Cela fait 3 fois qu’il fait le trajet vers l’Ukraine. Arsène Sabanieev, anesthésiste franco-ukrainien, prend tous ses congés pour aller aider bénévolement ses compatriotes. Et ce, même si son banquier lui a signalé que l’assurance de son prêt immobilier ne le couvrait pas là-bas. La guerre est installée. Il y a des centaines de blessés chaque jour et il manque toujours du matériel, du sang, des fixateurs externes. « J’ai passé 3 mois avec les hospitaliers. Je viens de rentrer à Lille terminer mon contrat auprès de l’Institut catholique, mais je retournerai ensuite. Je ne suis pas uniquement médecin là-bas, seulement le quart de mon temps. Il y a un message à passer ; une urgence à stopper cette guerre contre la démocratie. »
La géopolitique à domicile
Sans aller jusqu'à la ligne de front, des médecins s’engagent et rencontrent des pressions parfois inattendues. « On m’a reproché d’être pro-migrant », tient à témoigner – mais sous couvert d’anonymat – un jeune médecin. Avec deux confrères, ils avaient candidaté pour s’installer dans une maison de santé en zone rurale. Mais la commune a ajourné sa décision. « On m’a vu dans une manif pour l’accueil des migrants et cela a suffi – apparemment – à remettre en cause le projet. J’en ai marre d’entendre que les jeunes ne veulent pas s’installer à la campagne. J’étais prêt à travailler 35 heures pour 2000 €. Autant m’inscrire en intérim et gagner 5 000 € sur 2 jours. Ce ne sont pas mes convictions, évidemment… »
Jean-Luc Pesle, lui, a 68 ans dont 3 de retraite. Son amour des montagnes et du métier l’ont conduit à Briançon. Cet ancien généraliste au timbre enjoué est bénévole pour Médecins du monde, où il est responsable de la mission – tout à fait légale – d’assistance aux migrants. « Depuis l’Italie, ils empruntent des chemins de plus en plus dangereux. Ils sont souvent vulnérables et pas du tout équipés. Ils traversent la nuit en petites baskets, quand il peut faire -20° C. Pas de morts ou d’accidents graves, mais beaucoup de gelures et d’hypothermies. » Des médecins bénévoles font des « maraudes » en voiture chaque nuit sur les routes de montagne et leur apportent des premiers soins. « On a eu quelques heurts (verbaux, NDLR) avec les forces de l’ordre. Ils ne sont pas très contents que l’on soit là. Pourtant, on agit en toute légalité. Le préfet est au courant », précise une des bénévoles qui assure aussi des permanences médicales dans des lieux d’hébergement, en complément de la PASS. « Historiquement, les migrants venaient de l’Afrique sub-saharienne. Maintenant, ils viennent d’Iran, d’Afghanistan. Souvent ils ne demandent pas le droit d’asile en France. Ils ne font que traverser vers l’Angleterre. »
Une médecine plus à l'écoute
Loin des frontières, au cœur des villes, les centres de santé communautaires prennent le relais. Dans des locaux vétustes, ils sont 2 médecins, dans une équipe de 6, à répondre présents au cœur de l’été à la Case de santé à Toulouse. Avec des consultations sans rendez-vous l’après-midi, autant dire que la charge de travail est dense sous le cagnard. Sans-abris, migrants, personnes souffrant d’addictions. Pas de temps pour répondre aux questions, mais André Decorsiere, coordinateur administratif et financier, témoigne : « Tous sont là par conviction. Pourtant les conditions et les salaires ne sont pas attractifs, le bas de la grille hospitalière. Mais ils ont la possibilité de faire leur métier comme ils l’entendent. Une médecine plus à l’écoute, non chronométrée ». Né à Toulouse il y a 30 ans pour rendre accessible le système de santé aux plus précaires, le modèle est finalement reconnu par les pouvoirs publics. Il a essaimé en France au cœur des quartiers défavorisés : le Château en santé à Marseille, le Village 2 santé à Echirolles, la Place de santé à Saint-Denis. « Notre rôle dépasse le soin. On connaît les rouages administratifs. On aide à l’ouverture des droits comme l’AME en partenariat avec la CPAM, à monter des dossiers par exemple pour obtenir le "droit au séjour pour étranger malade". »
Par conviction, seul(e) ou accompagné(e), sur le front de guerre comme sur les fronts de solidarité, l’engagement doit parfois chercher les interstices laissés par les cadres réglementaires, quand il ne s’agit pas de lutter carrément contre des pressions.