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Yeang Chheang est sur le point de réaliser son rêve, après soixante ans d'une carrière bouleversée par les violences des Khmers rouges : chasser le paludisme du Cambodge.
« Quand on a commencé le travail, c'était tellement difficile parce qu'on manquait de personnel avec des connaissances solides », se souvient le scientifique à la retraite, âgé de 87 ans.
Dans le pays, seuls 355 cas ont été détectés en 2024, et le dernier décès remonte à 2018, selon les autorités. Rien que sur l'année 1997, le bilan s'élevait à 865 morts et 170 000 infectés.
Premier expert cambodgien en entomologie médicale, Yeang Chheang a commencé dans les années 1960 en collectant des larves et des moustiques dans le Nord-Est, considéré comme un foyer de la malaria.
Les Khmers rouges ont mis un terme brutal aux recherches, durant quatre années de terreur qui ont décimé le pays : entre 1975 et 1979, près de deux millions de personnes sont mortes d'épuisement, de famine, de maladie ou à la suite de tortures et d'exécutions. Yeang Chheang a perdu son épouse, leur fils, trois frères, une soeur, et sa mère.
Phase finale de la lutte
Déplacé dans un camp de travail, il a poursuivi sa mission en soignant les patients atteints de paludisme à l'aide de comprimés qu'il a récupérés dans les piles de médicaments jetées dans les rues au moment de quitter Phnom Penh.
Les cadres khmers rouges l'ont épargné après qu'un haut commandant, atteint de paludisme, a été guéri grâce à un traitement qu'il a dispensé. « Grâce à mes médicaments, j'ai pu survivre et je n'ai pas eu à travailler dur pour transporter de la terre ou creuser des canaux », déclare-t-il.
A la chute de la dictature ultra-maoïste, Yeang Chheang a rejoint un groupe d'experts qui ont repris un programme national de lutte contre la malaria.
Le gouvernement cambodgien a initié en 2011 un plan national visant à éliminer le parasite avant 2025.
Après la découverte de cas de résistance aux traitements antipaludiques, source d'échecs thérapeutiques, le pays utilise désormais des molécules jugées plus efficaces.
Huy Rekol, directeur du Centre national de parasitologie, entomologie, et contrôle du paludisme, estime que le pays entre dans la phase finale de la lutte contre le paludisme.
Changement climatique, migrations et politique américaine : les grands obstacles
Le Cambodge doit maintenir zéro cas de paludisme indigène pendant au moins trois années consécutives pour être certifié exempt de paludisme par l’OMS.
Marianna Trias, qui représente l'OMS au Cambodge ajoute que cette certification pourrait être « un exemple fort pour d'autres pays, qui les inspirerait pour poursuivre le même objectif ».
En cas de succès, le Cambodge sera seulement le quatrième pays d'Asie à réaliser cet exploit, après la Chine, Brunei et Singapour.
Environ deux tiers des cas signalés en 2024 proviennent des régions reculées du Nord-Est, où des volontaires locaux se sont engagés à participer à la lutte.
Dans le village de Pu Kesh, perdu au milieu de la province montagneuse de Mondolkiri, Nhoun Niyok effectue des tests rapides de dépistage, distribue des médicaments, et rappelle aux villageois les bons gestes à adopter, comme utiliser des moustiquaires traitées aux insecticides.
« Peut-être que le rêve va devenir réalité », poursuit le bénévole de 37 ans. Au village, la dernière infection remonte à septembre 2024, explique-t-il.
Mais les experts préviennent que le changement climatique, qui peut favoriser la prolifération de moustiques, et les transmissions transfrontalières impliquant des migrants et des populations nomades pourraient faire échouer les efforts du Cambodge.
Certaines de ces initiatives ont été financées par l'Agence américaine pour le développement (USAID), et avec l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, le futur de ces aides est incertain.
L'OMS estime à 263 millions le nombre de cas de paludisme, soit onze millions de plus que l'année précédente, et 597 000 décès, dans le monde en 2023.
Après tant d'années, Yeang Chheang pense que l'éradication du paludisme est « absolument impossible » en raison des migrations de population. « Il y en aura toujours... Je pense qu'il ne sera pas totalement éradiqué. »
Avec AFP