Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée - Critique de « L’intérêt d’Adam », de Laura Wandel

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Adam est hospitalisé en pédiatrie dans un état de malnutrition. Parce que sa mère est à l'origine de ses troubles, mais aussi parce qu'il refuse de manger en son absence, la justice limite strictement son droit de visite de la mère au moment des repas, à la condition que cette présence assure à l'équipe qu'il accepte de s'alimenter. Lucie, l'infirmière en chef, pense possible d'obtenir l'alliance de cette mère qui s'enfonce pourtant dans la défiance et le dépassement du double cadre ainsi posé...

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée - Critique de « L’intérêt d’Adam », de Laura Wandel

Léa Drucker.

© DR.

Laura Wandel signe là un admirable cas clinique mettant à l'épreuve nos représentations éthiques et illustrant la nécessité d'un dialogue anticipé et capable de souplesse entre les différents corps sociaux concourant à la protection de l'enfance en danger. Au risque sinon de laisser dériver leurs représentants à la merci de leurs représentations personnelles et des émotions qui les brouillent.

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. Le fameux proverbe immortalisé par Musset, et qui s'applique impeccablement à ce film, vient signifier à quel point, dans certaines situations, la dichotomie s'impose, alors qu'elles exigeraient pourtant tout l'inverse, plus particulièrement en médecine où même les solutions radicales et indispensables sont parfois loin d'être faciles à appliquer. Ainsi en est-il d'Adam, jeune garçon hospitalisé dans un service de pédiatrie en Belgique, que les carences alimentaires engendrées par sa jeune mère célibataire ont conduit à une altération dangereuse de son état général. Que faire, jusqu'où aller, alors que seule la présence de la mère semble pour l'instant permettre à l'enfant de s'alimenter volontairement, et que cette même présence va à l'encontre de la décision judiciaire de séparation ? 

On pourra reprocher à Laura Wandel de fictionnaliser de trop cette situation paradigmatique, mais ce qu'elle montre admirablement est à quel point l'hôpital représente un lieu tiers face à de nombreuses situations critiques hors du champ direct de la médecine proprement dite, et combien son personnel peut rapidement se retrouver désarmé dans cette double injonction à devoir assurer la sécurité de son patient en ne pouvant user pleinement de prérogatives encadrées, et c'est fort heureux, par des normes légales et/ou éthiques. Le service hospitalier, élastique tendu entre les nécessités du fonctionnement institutionnel - fragilisées par les limites de moyens budgétaires et humains - et les interventions extérieures telles celles de la justice, devient ainsi le coeur d'une dialectique confrontée au risque permanent d'une auto-conflictualisation. Et même si un fonctionnement comme celui des UAPED - Unités d'Accueil Pédiatrique Enfants en Danger - permet une meilleure articulation entre des secteurs mus par des objectifs distincts et des priorités différentes, le facteur humain reste suffisamment en proie à la subjectivité et à la vulnérabilité pour que l'édifice reste fragile et que certains dilemmes demeurent.

Le talent de Léa Drucker, probablement plus que le scénario stricto sensu, permet au film de ne jamais sombrer 

La réalisatrice a la bonne idée de centrer son récit sur une seule personne, l'infirmière en chef du service, pour nous en faire éprouver à la fois les doutes et la ténacité, dans sa recherche constante de "l'intérêt d'Adam" qui la place peu à peu en rupture de sa hiérarchie voire de son exercice. Le talent de Léa Drucker, probablement plus que le scénario stricto sensu, permet au film de ne jamais sombrer dans les deux écueils qui le guettent: la binarité et l'empathie à outrance. Comme à chacune de ses compositions, elle apporte suffisamment de nuance, de complexité, de trouble, pour que l'on ne soit pas, à l'instar de Leonie Benesch dans En première ligne - sorti quelques semaines auparavant, et avec lequel on ne pourra s'empêcher de comparer le film alors qu'ils ont peu à voir - totalement à ses côtés. Les motivations de Lucie ne sont ainsi pas totalement univoques, échappent à l'hypothèse réductrice de l'abnégation, quand bien même elle serait légitimée par et l'on sent qu'à travers sa confrontation à cette mère sur la brèche, à la fois inquiétante et désarmante, interprétée par une intense Anamaria Vartolomei, ce sont des gouffres intérieurs qui sont sur le point de s'ouvrir, ou de se réveiller.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/linfirmiere-pleure-critique-de-en-premiere-ligne-de-petra-volpe

En résulte un film dont l'apparente épure à la Dardenne se double d'une finesse inattendue dans sa capacité à jongler entre la complexité sociétale et le hors champ psychologique. Un film insecure habité par des portes qui ne cessent de dysfonctionner, d'être claquées ou forcées, et qui, dans sa scène ultime et suspendue, finit de nous convaincre de son talent à les maintenir entr'ouvertes. 

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