Un modèle danois (impossible) à copier ?

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On peut toujours essayer

Un modèle danois (impossible) à copier ?

A l'occasion de la Paris Healthcare Week, le système de santé danois était représenté à une table ronde organisée par la Fédération Hospitalière de France (FHF). L'occasion de comparer les systèmes et d'analyser la grande réforme lancée au Danemark en 2007.

"Comment moderniser l'hôpital : France-Danemark, une histoire parallèle ?". Le titre de la table ronde organisée à la Paris Healthcare Week par l'Ambassade du Danemark et la FHF était accrocheur, et l'admiration inconditionnelle que les Français - surtout les politiques et les media - vouent à l'administration des pays nordiques a poussé What's up Doc à y assister.

Le système de santé français, s'il continue de fonctionner, semble arriver en bout de cycle et la situation paraît bloquée, que ce soit à l'hôpital, en ville ou en zones rurales. De l'autre côté de l'Allemagne, le Danemark a, quant à lui, lancé une grande réforme de son sytème de santé en 2007 et, onze ans plus tard, les investissements portent leurs fruits. Pourquoi, alors, ne pas faire comme eux ?

On efface tout et on recommence

Le bilan réalisé en 2007 au Danemark résonne en France, dix ans plus tard : des hôpitaux datant des années 1970, vétustes, des temps d'attente à rallonge aux urgences, des difficultés pour obtenir des rendez-vous chez le généraliste, une espérance de vie des Danois qui peinait à augmenter au-delà de 76 ans... C'était le moment pour lancer un grand chantier sur la santé.

Les Danois ont alors décidé de faire des choix radicaux. "Ils ont décidé de décentraliser", explique à What's up Doc Cédric Arcos, directeur général adjoint du conseil régional d'Île-de-France, notamment en charge des politiques de santé. "Le rôle des régions et les municipalités a été renforcé". En même temps que cette décentralisation, six grand hôpitaux ont été reconstruits, tant dans la pierre que dans l'organisation. Le tout, avec des investissements massifs.

Les MG au centre du monde...

"Les hôpitaux ont été intégrés à la ville, repensés pour faire l'ambulatoire et laisser de la place au numérique partout, que ce soit pour les dossiers des patients, la communication des examens, la télémédecine...", poursuit l'ancien délégué général adjoint de la FHF, aussi ambassadeur du système de santé danois en France. Une place importante a été prévue pour la médecine personnalisée et la prévention, qui a été totalement intégrée à des centres de santé bien séparés des centres hospitaliers. Avec pour objectif d'éloigner les patients des hôpitaux tant que leur expertise ne leur était pas nécessaire.

"Nous avons changé la manière dont nous abordions le système de santé", expliquait Anne Smetana, directrice adjointe de Healthcare Danemark, invitée d'honneur de la table ronde de la FHF. "Un tiers de la population danoise souffre de maladies chroniques, et pour les prendre en charge, nous avons mis en place des initiatives de détection précoce et un maximum de procédures en dehors de l'hôpital. Pour cela, nous avions besoin de soins primaires performants". Tout passe désormais par les médecins généralistes : avant d'être adressé à l'hôpital, un Danois doit d'abord contacter son médecin traitant, pivot du nouveau système de santé.

... dans leur région

Cette refonte s'est faite grâce à la décentralisation. Cinq régions ont remplacé les quatorze départements, et le transfert de responsabilités s'est fait vers ces entités et les 98 municipalités, qui regroupent chacune environ 50 000 habitants. Le ministère de la Santé se contente de donner les grandes orientations stratégiques, mais n'intervient plus dans les détails.

Quel résultat dix ans plus tard ? Le système semble fonctionner. Les activités hospitalières ont été regroupées, mais dans le même temps, un effort a été mis sur la réactivité aux urgences vitales, avec des ambulances mieux équipées et une flotte d'hélicoptères renforcée, par exemple. Les urgences hospitalières sont moins fréquentées et fonctionnent de manière fluide, l'espérance de vie a gagné près de cinq ans. Le tout pour un budget santé par habitant sensiblement équivalent à celui des Français. A se demander ce que l'on attend pour copier...

Imparfaits et fiers de l'être

Sauf que, ce n'est pas si simple. Tout d'abord parce que... nous ne sommes pas Danois. Ou, comme l'a exprimé de manière très subtile Mme Smetana : "Nous ne sommes pas un peuple aussi intellectuel que les Français". Que l'on peut traduire par "Nous, Danois, sommes moins dogmatiques, et un peu plus pragmatiques", exprimé avec les formes. Pour ne pas lui faire dire que les Français sont pénibles et allergiques au changement.

Mais plus concrètement, au-delà des différents corporatismes et capacités de blocage des réformes, plusieurs éléments structurels posent problème. Le Danemark est un pays qui ne compte que 5,6 millions d'habitants, soit près de douze fois moins que la France. C'est un peu moins que la région Occitanie. Les enjeux ne sont pas les mêmes.

S'inspirer sans copier

Ensuite, les médecins de ville ont suivi la réforme. D'une part, parce qu'ils ont peut-être une fibre contestataire moins développée, et qu'ils ont tenté le coup, mais aussi parce que, finalement, elle ne changeait pas tant de choses pour eux. Ils sont salariés, pour l'essentiel de leur rémunération, et n'avaient pas grand chose à perdre de ce côté. Il est à noter que leur niveau de vie est supérieur à celui des médecins français.

Ils ne se sont pas non plus inquiétés de l'évolution de la qualité des soins. "La réforme a été pensée en partant des besoins des patients", souligne Anne Smetana. Par les subdivisions, les politiques régionales ont pu s'adapter aux besoins spécifiques des territoires. C'est l'un des points essentiels soulevés par Cédric Arcos, qui voit là une différence de philosophie avec l'organisation à la française. "Nous sommes un pays très Jacobin, qui aime la centralisation", souligne-t-il. "Au contraire, je pense qu'il faut donner davantage de pouvoir de créativité et d'initiative aux ARS et aux collectivités territoriales, et régionaliser progressivement les financements".

Le spécialiste du système de santé danois précise tout de même qu'il ne doit pas y avoir de "modèle danois", et que leur système ne doit pas être idéalisé. "Mais il ne faut pas non plus sacraliser des dogmes", poursuit-il. "Nous ne sommes sans doute pas assez pragmatiques". Ce diagnostic établi, voici la thérapie qu'il recommande : des accords politiques forts pour garantir la durabilité des réformes,faire confiance aux acteurs locaux et leur donner du pouvoir de décision, recentrer l'Etat sur sa mission stratégique et alléger son poids vertical qui se matérialise dans des lois qui fourmillent de détails et de points de contrôle. Il faut aussi sans doute mettre fin au double pilotage actuel du système de santé entre l'Etat et l'Assurance Maladie, qui est source de cloisonnement  et d'inefficacité, mais aussi de découragement des acteurs quand ils cherchent à travailler ensemble.

Avec une promesse d'amélioration des soins, les différents acteurs seraient-ils prêts à tenter le coup ?

Source:

Jonathan Herchkovitch

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