Tué par balle, ou mort dans les décombres… L’hôpital d’Izioum compte ses médecins morts après 6 mois d’occupation russe

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Pendant six mois d’occupation russe et huit mois de combats quotidiens, l’hôpital d’Izioum, dans l’est de l’Ukraine, n’a jamais cessé de fonctionner pour les civils, opérant les blessés au sous-sol dans la plus grande précarité, et stockant les morts en attendant la libération.

Tué par balle, ou mort dans les décombres… L’hôpital d’Izioum compte ses médecins morts après 6 mois d’occupation russe

© IStock

Parmi les premières villes prises par Moscou en mars dernier, la ville d'Izioum – 46 000 habitants avant la guerre -- a été libérée le 11 septembre par les forces ukrainiennes.

Depuis, l'hôpital a pu retrouver un semblant de fonctionnement normal, après son raccordement à un générateur et l'installation progressive de vitres neuves.

Dans le couloir du rez-de-chaussée, chauffé et qui sent la javel, un patient déambule en pyjama. Une agent d'entretien passe la serpillère, et une secrétaire est plongée dans ses fichiers d'admission.

"On a environ 200 patients aujourd'hui, contre 50 en juin", se réjouit son responsable, le Dr. Yourïi Kouznetsov, un chirurgien de 52 ans.

"Là on avait nos salles d'opération et de réanimation", fait visiter le médecin, le regard perdu vers un trou béant laissé depuis mars à cet étage par l'explosion d'un missile.

Pendant 6 mois il a fait tenir un bloc opératoire dans un entresol

L'homme, dont la fatigue se lit sur le visage, met son épuisement sur le compte de sa garde de nuit. Pas sur les six mois qu'il a passés jour et nuit à faire tenir un bloc opératoire dans un entresol de terre battue et de béton, continuant d'opérer, au nez et à la barbe des soldats russes, installés juste à côté.

"Le plus difficile a été les premiers jours (de l'occupation), avec beaucoup d'incertitude sur ce qu'ils allaient faire de nous", se remémore le chirurgien.

"Après quelques difficultés au départ", sur lesquelles il ne veut pas s'étendre, les Russes ont décidé de laisser le médecin soigner les patients ukrainiens qui se présentaient encore à eux, aidé par une poignée d'infirmières restées aussi.

Les soldats russes avaient installé leur propre hôpital de campagne dans un bâtiment voisin.

"Ils étaient là, en fait à 20 m de mon bureau", explique Yourïi Kouznetsov. Il était en contact quotidien avec eux et assure ne pas avoir été sollicité pour opérer les blessés russes.

"Faire notre travail n'était pas le plus difficile, le plus difficile c'était de rester en vie", dans Izioum, estime aujourd'hui le chirurgien.

Après la reconquête de la ville, sur un site d'enterrement de masse dans une forêt proche, les autorités ukrainiennes ont retrouvé fin septembre 447 cadavres, dont 30 présentant des "signes de torture".

En huit mois de guerre, l’hôpital a perdu deux membres de son personnel

Dans ces huit mois de guerre, l'hôpital a perdu deux membres de son personnel : un des légistes a été tué par balles, et un médecin est mort enseveli sous les décombres de sa maison.

Pendant les combats et les bombardements incessants qui ont ravagé la ville, l'activité de médecine d'urgence a été installée dans le sous-sol de l'établissement, où des brancards tachés servaient de tables d'opération, au milieu des cartons et de la saleté.

"On a perdu des patients, faute de matériel et de médicaments, mais grâce à Dieu, on a pu limiter les décès", explique le médecin.

Les quelques opérations menées dans ce sous-sol ont sauvé des vies, comme celle d'un patient opéré d'une lésion par balle à l'abdomen.

"Il y a quelques semaines, la porte de mon bureau s'est ouverte et un homme est entré en disant : Docteur, vous vous souvenez de moi. Je suis vivant", se rappelle-t-il en évoquant ce patient.

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"On a tous eu au moins un moment où on a pensé à évacuer. Nous avons tous eu des pétages de plombs et des épisodes dépressifs", confesse Youri Kouznetsov.

"Mais c'est pour ces moments et par solidarité avec mes collègues que je suis resté", ajoute le médecin, pressé de pouvoir enfin prendre son premier repos.

Avec AFP

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