Ce singulier exercice de cinéma, au-delà de résonner en nous par d’inévitables similitudes, est doublement saisissant, en ce qu’il constitue à la fois une très touchante « affaire de famille » et l’éveil progressif, et sous nos yeux, d’une conscience professionnelle.
Les premières séquences de Toubib sont nécessairement remuantes, puisqu’issus du même tronc commun et de ses identiques, et quelque part un peu traumatiques, racines, nous reviennent à la pelle des souvenirs de révisions absurdes, de solitude et d’abnégation extrêmes, sur lesquels le frère bienveillant est loin de faire l’impasse. Ainsi en est-il également d’un stage Erasmus en Bulgarie qui a tout d’une odyssée intérieure. Comme si, au travers de ce compagnonnage d’un genre inédit, il s’agissait avant tout, pour le cinéaste, de mettre au jour, et peut-être de concourir indirectement à l’éclosion d’un discours sur soi, d’une prise de conscience, celle que tout, nécessairement, évolue. Notamment quand on est jeune. Surtout lorsque l’on est confronté si tôt, si vite, si fort, si souvent, à l’expérience du soin, d’une relation qui s’établit sous le prisme de la souffrance de l’un des deux, sans pour autant que celle de l’autre ne compte pour rien.
« Parce qu’il est filmé par son frère, ce jeune médecin devient un peu, et doublement, le notre »
Cette souffrance - permettons-nous de l’appeler ainsi puisque nous la connaissons - qu’il y’a à perdre si jeune un parent, un guide - qu’il l’ait été de son vivant ou qu’il le soit devenu de par sa mort - n’est pas pour rien dans le cheminement d’Angel, celui de sa vocation comme de son lien à l’Autre. La façon dont il évoque, à la fois sans détour et au prix d’un effort que l’on sent initié par la pudeur, son rapport au manque, ou plutôt à l’absence de manque relationnel, émeut par sa sincérité directe. Elle permet aussi de constater a posteriori à quel point, et sur un temps psychique finalement très court, l’exercice de la profession permet de sortir d’une posture et d’enjeux individuels pour s’ouvrir au corps social et au monde. Car si Angel est presque toujours envisagé par son frère comme le seul acteur, si ce n’est de sa vie, du moins de son film, s’attardant volontiers et malicieusement sur des expériences nécessairement solitaires comme celles de l’échec ou de la honte, c’est bien par ses rencontres, filmées telles une ellipse temporelle et la brutale irruption d’une lumière et d’une respiration, qu’il semble se découvrir. L’introspection ne s’opère dès lors plus tant par le verbe que par l’acte. Celui de soigner, progressivement moins des individualités que le collectif qu’elles constituent.
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/video/la-consult-dangel-page-le-film-toubib-cest-sur-le-developpement-dun-jeune-medecin-entre-20-et
Parce qu’il est filmé par son frère, ce jeune médecin devient un peu, et doublement, le notre. Et, puisqu’il s’agit de liens de sang, au portrait et à l’émancipation de l’impétrant médecin semblent se superposer ceux du cinéaste, qui aux plans et au découpage statiques et géométriquement appliqués, ainsi qu’à la posture silencieuse des premiers chapitres, préférera progressivement une caméra plus mobile, plus exploratrice, ainsi que de brèves incursions dialoguées. Comme si ce geste était devenu, pour lui, de plus en plus nettement celui d’un adoubement fraternel.