Parole d’un expert au procès du Médiator : notre « rémunération laisse supposer qu’on serait des vendus, c’est juste un peu pénible »

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Au procès en appel du Mediator, un scientifique a jugé hier, le 30 janvier, "pénible" que les experts rémunérés comme lui par les laboratoires Servier soient présentés comme "des vendus", alors que les avocats des parties civiles ont remis en cause son objectivité.

Parole d’un expert au procès du Médiator : notre « rémunération laisse supposer qu’on serait des vendus, c’est juste un peu pénible »

© IStock

Lors du procès de première instance, achevé en mars 2021, certains médias "ont parlé essentiellement de la rémunération des experts, ça laisse supposer qu'on serait des vendus. C'est pas dramatique, c'est juste un peu pénible", s'est ému Jean-Pol Tassin, provoquant des réactions dans la salle d'audience.

Ce pharmacologue, directeur de recherche émérite à l'Inserm, a touché 300 000 euros pour la rédaction d'un contre-rapport d'expertise sur le Mediator, celui établi en 2013 à la demande du juge d'instruction présentant, selon la défense de Servier, des "biais majeurs".

Il a ensuite été payé "de l'ordre de 20 000 euros" pour son témoignage en première instance et sera également rémunéré pour sa venue devant la cour d'appel de Paris, où ce second procès-fleuve entame sa quatrième semaine.

"Je n'ai pas été payé pour déposer devant (la cour), j'ai été payé pour préparer ma déposition", corrige le pharmacologue, âgé de 76 ans. "Combien ?", l'interroge Charges Joseph-Oudin, avocat de nombreuses parties civiles. "Je n'ai pas envoyé ma note d'honoraires", élude-t-il.

« Compte tenu du fait qu'il y a de l'argent, je fais mon travail de façon plus attentive »

Pendant près de quatre heures, Jean-Pol Tassin a répondu, souvent agacé, aux questions du président, des avocats des parties civiles et de l'accusation.

Il assure "avoir fait (s)on travail de la façon la plus consciencieuse possible" et "ne pense pas que l'argent du labo ait une influence sur (s)on travail. Il me rend probablement plus sérieux. Compte tenu du fait qu'il y a de l'argent, je le fais de façon plus attentive", argumente le chercheur.

A la barre, il déroule ses conclusions : le Mediator "n'a aucun rapport" avec les caractéristiques des amphétamines et ce "n'est pas un anorexigène", si l'on reprend notamment les critères de l'Agence européenne du médicament, qui considère qu'un médicament doit permettre une perte de poids de 10% pour être classé dans cette catégorie.

Or le Mediator, mis sur le marché comme antidiabétique en 1976 mais indûment prescrit comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, ne provoquait qu'une perte de poids très modeste, selon Servier.

"Il y a une différence entre ne pas avoir une indication parce qu'il ne correspond pas aux critères des agences du médicament et avoir un effet anorexigène, même faible, qui entraîne des effets défavorables", observe Martine Verdier, avocate de parties civiles.

"Vous n’avez pas d’effet anorexigène léger. Ou vous êtes un anorexigène ou vous ne l’êtes pas", persiste le scientifique.

Enfin, il assure que les atteintes cardiaques et pulmonaires de milliers de victimes sont principalement liées à des "co-facteurs", qui ont agi en "synergie" avec le Mediator, et non au médicament lui-même.

« Le Médiator, c'est un produit toxique, c'est indiscutable »

Les personnes touchées étaient plus souvent des fumeurs, ou sous antidépresseurs ou souffrant d'apnée du sommeil, trois facteurs qui entraînent une augmentation de la sérotonine dans le sang, une hormone qui peut être impliquée dans les atteintes des valves cardiaques, argumente le pharmacologue.

Le Mediator, "c'est un produit toxique, c'est indiscutable", dit-il du bout des lèvres. Tout en maintenant son hypothèse des "co-facteurs".

Un exposé qui révolte Fayza, partie civile de 61 ans, qui ne souhaite pas donner son nom de famille : "Quand il explique ça, ça me fait mal. Chez nous, on ne fume pas".

"C'est l'argent qui parle", estime-t-elle à la sortie de l'audience. "Pour les gens qui sont morts, qui sont handicapés, il n'a pas honte ?"

Cette habitante de Seine-Saint-Denis a pris du Mediator pendant quatre ans sur les conseils de son médecin, parce qu'elle ne parvenait pas à perdre les kilos pris après ses grossesses.

"J'ai perdu zéro gramme et aujourd'hui, j'ai des trous dans le cœur, je suis handicapée à 90%", explique Fayza, qui vient régulièrement à l'audience malgré ses difficultés pour se déplacer.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/le-proces-en-appel-du-mediator-commence-petit-tour-dhorizon-des-grandes-dates-de-cette

Les laboratoires Servier et leur ancien directeur général, Jean-Philippe Seta, sont rejugés depuis le 9 janvier pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires, escroquerie et obtention d'indue de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator.

Avec AFP

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