humaine, où chacun a besoin de l'autre et lui apporte son aide. Sur le site, les gens ont la possibilité de publier leur témoignage, de le partager, et c'est un levier puissant dans le cadre d'une démarche de reconstruction. Nous n'avions pas conscience que tant de souffrances allaient nous être confiées, et que le site et l'association allaient avoir un impact thérapeutique...

À ce propos, des médecins ou des psychologues interviennent-ils dans l'association ?

FD: Quand Dominique, la femme de Bertrand, un des fondateurs de l'association, intervenait, on lui répondait souvent: "Je ne veux pas parler à la victimologue, mais à vous - qui êtes victimes - je veux bien!" Donc ça ne passait pas forcément par la voie classique de la thérapie. La Parole est un dispositif basé sur l'établissement de liens fraternels entre les victimes, un processus d'autoréparation. Notre exemple, notre médiatisation permet dans un premier temps une identification positive, une reprise d'espoir qui favorise la demande de soutien. C'est assez à part, et assez efficace, dans le cadre du "traitement" des traumatismes psychiques liés à la pédocriminalité.

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