Prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux : le Contrôleur général dresse un constat accablant

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Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié le 22 novembre un avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Le constat est accablant : pathologies lourdes aggravées par l’enfermement et l’isolement, conditions de détention qui perturbent l’accès aux soins, manque de moyens pour identifier les pathologies mentales…

Prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux : le Contrôleur général dresse un constat accablant

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié le 22 novembre dans le Journal officiel un avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Transmis à la ministre de la justice et Agnès Buzyn, il dresse un « constat accablant » et entend « réaffirmer le principe d’une égalité réelle d’accès aux soins et de traitement entre les patients détenus et le reste de la population ».
 
Ce constat du CGLPL porte sur des situations concrètes : « des pathologies lourdes aggravées par l’enfermement et l’isolement, un risque de suicide accru et des conditions de détention qui perturbent l’accès aux soins, nuisent à leur efficacité et, finalement, privent la sanction pénale de son sens. », précise le Contrôleur général dans un communiqué daté du 22 novembre.  
 
À l’origine de ces situations, trois facteurs principaux identifiés par le CGLPL : la méconnaissance des pathologies affectant la population pénale (lire encadré ci-dessous), l’insuffisance des moyens institutionnels de leur prise en charge et la banalisation d’atteintes quotidiennes aux droits fondamentaux.

La justice ne dispose pas des moyens nécessaires

Premier dysfonctionnement pointé par le CGLPL : la justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales. À titre d’exemple, la procédure de comparution immédiate, destinée à accélérer la réponse pénale, aboutit fréquemment à des incarcérations immédiates.
 
Or, « les personnes souffrant de troubles mentaux ont souvent des difficultés à s’exprimer, notamment sur l’existence d’un suivi psychiatrique. Lorsqu’une expertise psychiatrique est diligentée, elle n’est pas suspensive (1) : la personne est donc susceptible d’être incarcérée dans l’attente des conclusions », observe le Contrôleur général qui ajoute que les expertises psychiatriques, qui ne sont systématiques qu’en matière criminelle et qui ne lient pas le juge, concluent rarement à l’irresponsabilité totale.
 
Par ailleurs, « le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour appréhender et gérer la maladie mentale », affirme le CGLPL qui recommande que le personnel de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficie systématiquement d’une formation élémentaire à la détection et à la gestion des troubles mentaux de la population pénale. Objectifs : favoriser le repérage de la pathologie et la mise en œuvre de modalités de surveillance qui la prennent en compte sans l’aggraver.

Prise en charge inégale et incomplète

Le Contrôleur général dénonce également le fait que la prise en charge des personnes détenues atteintes de pathologies mentales soit inégale et incomplète. « La progression inquiétante du nombre des détenus en maisons d’arrêt ne s’est pas accompagnée d’un développement parallèle des moyens de santé, regrette le CGLPL qui ajoute que « l’accès aux soins ambulatoires et à l’hospitalisation de jour est très inégal en fonction de la présence ou non d’un SMPR (Service Médico-Psychologique Régional, NDLR) dans l’établissement »
 
En outre, l’inégale répartition territoriale et le faible nombre (9 au total) des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées)« contrarient le principe d’égalité d’accès aux soins en fonction de la distance qui sépare les prisons des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées, NDLR), et accroissent les délais d’attente pour accéder à ces dernières », poursuit le CGLPL qui plaide pour la définition d’un ratio de personnel médical par détenu et le renforcement du rôle des agences régionales de santé pour la définition d’une offre de soins cohérente.
 
Enfin, la prise en charge médicale au sein des établissements pénitentiaires est « inadaptée ». Dans la grande majorité des établissements pénitentiaires visités par le CGLPL, celui-ci a constaté « de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes détenues pour accéder à des soins psychiatriques : manque d’effectifs affectant le personnel médical, délais importants pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre, etc ».
 
Le CGLPL recommande donc de « favoriser le développement de structures hospitalières sécurisées en lieu et place de la création de prisons médicalisées afin d’assurer une prise en charge adaptée, y compris de longue durée, aux personnes détenues souffrant de troubles mentaux ».

Atteinte à la dignité 

Enfin, les conditions de prise en charge des personnes détenues dans les services psychiatriques de proximité portent atteinte à leur dignité. Les personnes détenues hospitalisées sans consentement dans les services psychiatriques de proximité « sont presque systématiquement placées en chambre d’isolement et quelquefois sous contention, même si leur état clinique ne le justifie pas, pendant toute la durée de leur séjour ».
 
Le CGLPL recommande donc que des directives nationales soient données pour « mettre un terme au menottage systématique des personnes pendant leur transport et leur placement systématique à l’isolement, pratiques sécuritaires qui ne sont pas plus nécessaires que proportionnées ».

1 : Un recours suspensif est un recours engagé contre une décision de justice et ayant pour effet d'empêcher l'exécution de celle-ci jusqu'à la nouvelle décision. Exemple : si une partie fait appel d'un jugement rendu en première instance, cet appel empêche l'exécution du jugement jusqu'à la décision de la cour d'appel.
 

Des études épidémiologiques anciennes et partielles
Les études épidémiologiques réalisées en France sur la santé mentale dans les prisons françaises sont anciennes (la dernière remonte à 2007) ou partielles. Or, il est aujourd’hui « indispensable d’améliorer la connaissance des pathologies mentales chez les personnes détenues, en l’orientant vers la recherche d’une prise en charge adaptée et la définition d’une politique de soins », selon le Contrôleur général qui salue le fait que les ministres de la justice et de la santé aient annoncé le lancement d’une étude sur le sujet.  

 

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