Crime et ravissement

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Critique de "Roubaix, une lumière", de Arnaud Desplechin (sortie le 21 août 2019). 

Crime et ravissement

Roubaix, de nos jours. Un commissaire natif de la ville et un jeune inspecteur exigeant mais inexpérimenté se retrouvent à enquêter sur le meurtre sordide d'une vieille femme. Quand la vérité ne fait pas forcément sens et n'arrange personne, reste l'humanité comme ultime exigence et possible salut. Un polar à la fois complexe et limpide, sombre et lumineux. Tout comme la foi qu'il décrit et qui l'habite....

Tout comme Un conte de Noël, l'un de ses précédents films, le dernier Desplechin se passe à Roubaix... et à Noël. La comparaison ne s'arrête pas là, ce film sur la lumière survivant à la pénombre, à la noirceur, prenant par moments des allures de conte. Un conte d'Andersen dans lequel deux petites marchandes d'allumettes des temps modernes tentent de survivre aux brûlures qu'elles se sont elles-mêmes infligées, à un crime qu'elles ont bien de la peine à comprendre, tant leur logique de la débrouille recouvre tout, rend inutile tout questionnement. Un conte dans lequel deux flics, l'un qui pressent tout et ne voit donc pas l'utilité qu'il y aurait à parier de l'argent aux courses de chevaux qui semblent être sa seule passion, l'autre qui se rattache à sa foi comme à un dernier rempart à son intolérance à l'incompréhension, tentent, mine de rien, de sauver ces marginales du néant - et cette ville du chaos, du non-sens. Pas vraiment un conte, mais plutôt une parabole. Car Roubaix, une lumière est un film habité par la foi, celle qui est chevillée à l'âme de Louis, mais aussi celle, plus cachée et moins évidente, de Daoud, dont on ne sait dans quelle mesure il se sent prisonnier de sa ville ou s'il y a trouvé une réconciliation intérieure. Et celle, tout simplement et avant tout, en la lumière présente en chaque homme.

La prouesse de Desplechin est de se servir d'un matériau documentaire, certifié réel, de ne quasiment pas le remanier, d'utiliser sa brutalité - au sens physique du terme - pour le conduire exactement où il veut. Il reste un cinéaste démiurge, plus que jamais même, et réussit encore plus le paradoxe d'habiller le réel de romanesque, de littérature, de musicalité, de mouvements soigneusement orchestrés... pour le rendre encore plus réel. Cela a toujours été son obsession, sa gageure, mais il semble qu'avec ce nouveau protocole il se rapproche encore plus de cette vertigineuse énigme qui veut que l'artificialité - celle de l'art, mais aussi celle des procès - puisse être une condition à l'expression de la vérité - puisqu'elle n'existe pas. Le film part d'un foisonnement habituel chez Desplechin pour peu à peu se resserrer sur quatre protagonistes, réunis autour d'une séquence étirée à l'extrême, culminant au moment de la reconstitution du crime - moment passionnant qui illustre à lui seul ce qui semble être son intention première : rendre compte de façon aussi précise que possible de l'émergence de la vérité. Ainsi, le film a tout et rien à voir à la fois avec le polar comme avec le documentaire. Desplechin explore à nouveau un chemin, et c'est passionnant.

Le film doit aussi énormément à ses interprètes. Chacun est bien traité, magnifiquement dirigé, exhale une vérité et une profondeur au diapason de cette œuvre à bien des égards spirituelle et philosophique, sans aucune lourdeur dans le texte et l'arrière-texte. Certains n'ont qu'une scène ou deux, mais visent d'emblée juste. D'autres se dévoilent de façon plus progressive, à l'image de ces deux jeunes filles paumées dont le mystère restera entier jusqu'au bout, sœurs Papin des bas-fonds, créatures dostoïevskiennes, figures religieuses, criminelles et pécheresses. Mention spéciale à Sara Forestier qui, tout en semblant abonnée à de tels rôles, n'a jamais été aussi désarçonnante, aussi stupéfiante. Il faut enfin saluer ceux qui portent le film et font de ce duo de flics improbable, entre Simenon et Bernanos, la pierre angulaire de cette fausse fiction: Antoine Reinartz, dont l'intelligence de jeu ne tarit pas la fièvre, et surtout Roschdy Zem, dont la maturité n'empêche pas les fêlures. On n'avait pas ressenti un tel état de grâce, une si lumineuse complexité depuis, excusez du peu, Des hommes et des dieux...

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