Accès aux soins :  Jeunes psychiatres et psychologues sont-ils prêts à collaborer ?

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Depuis la parution du rapport de l'Igas le 7 février dernier sur la prise en charge coordonnée des troubles psychiques, les réactions sont plutôt favorables. Mais la perspective d’une collaboration renforcée entre psychiatres et psychologues autour du patient fait ressurgir des questions enfouies.

Accès aux soins :  Jeunes psychiatres et psychologues sont-ils prêts à collaborer ?

Jeunes psychiatres et psychologues se connaissent-ils suffisamment bien pour travailler en réseau autour du patient ? Que pensent les psychiatres d’une possible généralisation du remboursement des consultations de psychologues ? La formation actuelle des psychologues est-elle adaptée ?
Autant de questions soulevées par le récent rapport IGAS. Après notre article du 17 février, les réactions ont été nombreuses sur Twitter. De nombreux lecteurs psychologues ont ainsi été passablement excédés de voir leur formation ainsi dénigrée par le responsable du syndicat des psychiatres français (SFP). Nous avons eu envie de donner la parole aux jeunes psychiatres et psychologues pour savoir s’ils étaient prêts à collaborer et à quelles conditions.

Une question qui arrive un peu tard…

« Je trouve ça vraiment dommage qu’on ne se pose pas la question de l’accès aux psychologues que dans un moment de pénurie de psychiatres. Partout en Europe, la question s’est posée à un moment de réflexion plus globale. On a besoin des psychiatres ET des psychologues évidemment », souligne Gladys Mondière, psychologue et coprésidente de la fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP).
De leur côté, les représentantes de l’association des jeunes psychiatres et addictologues (AJPJA) indiquent que l’AJPJA débat régulièrement de cette question de collaboration renforcée. « Lors de nos journées d’octobre 2018, nous avons insisté sur l’importance d’un travail collaboratif et sur la co-construction du parcours de soins des patients. Dans le public, la collaboration psychiatres-psychologues fonctionne déjà bien, dans le libéral c’est moins le cas », indique Marine Lardinois, vice-présidente de l’AJPA.

Une méconnaissance des compétences des psychologues

« Dans ma région (Hauts-de-France), les psychiatres sont débordés et je suis un peu étonnée qu’ils n’adressent pas davantage de patients vers les psychologues.
Je pense que c’est dû en partie à une méconnaissance du travail des psychologues. Nous pouvons passer d’une thérapie brève à une thérapie plus analytique et c’est ce qui fait toute la richesse de notre métier »
, souligne Marie Foulon, 28 ans, psychologue libérale, installée depuis quatre ans à Cautiches (59), dans une zone sous-dotée en psychiatres.
Un avis partagé par l’AJPJA : « le rapport IGAS pose la question de la prescription de séances de psychothérapie et derrière, celle de la connaissance des différentes thérapies par le prescripteur. Il y a une nécessité pour les médecins généralistes et les psychiatres de s’acculturer aux différentes thérapies pour mieux les prescrire », estime Juliette Salles, secrétaire générale de l’AJPJA.
Cette méconnaissance semble concerner également de nombreux patients : « les patients qui arrivent à mon cabinet ne connaissent pas forcément la différence entre psychiatres et psychologues. De plus, ils ont souvent une appréhension à aller chez le psychiatre, notamment par crainte de se voir prescrire d’emblée un traitement médicamenteux », ajoute Marie Foulon.

Qui est pour le remboursement ?

Le rapport Igas pointe la position de certains représentants des psychologues refusant d’intégrer le système conventionnel et de passer « sous la coupe » de l’Assurance maladie. Mais les choses semblent plus nuancées. « Je crois que l’époque où certains psychologues ancienne génération n’étaient pas favorables au remboursement de leurs consultations est passée », estime Marie Foulon.
Les représentants actuels de la FFPP se montrent en l’occurrence favorables à ce remboursement.
« On ne peut qu’y être favorables dans les troubles psychiques pour lesquels les thérapies non-médicamenteuses sont recommandées », estime également Marine Lardinois, vice-présidente de l’AJPJA. « Quand on dit à nos patients qu’il faut poursuivre la psychothérapie en libéral, le premier point qu’ils soulèvent est celui du coût. Si l’on se place du point de vue des patients, cette mesure serait évidemment positive », indique Déborah Sebbane, la présidente de l’AJPJA.   « Les psychiatres ne peuvent pas d’un côté se plaindre d’un système de prise en charge complètement engorgé et de l’autre, avoir la crainte de perdre une partie de leur activité », ajoute-t-elle.
En revanche, pour que cet adressage des psychiatres et médecins généralistes vers les psychologues fonctionne mieux, il faudrait un inventaire des thérapies proposées par les uns et les autres. Parmi les 23 000 psychologies, qui pratique la TCC ? la thérapie systémique ? la thérapie analytique ? et les autres ?
Un répertoire serait extrêmement utile à une meilleure coordination des soins. « Qui fait quoi ? Aujourd’hui, je suis incapable de savoir autour de moi quel psychologue est formé à quelle psychothérapie », reconnaît Déborah Sebbane.
Néanmoins, la question du tarif de ces consultations remboursées par l’Assurance maladie reste entière. « Je vois le remboursement d’un très bon œil mais nous ne sommes pas des médecins généralistes. Nous passons plus de temps avec nos patients. Devoir s’aligner sur le tarif des généralistes serait vraiment compliqué », souligne Marie Foulon.
 

Quid d’une réforme de la formation ?

Le rapport préconise la création d’un diplôme universitaire (DU) ou interuniversitaire (DIU) définissant la qualification de psychologue clinicien, un allongement de la durée de formation (bac+6, voire plus) et une formation renforcée dans le domaine clinique. Qu’en pense la FFPP ? « Depuis un an et demi, nous sommes en discussion avec le ministère de l’enseignement supérieur pour un allongement de la formation. Il est important pour nous d’obtenir un niveau de qualification qui aille au-delà du Master, mais pour l’instant nous n’avons pas arrêté la durée. Cela pourrait être une année ou plus, selon les secteurs », indique Benoit Schneider, co-président de la FFPP et enseignant chercheur en psychologie.
En revanche, le maintien du titre unique de psychologue est un impératif non-négociable selon la FFPP. « Le DU proposé dans le rapport est une voie dangereuse vers laquelle nous ne voulons pas aller car il ne s’agira plus d’un diplôme national. Le risque serait alors celui d’une négociation université par université et d’un détricotage du titre unique », ajoute Benoît Schneider. En revanche, tous les psychologues et psychiatres interrogés s’accordent à dire que le renforcement de la formation clinique des psychologues serait une très bonne chose. « Je pense que ce passage des psychologues dans les services de psychiatrie serait positif car il renforcerait la connaissance des psychiatres par des psychologues et inversement », pointe Marine Lardinois, pour l’AJPJA.
 

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