« Atteinte de muco depuis ma naissance, pour moi c’est presque une revanche d’être aujourd’hui à la place du médecin »

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Aurore Franceschini vient de commencer son internat en endocrinologie au CHU de Marseille. La spé qu’elle voulait absolument. Et si elle a cartonné aux ECNI, pourtant, Aurore n’est pas une étudiante comme les autres. Depuis la naissance, elle vit avec l’épée de Damoclès de la mucoviscidose. Elle raconte son rapport à la mort, aux études, à la médecine… Voici le témoignage puissant d’une interne qui connaît trop bien la maladie…

« Atteinte de muco depuis ma naissance, pour moi c’est presque une revanche d’être aujourd’hui à la place du médecin »

Aurore Franceschini, une interne qui connaît (trop) bien la maladie.

© DR.

What’s up Doc : Donc racontez-moi, vous êtes interne et malade ?

Aurore Franceschini : Oui je suis atteinte de mucoviscidose, diagnostiquée à mes 18 mois, donc j’ai toujours vécu avec. Et donc depuis ma naissance jusqu’à l’année dernière, j’ai fait de la kiné quotidienne, des inhalations, je prenais une vingtaine de médicaments par jour. Pendant mon adolescence, j’avais tous les ans des cures d’antibiotiques en intraveineuse. Il y a 3 ans j’ai aussi subi une bilobectomie, donc on m’a retiré la moitié d’un poumon. Et il y a un an, tout a changé. Un nouveau traitement est sorti pour la muco, qui ne nous guérit pas, mais qui est miraculeux, sur la qualité de vie et qui ralentit la maladie et améliore certains symptômes. J’ai la chance d’être éligible à ce traitement.

 

Donc votre vie a changé ?

AF. : Totalement. Bien sûr je suis toujours malade, et le demi-poumon qu’on m’a enlevé ne reviendra jamais, donc il y a des points négatifs qui restent. Mais je suis passée de 20 à moins de 10 médicaments par jour, je ne fais plus de kiné depuis 6 mois. C’est un gros changement pour moi. Je ne fais plus d’inhalation non plus, alors que j’en faisais 4 par jour l’année dernière, c’est un gain de temps énorme. J’ai gagné 15% de capacité respiratoire, je n’ai plus de cure antibiotique. C’est assez exceptionnel !

 

Est-ce que sans l’arrivée de ce traitement vous auriez pu aller au bout de votre 6e année et des ECNI ?

AF. : En fait j’ai toujours fait passer mes soins et ma maladie avant le reste, et d’ailleurs je n’avais pas le choix. Ça demandait une organisation militaire, ça me prenait beaucoup de temps, mais pour moi c’était comme ça, il fallait le faire et je l’ai fait pendant les 5 premières années. Tout le monde prend sa douche tous les jours, pour moi il y avait la kiné et les inhalations en plus. Donc je serais allée au bout, mais c’est sûr que ça aurait été encore plus difficile. Quand j’ai été opérée du poumon, deux semaines après j’étais en stage. Pas parce qu’on m’a obligée mais parce que je le voulais. Pourtant je n’étais pas forcément bien remise. Mais j’ai toujours fait en sorte que la muco ne m’empêche pas de poursuivre mes études. J’ai eu la chance, aussi, d’aller plutôt bien. Pour certains la maladie ne leur laisse pas de temps pour travailler.

 

« Quand je voyais les médecins qui s’occupaient de moi, j’avais beaucoup de gratitude envers eux, et j’avais envie de faire pareil pour quelqu’un d’autre. »

 

 

Est-ce que c’est d’être malade depuis votre naissance qu’est née votre vocation de médecin ?

AF. : Je pense que quand on choisit un métier ça a un rapport avec sa vie. Moi le milieu médical, les médecins, les infirmiers, je connais ça depuis toujours. J’ai appris à faire mes lacets à l’hôpital. Quand je voyais les médecins qui s’occupaient de moi, j’avais beaucoup de gratitude envers eux, et j’avais envie de faire pareil pour quelqu’un d’autre.

 

Parce que vous auriez pu être écœurée des hôpitaux et des médecins ?

AF. : Oui j’aurais pu. Mais les bons médecins que j’ai rencontrés (il y en a aussi eu des mauvais), m’ont tellement fascinée par le fait qu’ils pouvaient m’aider, j’ai eu tellement de reconnaissance, qu’au final, j’ai voulu faire comme eux. Je suis dégoûtée des hôpitaux en ce qui concerne ma pathologie, je déteste aller à l’hôpital quand c’est moi la patiente, mais en étant de l’autre côté, on ne voit pas les choses de la même façon. Il y une dichotomie, je sépare les deux. Pour moi c’était presque comme une revanche de pouvoir être à la place du médecin et plus à la place de la patiente dans ma vie d’adulte.

 

Et est-ce qu’au cours de vos stages vous avez suivi des patients atteints de mucoviscidose ?

