Santé mentale des athlètes : quand les anneaux pèsent trop lourd

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Jeter l’éponge pour briser les tabous. La gymnaste américaine Simone Biles a fait les gros titres en déclarant forfait pour l’épreuve collective des Jeux Olympiques ce mercredi 28 juillet. En remettant sa santé mentale au cœur de ses préoccupations, elle est devenue un symbole sur les réseaux sociaux.

Santé mentale des athlètes : quand les anneaux pèsent trop lourd

Séisme olympique. La question de la santé mentale s’infiltre dans le monde du sport. Après la tenniswoman Naomi Osaka à Roland Garros et la lanceuse de poids Raven Saunders, c’est au tour de la gymnaste de 24 ans, Simone Biles, de déclarer forfait pour prendre soin d’elle.

« Dans l’inconscient collectif on a tendance à penser les sportifs de haut niveau exempts de toute fragilité psychique, or les efforts que leur activité, leur position aussi, impliquent, les rendent évidemment vulnérables à une décompensation », explique le Dr Guillaume De La Chapelle, psychiatre. « C’est très important de rappeler que ça peut arriver aux gens qu’on pense invulnérables, de se dire que des gens qui passent 4 ans à se préparer pour 4 minutes d’épreuve peuvent aussi être touchés. Il y a une frontière très mince entre perfectionnisme positif et pathologique. Rappeler cela est très important, permet une déstigmatisation de la pathologie mentale."

Un manque de sensibilisation à ces questions au sein des fédérations ?

« Ces dernières affaires montrent aussi qu’il semble dur d’en parler au sein même des instances sportives, au vu du délai entre l'annonce de sa décision et la tenue des épreuves. Il y a probablement eu une difficulté à traiter cela en interne et en amont: sensibiliser, former à repérer et faire remonter ces situations de détresse psychique, pour ensuite les prendre en compte comme il se doit. Cela évoque beaucoup les situations de souffrance au travail, burn out ou harcèlements, qui restent souvent dans une incapacité d'être dites, par la personne concernée mais aussi l'entourage direct  », poursuit Guillaume De La Chapelle.

« Tout le travail des entraineurs et psys est de permettre à l’athlète de faire abstraction du stress et de la pression que représentent les JO le jour J, pour être pleinement dans l’instant, prendre du plaisir. Simone Biles ne parvenait plus à être focalisée sur ce moment précis à venir, elle disait bien ne plus arriver à être dans le plaisir de l'épreuve, de la performance », ajoute Guillaume De La Chapelle. Avant de saluer le geste de la gymnaste. « C’est bien qu’elle ait parlé, mais si elle l’a fait à ce moment-là, à quelques jours des JO, cela vient montrer une défaillance dans l’accompagnement. On aurait dû lui donner la  possibilité de dire ou de comprendre qu'elle aurait pu abandonner avant », constate Guillaume De La Chapelle.

« Il faut absolument permettre aux athlètes et toute personne qui évolue dans ce milieu de pouvoir être entendue facilement quand il y a une souffrance constatée. Et il faudrait beaucoup plus l’accompagner humainement, et pas uniquement sur le plan sportif, c'est-à-dire dans le but prioritaire de préserver la performance. Aujourd’hui, on a du mal à prendre en compte à leur juste valeur les incidents qui perturbent l’environnementdu sportif et mettent en péril sa capacité à être présent et performant le jour J: un deuil, une rupture, un problème de famille ou même, dans les cas les plus graves, un traumatisme psychique. Il faut l’entendre et l’accompagner au même titre que le reste », poursuit-il.

Un symbole pour les jeunes générations

Depuis son annonce, Simone Biles est devenue un symbole de courage, un exemple, notamment sur les réseaux sociaux. « Sa décision a été particulièrement soutenue et comprise par les jeunes. C’est un peu aussi une remise en question d’un système très ancien, pyramidal, vertical et hiérarchique: même les athlètes sont vus comme ayant des comptes à rendre, que ce soit à un entraineur, à une délégation, à un pays..et beaucoup de jeunes sont en rejet de cela, veulent échapper à un système normatif qui est vu comme un obstacle à l'accomplissement personnel. Le défaut n'est plus vu comme un défaut mais comme une déviation par rapport à cette norme, échappant à un jugement qualitatif. Chacun fait avec ce qu’il a, dans sa façon à lui de s’épanouir », décrypte Guillaume De La Chapelle.

Son geste, et celui des autres athlètes avant elle, a également été salué par la communauté noire américaine. « Pour parler en tant que français, chaque médecin est soumis à des préjugés, le préjugé racial existe en France (lire notre gros dossier sur le racisme médical). Donc il est possible qu'une situation de souffrance ait été moins bien entendue, de par ce simple et terrible fait. Mais cela va sans doute plus loin. Quand on a été agressée, quand on présente des symptômes dépressifs, anxieux ou traumatiques, c’est dur d’en parler pour tout le monde. Et pour une femme noire, qui a sans doute vécu des traumatismes récurrents au risque de passer inaperçus, de par leur répétition et leur banalisation (racisme du quotidien, injonctions paternalistes...) il est probablement encore plus difficile de mettre des mots dessus. On est à la fois sensibilisée à la question et plus en difficulté pour en parler, car on a eu l’habitude  de mettre de côté voire de s'en défendre par des mécanismes dissociatifs ».

Derrière son combat, l’aigle noir des abus sexuels

Autre volet immanquable, qui a secoué le monde du sport notamment depuis le mouvement Me Too, les abus sexuels. La gymnaste est en effet une victime d’agressions répétées de la part de Larry Nassar, ostéopathe et longtemps à la tête de l'équipe médicale de la Fédération américaine de gymnastique (USAG). Elle avait brisé le silence en 2018.

 « On peut clairement formuler l’hypothèse que son refus de continuer aujourd’hui à à voir avec ce traumatisme; en tout cas il est probablement réducteur voire erroné d'assimiler cette décision à une simple surcharge de pression mentale, de stress sportif », précise Guillaume De La Chapelle. 

Comment faire pour que les choses changent ? « Il faut impérativement que les professionnels de santé dans le milieu sportif, mais plus généralement de l'ensemble de ses acteurs, puissent être conscients qu’il existe beaucoup de facteurs de risques d'agression sexuelle dans ce milieu : en vase clos, loin de leur famille, des enfants et adolescents pris en charge par des adultes qui ont accès à un corps et un psychisme en plein développement... Ils peuvent être formatés pour taire des souffrances, formatés pour l’excellence, n’ont pas le droit à l’erreur, c’est le terreau le plus propice pour arriver à ces situations ». Une parole qui se libère donc, mais un combat encore long à mener pour protéger ceux qui font la fierté de leur nation au fil des compétitions.

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