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« On peut parler de traumatisme général » qui prend des formes diverses et plus ou moins graves selon les personnes, a résumé à la barre Jean Coudray, psychologue clinicien qui a examiné sept victimes.
Jugé à Vannes depuis le 24 février pour des faits de viols et d'agressions sexuelles commis sur 299 patients, Joël Le Scouarnec s'en est pris en grande majorité à des mineurs, parfois endormis ou en phase de réveil au moment des faits.
Certaines des victimes ont des souvenirs plus ou moins précis des violences sexuelles qu'ils ont subies entre 1989 et 2014 mais la majorité n'en avaient pas, parce qu'ils étaient inconscients ou avaient « refoulé » les faits comme mécanisme de défense, pour « pouvoir continuer à vivre », ont expliqué les psychologues entendus à la barre.
Et la révélation des faits, méticuleusement consignés par Joël Le Scouarnec dans ses journaux intimes, a presque toujours été « un choc » pour eux. Souvent aussi, l'annonce des violences sexuelles a fait écho à un mal-être ou des traumatismes enfouis, que les victimes n'arrivaient pas à s'expliquer.
Des syndromes de stress post-traumatique à divers degrés, estime Clémentine Wuilleme, psychologue ayant examiné une quinzaine de victimes.
Les mots écrits par l'ex-chirurgien ont ainsi un « effet ravageur » chez une femme, violée digitalement lors d'une consultation à l'âge de onze ans à la suite de maux de ventre. Après sa convocation chez les gendarmes, elle passe des semaines à se questionner dans un « état de malaise généralisé ».
Une autre femme dit avoir été tellement choquée par cette révélation qu'elle perd 26 kg en l'espace d'un an et « rejette son corps » avec à la clé d'importantes difficultés d'ordre sexuel.
D'autres encore « n'ont pas supporté l'information qui leur a été donnée », a déploré Me Francesca Satta, qui représente les familles de deux victimes ayant mis fin à leur jour.
« 14 médicaments par jour pour tenter de survivre »
Mais pour certaines victimes au contraire, la découverte des violences, ignorées ou occultées mais qui pesaient sur eux depuis l'enfance, peut aussi avoir une fonction libératrice, comme une catharsis. Un jeune homme souffrant de multiples traumatismes dira ainsi à Clémentine Wuilleme: « maintenant, Le Scouarnec, c'est plus ma bataille. Je suis prêt à passer à autre chose ».
S., que Joël Le Scouarnec a reconnu mercredi avoir violée digitalement quand elle avait 13 ans en 2002 à la faveur d'une anesthésie générale pour un ongle incarné, n'en est pas encore là.
« Il y a un sentiment de délivrance d'un côté, le soulagement de savoir » ce qui peut enfin expliquer cette « intime conviction d'avoir subi des sévices sexuels mais sans aucun souvenir précis », explique-t-elle à la barre.
Mais il y aussi l'incrédulité, le fait que « je ne peux pas croire qu'on ait pu me faire ça », ajoute la jeune femme.
Jusqu'à ce que les gendarmes lui lisent les « passages sordides » où l'ex-chirurgien décrit les viols dans ses carnets, S. est incapable de relier à un fait quelconque les multiples traumatismes qui la minent.
Après l'opération et les viols, elle devient dépressive et doit être hospitalisée car elle ne s'alimente plus du tout. Elle a des cauchemars récurrents, fait des tentatives de suicide, prend « 14 médicaments par jour pour tenter de survivre » puis sombre dans la drogue et finit en foyer, relate-t-elle devant la cour et un accusé toujours figé dans son box.
A 16 ans, durant sa première relation sexuelle, elle se met à vomir et fait un malaise, sans pouvoir l'expliquer.
« J'ai l'impression de vivre dans un corps que je ne connais pas », se souvient-elle.
S. souffre toujours de phobies. « Mais je sais aujourd'hui que je ne suis pas folle. L'accusé ne m'a pas seulement violée, il a aussi volé ma mémoire et brisé ma jeunesse », lance-t-elle.
Surtout, grâce à ce procès, « je commence à en parler à mes amis » et « j'arrive petit à petit à me réapproprier mon histoire », souligne la jeune femme, un brin de fierté dans la voix.
Avec AFP