AF. : Alors non. Il faut savoir que j’ai beaucoup discuté avec mon médecin avant de me lancer dans ces études-là. Parce qu’avec la muco, on est plus fragile et on peut facilement attraper des infections pulmonaires. Donc il faut quand même faire très attention. C’est vrai que médecine et muco ce n’est pas forcément le premier métier qui va être conseillé. A l’hôpital traîne tout un tas de choses qui ne sont pas très sympas. Donc dès le début avec ma pneumologue, on s’est dit, ok pour médecine, parce qu’il y a plein de façons d’être médecin et tout n’est pas contre-indiqué avec la muco, mais pas d’infectiologie, pas de pneumologie. J’ai eu la chance avec la fac de pouvoir organiser mes stages, pour que je ne tombe jamais dans un service qui est dangereux pour moi. Donc je n’ai jamais vu de patients atteints de mucoviscidose, et c’est bien comme ça. La muco, moins j’en sais, mieux c’est.

 

Et ça a été organisé à l’amiable avec la fac ou c’est un accompagnement qui existe pour tous les étudiants malades ?

AF. : Ça a été fait dans le cadre d’un PPES (Projet Personnalisé dans l’Enseignement Supérieur) avec la médecine préventive de ma faculté. On a décidé de ce que je pouvais faire ou ne pas faire, et un certificat a été envoyé à la fac. Mais je n’ai jamais eu de souci pour faire respecter mes droits et on ne m’a jamais embêtée avec ça.

 

Mais quand vous passez aux urgences, vous ne pouvez pas savoir de quoi les patients sont atteints ?

AF. : En gros, il y a des services comme les urgences, où il y a de gros risques et dans ce cas-là il vaut mieux que je n’y aille pas. Dans les stages où il n’y a pas de gros risques, par exemple la gynécologie, l’endocrinologie, on prend quand même des précautions à l’hôpital, pour tout le monde, se laver les mains en rentrant, en sortant de la chambre, mettre un masque dès que le patient tousse. Maintenant avec le Covid, on a la chance que les masques se soient généralisés. Mais à l’époque ce n’était pas toujours le cas. Et moi j’ai toujours pris les précautions qui sont recommandées, mais qui n’étaient pas toujours exécutées par tous. Je dois être attentive à l’hôpital à me protéger un maximum, et jusqu’à présent je n’ai jamais eu de souci, d’autant plus que maintenant je suis endocrino. Et en endoc, c’est rare les patients qui sont infectés au niveau pulmonaire. Donc en prenant les précautions qui sont classiques, il n’y pas de raison que ça se passe mal.

 

« Lors de mon premier stage, la cadre infirmière m’a dit que je n’avais rien à faire là, une autre m’a dit ne m’approche pas je ne veux pas choper ta maladie »

 

Et quelles sont les réactions quand vos profs et collègues ont appris votre maladie ?

AF. : Ça a été un gros stress pour moi de savoir s’il fallait en parler ou pas au tout début de mes études. Par exemple, lors de mon premier stage avant la deuxième année. Je voulais en parler. Ce n’est pas une honte, et comme je nécessite quand même des précautions, je voulais tenir au courant, au moins mes supérieurs. Et lors de ce premier stage, ma supérieure était la cadre infirmière, et je suis allée lui en parler et je n’ai pas été très bien reçue. Elle m’a dit que je n’avais rien à faire là, qu’en étant malade je n’avais pas à faire des études médicales… Ça a été assez difficile, je me suis beaucoup remise en question après. Et une deuxième personne dans ce stage m’a humiliée devant des patients. On était dans le couloir, elle m’a dit, ah c’est toi qui as la muco, ne m’approche pas, je ne veux pas choper ta maladie… C’était complètement débile car la muco est génétique, mais je me suis quand même pris la honte devant tous les patients. Et ces deux personnes m’ont fait beaucoup de mal dans mon tout premier stage, alors que je n’avais pas trop confiance en moi. Ensuite, j’ai eu des chefs très bienveillants.

 

Avant le traitement miraculeux, vous étiez certaine d’avoir la force d’aller jusqu’au bout des études de médecine ?

AF. : Ça a été la grosse question. Déjà quand je suis arrivée en médecine je savais que c’était difficile, mais avant ça j’avais toujours été bosseuse, dans une scolarité normale, avec de bons résultats. Je savais que potentiellement je pouvais y arriver. Mais quand j’ai eu le concours, je me suis dit, il me reste 10 ans d’étude, comment je vais faire ? Alors que moi dans ma tête, depuis toute petite, je pensais que j’allais mourir à 23 ans comme Grégory Lemarchal. En fait j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont élevée comme mes sœurs qui ne sont pas malades, qui ont toujours tout fait comme si j’allais vivre une vie normale. Du coup, même en me disant je vais peut-être mourir à 23 ans, j’avais envie quand même de faire ce que je voulais de ma vie et ne pas laisser la muco tout décider. Je pense que j’ai eu raison, parce que là j’ai 24 ans dans deux semaines et je ne suis toujours pas morte, du coup je ne regrette pas. Mais sur le moment, me lancer pour 10 ans d’étude ça m’a fait peur, surtout la peur de ne pas arriver au bout. Après c’est juste du travail sur soi, j’ai vu une psychologue de ma première année à ma sixième année. Il m’a fallu un long travail pour me dire que peut être que j’allais vivre plus longtemps et que j’allais peut-être pouvoir aller au bout de mes études.

 

Vous n’avez jamais eu un emploi du temps aménagé, moins de stages ?

AF. : Non, je n’ai jamais eu moins de stages, j’ai juste eu la possibilité de choisir mes stages en priorité, pour qu’ils soient adaptés à moi, en fonction des services qui craignent pour moi, mais aussi pour les horaires. Je ne prenais pas de stages où il fallait être à l’hôpital à 6 h du matin, parce qu’avec la kiné et mes traitements ce n’était pas possible. J’ai juste été en arrêt pendant le Covid, parce qu’on ne savait pas si c’était dangereux pour la muco.

 

Et vous n’avez jamais subi la jalousie de vos co-externes ?

AF. : Au tout début de l’externat quand les gens ont vu que je choisissais avant tout le monde, et qu’ils ne savaient pas pourquoi, il y a eu des réflexions. Il y a des pistonnés ici. Mais j’ai entendu et je suis allée les voir, pour leur dire que s’ils voulaient la muco je leur laissais aussi la possibilité de choisir les stages. Ils se sont sentis mal et se sont excusés. Je sais que je n’ai rien volé à personne et que finalement ce n’est pas grand-chose de pouvoir choisir son stage avant tout le monde par rapport aux difficultés que j’ai rencontrées pendant mes études.

 

« Même si j’ai toujours eu peur de mourir à 23 ans comme Grégory Lemarchal, j’ai toujours essayé de me projeter quand même, pour mener la vie que je voulais »

 

C’est fascinant ce choix de faire de longues études, au lieu de profiter, alors que vous pensiez mourir à 23 ans.

AF. : Quand mes parents ont su que j’avais la muco, les médecins leur ont dit : votre fille ne vivra pas au-delà de ses 15 ans. Et pourtant, ils ne m’ont jamais fait sentir dans leur éducation qu’ils avaient peur que je meure jeune. C’est à mes 15 ans que ma mère m’a raconté ça. Ils ont voulu me donner une vie normale, avec des règles aussi, et je les en remercie. Car je connais des gens qui ont vécu au jour le jour sans faire de projet, et qui maintenant avec les traitements se sentent perdus, parce qu’ils n’ont pas pu construire la vie qu’ils voulaient. Moi j’ai réussi à le faire parce que j’étais entourée. Et même si j’ai eu peur de mourir à 23 ans, que c’était un peu le compte à rebours dans ma tête, j’ai toujours essayé de me projeter un peu quand même de force, pour mener la vie que je voulais. Je suis reconnaissante de ça.

 

Et d’être une patiente “professionnelle“ avec un pronostic vital engagé depuis toujours, qu’est-ce que ça change dans votre exercice de médecin ?

AF. : Je pense que c’est positif comme négatif. Je ne peux pas me mettre totalement à la place d’une personne qui a le cancer, mais je peux me mettre à la place de quelqu’un à qui on donne un mauvais pronostic. Et d’un côté, ça donne de l’empathie et de la compréhension, mais ça va être compliqué de mettre la juste limite, pour me protéger et ne pas prendre personnellement chaque pronostic. Ça peut aussi m’aider à mieux comprendre et écouter les patients, parce que par moment, je me suis sentie pas écoutée, donc me mettre à leur place, sans faire non plus un transfert sur eux.

 

Vous avez choisi une spécialité où vous pouvez être confrontée à la mort.

AF. : Pas tant que ça, ça reste une spé facile au niveau mort par rapport à la réa, ou la neuro. Mais oui je serai confrontée à des patients avec des pronostics vitaux engagés, et comme pour tous les médecins, ça s’apprend. Et c’est presque une honte pour les médecins, comme dans la population générale, d’aller voir un psychologue, et moi j’ai dépassé ce stade. Et si j’en ressens le besoin j’y retournerai. Pendant mes 6 ans de psychothérapie, j’ai déjà beaucoup parlé de la mort. Ce n’est pas parce qu’on est médecin que rien ne nous touche.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/de-medecin-patient-flora-dermatologue-lhopital-les-medecins-parlaient-entre-eux-comme-si-je

 

Et donc sur la muco, vous voulez rester patiente, presqu’un peu ignorante ?

AF. : Totalement. J’ai la chance d’avoir ma pneumologue qui est soit dit en passant, un médecin extraordinaire à qui j’aimerais beaucoup ressembler, qui a toujours fait la différence entre moi l’étudiante et Aurore la patiente. Quand je suis avec elle, elle m’explique toujours tout, comme si je n’étais pas en médecine et elle me laisse cet espace pour être 100% patiente. Et c’est hyper important, d’être pris en charge quand on est soi-même touché. Dans mes études j’ai dû apprendre des choses sur la muco que je ne connaissais pas, des complications éventuelles, ça a été une source d’angoisse, je n’ai pas envie d’en savoir plus, juste ce qui me concerne dans la muco. Les pneumologues connaissent la pathologie, moi je suis endocrino. Je préfère garder ça loin de moi.

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