Interview de Stéphane Mulliez, DG de l'ARS Bretagne : "Le PH de demain sera un PH de territoire"

Article Article

En poste à l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne depuis octobre 2019, Stéphane Mulliez a traversé la crise du Covid19 en retirant le meilleur de cette expérience : l'agilité et la créativité des professionnels de santé. 

Interview de Stéphane Mulliez, DG de l'ARS Bretagne : "Le PH de demain sera un PH de territoire"

What's Up Doc. Vous étiez en responsabilité pendant l’épidémie de Coronovarirus. Comment cela s’est-il passé en Bretagne ? 

Stéphane Mulliez. Nous avons vécu différentes phases, mais ce qui m’a marqué d’emblée, c’est l’agilité avec laquelle les professionnels de santé ont mis en place des dispositifs alors que nous avions parfois, auparavant, travaillé pendant des mois sans toujours y arriver. Exemple, la télémédecine et la téléconsultation. Nous avons multiplié par 12 le nombre de téléconsultations sur les trois derniers mois. C’est assez fabuleux que nous ayons pu faire cela de manière spontanée. Nous avons aussi multiplié par deux nos lits de réanimation. Les médecins et les soignants ont été extrêmement volontaires pour pouvoir participer aux évacuations sanitaires, nous avons accueilli plus de 80 patients du Grand Est et d’Ile-de-France. 
 

WUD. Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid19 en Bretagne ? 

S. M. À la mi-avril nous sommes montés jusqu’à 500 personnes qui ont été hospitalisés dans le cadre du Covid19. Autour de la mi avril, nous avons aussi compté 130 personnes en réanimation, et depuis on observe une décroissance continue. Nous avons aussi hospitalisé plus de 1200 personnes malades du Covid19 et qui sont retournés au domicile. Dans la plupart des cas, les prises en charge se sont bien déroulées. 

WUD. En terme d’organisation sanitaires, la situation est-elle revenue à la normale ? 

S. M. Nous sommes encore dans une organisation exceptionnelle, les plans blancs restent d’actualité dans les hôpitaux, la cellule de crise de l’ARS reste activée… Même si, en effet, depuis le déconfinement décidé le 11 mai, nous sommes dans un nouveau stade de l’épidémie : nous avons mis en place un suivi en ce qui concerne le traçage patients, avec des équipes de l’ARS qui travaillent 7J/7 pour traquer les clusters et pouvoir faire ce traçage patient. Nous avons dû gérer un cluster dans une entreprise agro-alimentaire, un abattoir, dans les côtes d’Armor. Ce sont des heures de travail pour pouvoir faire l’analyse sanitaire des ateliers. Les jeunes internes en santé publique ont fait un travail fabuleux, ils ont au sein de l’ARS Bretagne pu participer à toutes ces investigations. 

Les plans blancs restent d’actualité dans les hôpitaux

 

WUD. Quelle est la situation en Bretagne au niveau des ressources humaines médicales ? 

S. M. C’est assez disparate. Nous avons moins de problèmes dans les grandes villes mais la situation est plus tendue en centre Bretagne et dans les Cotes d’Armor. Nous sommes très vigilants sur les enjeux de démographie médicale. Comme dans les autres régions de France, la situation varie aussi en fonction des spécialités médicales. Nous connaissons des tensions à l’hôpital sur les urgentistes mais aussi les anesthésistes, les gériatres, les gynécologues-osbtétriciens...
 

WUD. Et en terme de formation ? 

S. M. Déjà, il y a un enjeu en termes de numerus clausus. Nous devons, en lien avec les deux doyens de Rennes et Brest, pouvoir progressivement augmenter les capacités de formation des médecins, et c’est un point très important. Nous devons aussi veiller à diversifier les recrutements eu égard à la réforme des études médicales en cours. C’est un point très important. Il faut aussi savoir projeter sur le territoire le premier cycle des études en santé. Nous avons par exemple ouvert à Saint-Brieuc et Vannes, en lien avec les facultés de médecine, et ce sera aussi bientôt le cas à Lorient, des premières années d’étude en santé pour que les étudiants puissent y effectuer leur première année, sans pour autant rejoindre les capitales régionales que sont Brest et Rennes. Du point de vue social, c’est très important. Nous devons faire en sorte que les étudiants en médecins puissent découvrir l’exercice en premier recours. Par exemple à Brest, nous avons ouvert un secrétariat médical, pour que nous puissions travailler avec chacun des étudiants en médecine sur leur projets professionnels, que ce soit en cabinet de ville, ou en maison de santé pluridisciplinaire. 

Les jeunes internes en santé publique ont fait un travail fabuleux

 

WUD. Avez-vous déjà commencé le Ségur régional ? 

S. M. Nous avons pu organiser ces deux dernières semaines des grandes réunions de concertation avec les fédérations sanitaires, les représentants du médico-social, avec la conférence santé autonomie aussi et les représentants des usagers... nous organisons actuellement un premier cycle de réunion sur le Ségur. J’ai à cœur de faire dans le cadre du Ségur, avec ou sans l’ARS, qu’il y ait des retours d'expérience (Retex) dans le territoire, pour évoquer les acquis ou difficultés rencontrées pendant cette crise. J’ai demandé aux acteurs des hôpitaux publics qu’il y ait des RETEX; Je l’avais fait à Vannes il y a de cela un mois, c’était très intéressant de pouvoir échanger avec les professionnels de l’hôpital ou de la clinique de Vannes. 

WUD. Quelles seraient les mesures à prendre pour redorer le blason des professionnels de santé dans le cadre du Ségur de la Santé ? 

S. M. Il y a beaucoup de choses à faire. Il y a un enjeu sur l’attrait de la carrière hospitalière pour les jeunes médecins. Il faut aussi que l’on intègre le fait que le PH de demain ne sera plus celui d’un centre hospitalier, mais plutôt celui d’un territoire de santé. Dans le cadre du contrat hospitalier de territoire nous essayons de promouvoir des postes partagés de praticiens hospitaliers et ce sera vraiment la médecine de demain. Il y a aussi le sujet de l’intersectoriel. Lors d’une réunion sur le Ségur de la santé les professionnels m’ont dit que ce qu’ils ont réussi à faire dans le cadre de la crise de la Covid19, c’était de davantage se connaitre, travailler ensemble entre la médecine de ville et l’hôpital. Ce sont des coopérations qu’il faut réussir à pérenniser, il faut que l’on conserve cette agilité des organisations. 

Le PH de demain ne sera plus celui d’un centre hospitalier, mais plutôt celui d’un territoire de santé

WUD. Durant cette épidémie, les ARS ont souvent été critiqués par les professionnels de santé. Est-ce que vous comprenez d’où vient ce dialogue de sourd ? 

S. M. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu un dialogue de sourds en Bretagne. Je ne dis pas que nous avons été d’accord sur tout. Nous avons réussi en restant agile à organiser des choses, y compris avec les internes et les médecins. Il y a eu par exemple des réaffectations d’internes que nous avons pu faire ce semestre pour répondre aux besoins d’organisation des services, nous l’avons fait avec les facultés de médecine, les Chu et les organisations d’internes. Je tiens à saluer leur mobilisation, certains d’ailleurs sont partis soutenir leurs collègues en Ile-de-France… C’est une période qui a été  très féconde pour trouver des organisations agiles avec les professionnels de santé. 

 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers