À Mulhouse et Toulouse, les urgences au bord de la rupture

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À l'hôpital de Mulhouse, 17 internes affectés aux urgences sont en arrêt de travail depuis lundi 30 septembre. Au CHU de Toulouse, le service des urgences est totalement fermé depuis jeudi 3 octobre, suite à un grand nombre d'arrêts de maladie déposés par des personnels soignants, pour des raisons d'épuisement professionnel. Deux situations similaires qui montrent une fois de plus que l’hôpital public n’a jamais été aussi proche du point de rupture.

À Mulhouse et Toulouse, les urgences au bord de la rupture

Le ressort a fini par casser. Enfin, 17 « ressorts » ont fini par casser. 17 internes affectés aux urgences de l'hôpital de Mulhouse sont en arrêt de travail depuis lundi 30 septembre, suite à la démission de nombreux médecins titulaires.
 
« Les internes pleurent en rentrant de l’hôpital. Ils nous racontent qu’ils font des cauchemars la nuit, qu’ils ne dorment plus, qu’ils vont travailler avec la boule au ventre. Ils ont tout le temps peur de faire une boulette, toujours peur de tuer quelqu’un… », résume Lucas Gauer, le président du Saihcs (1), le syndicat des internes de spécialité en Alsace.
 
Comme la plupart des services d’urgences en France, celui du GHR Mulhouse Sud Alsace est en tension. Et, bien sûr, en sous-effectif... Mais la situation s’est sérieusement détériorée fin août dernier depuis la vague de démissions de médecins titulaires des urgences, en raison de la dégradation des conditions de travail. Résultat : l’établissement compte aujourd’hui 7 postes de médecins équivalent temps plein, contre 26 l'an passé, selon Lucas Gauer.

Au bout du rouleau

Selon les témoignages d'internes travaillant sur place, les seniors étaient déjà « au bout du rouleau » durant le premier semestre de l’année. « Ils faisaient 80 heures par semaine, selon Lucas Gauer qui tient à préciser qu'ils étaient encore, jusqu’à présent, « relativement protégés. Les seniors éteint présents et les internes étaient bien encadrés. C’était donc un bon terrain de stage, un stage formateur et apprécié, car l’établissement respectait la législation sur le temps de travail des internes. »
 
Mais les démissions en cascade d’août dernier ont changé la donne. Car, quand les seniors sont partis, « ceux qui sont restés pour tenir la boutique ont hérité de conditions encore plus difficiles qu’elles ne l’étaient déjà. » Et les internes se sont retrouvés en première ligne, souvent trop esseulés pour gérer des situations qu'ils n’auraient jamais dû avoir à prendre en charge seuls.
 
Des internes qui « se sont retrouvés à gérer seuls des urgences vitales », selon Lucas Gauer, alors qu’ils n’étaient pas suffisamment armés pour affronter ce genre de situations car ils sont pour la plupart en première année d’internat. Tous les témoignages d'internes auraient le même dénominateur commun selon le président du Saihcs. « Ils appellent à l’aide un senior et doivent gérer le problème seul sans senior, car, quand le senior arrive, tout est déjà fini… »

Vague d'arrêts maladie

« On est habitués à faire des gardes avec des seniors qui sont au bout du fil pour nous donner des conseils, mais quand un interne a besoin d’une aide physique à ses côtés dans un service d’urgence, si le chef n’est pas disponible immédiatement et que l’interne se retrouve à faire l’essentiel de la prise en charge, il faut espérer que l’interne ait bien été formé… », estime Lucas Gauer qui ajoute : « Je n’aimerais pas emmener mes parents dans un hôpital où ce sont les internes de premier semestre qui gèrent tout… » On imagine en effet les conséquences potentielles en termes de santé publique…  
 
On imagine aussi les conséquences sur la santé des internes qui sont en arrêt de travail. Selon Lucas Gauer, un interne qui n’en pouvait plus a été arrêté par son médecin traitant. Quand il a informé les autres internes affectés aux urgences, la moitié aurait fait le même constat : ils étaient aussi au bout de leur vie. Si bien qu’ils sont aussi allés voir leur médecin.  
 
« Quand on est étudiant en médecine, en général, on fait un peu l’autruche vis-à-vis de soi-même, analyse Lucas Gauer. On se dit qu’on en bave dans les services, mais que si les autres tiennent, on devrait aussi pouvoir tenir. Mais, cette fois-ci, l’un d’entre eux a eu a présence d’esprit de se dire « moi, ça va pas du tout, c’est la cata dans ma tête ». Donc il est allé voir son médecin et quand il en a parlé aux autres internes, ils lui ont dit qu’ils vivaient la même chose. Donc environ la moitié est allée voir leur médecin, tandis que l’autre moitié est allée voir le médecin du travail, et tous les internes se sont retrouvés en arrêt. »

Pirouette législative 

Comment les urgences de Mulhouse fonctionnent-elles concrètement au quotidien ? « Quand on envoie un camion du Smur, un senior part dans le camion, donc il reste un seul senior aux urgences avec sa tripotée d’internes », croit savoir Lucas Gauer. Pour colmater les brèches, l’hôpital « a recours à des intérimaires, des médecins généralistes, des retraités, des personnes de la régulation de Colmar pour essayer de faire tenir la ligne de garde avec 7 titulaires. C’est le minimum légal de seniors pour faire tourner le service. Sauf que ce minimum légal est composé de très peu d’urgentistes car il y a beaucoup de pièces rapportées… », poursuit le président du Saihcs.
 
Enfin, si ces intérimaires et autres médecins généralistes sont de bonne volonté, « ils ne connaissent pas le système de l’hôpital ou le système informatique, et beaucoup n’ont pas fait d’urgences depuis des années. De plus, les intérimaires ne sont pas impliquées dans l’hôpital comme les titulaires. Ils font leurs horaires, et quand on essaye de les joindre, c’est la croix et la bannière… »
 
Quant au Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg), pionnier de la revendication du repos de sécurité et de la diminution du temps de travail des internes, il tient à rappeler, que, selon la loi, « les services hospitaliers qui accueillent des internes, praticiens en formation, doivent pouvoir fonctionner indépendamment de la présence des internes ». Si l’on s’en tient aux témoignages que nous avont reçus, l’hôpital de Mulhouse ne semble pas respecter la législation en vigueur en la matière.

Les internes, une variable d’ajustement ? 

Par ailleurs, le SNJMG signale aux hôpitaux, facultés de médecine, ARS et à l’État que « les internes ne doivent pas constituer une variable d’ajustement, corvéable à merci, vis-à-vis des difficultés démographiques du système de santé »
 
Quant au Saihcs et au Sarra (syndicat autonome représentatif des internes de médecine générale de la région Alsace), ils ont alerté de ces difficultés l’ARS Grand Est, le directeur de la CME de l’hôpital de Mulhouse et la faculté de médecine de Strasbourg, une semaine avant la vague d’arrêts maladie.

Ils ont notamment expliqué à l’ARS « qu’il y avait actuellement de gros problèmes d’encadrement, que les internes avaient vécu des situations qui n’étaient pas acceptables, et que nous étions vraiment inquiets que l’on mette à l’avenir des internes dans ce genre de situations, notamment quand c’est des internes de premier semestre », précise Lucas Gauer.
 
Réponse de l’ARS et du directeur de la CME : « « Ne vous inquiétez pas, on va être vigilants, on va faire très attention, il y aura tout ce qu’il faut pour qu’il y ait le bon nombre de seniors » Et, le lendemain, on apprenait qu’un senior serait absent le week-end et on ne savait pas s’il allait être remplacé ou pas. Et, le lundi, en me réveillant, j’apprends que le week-end a été vécu comme une catastrophe pour ceux qui étaient aux urgences », rapporte Lucas Gauer.

Aucune confiance en l’ARS et en la direction 

Vous connaissez la suite…. C’est la raison pour laquelle le président du Saihcs n’a « aucune confiance en l’ARS et en la direction de l'établissement, car on a vu ce qui s’est passé quelques jours après malgré les promesses. Donc, tant qu’il n’y aura pas de recrutements de titulaires en nombre suffisant, nous n’accepterons pas qu’il y ait des internes qui soient envoyés là-bas. »
 
Hors de question également de céder aux tentatives de chantage de certains qui demandent aux internes « d’être solidaires d’un service des urgences car c’est un problème de santé publique, que nous ne devons pas couler le service des urgences en enlevant les internes des urgences », poursuit Lucas Gauer. Quant à la direction de l'hôpital, elle aurait même accusé les internes de « saboter les urgences de Mulhouse », rapporte Lucas Gauer.. Un discours qui a été « mal pris ». 
 
Enfin, le Saihcs et le Sarra demandent dans un communiqué une redistribution des postes sur ces services « capables d’assurer un encadrement pédagogique répondant aux objectifs de formation et de préservation de la santé au travail des internes ». En l’absence d’avancée concrète, un préavis de grève pourrait être déposé.
 
Le bras de fer est engagé. Reste à savoir qui craquera le premier…
 
1 : Syndicat Autonome des Internes des Hospices Civils de Strasbourg
 

Les urgences CHU de Toulouse fermées faute de personnel suffisant
Le service des urgences du CHU de Toulouse est totalement fermé depuis jeudi 3 octobre, rapporte France 3 Occitanie. Une décision prise dans la nuit de mercredi à jeudi par les médecins urgentistes, suite au manque de personnel infirmier qualifié. Contactée par What’s up Doc, Julie Tirello, infirmière des urgences du CHU Purpan et représentante Occitanie du collectif Inter-Urgences, est revenue sur la situation. « Nous avons déposé un préavis de grève en février dernier, puis rejoint le mouvement de grève du Collectif Inter-Urgences en mai dernier, suite au décès d’une personne dans un couloir qu’on a trouvé indécent. Un collègue, qui devait prendre en charge 17 patients, est parti aux toilettes. À son retour, un patient était en arrêt cardiaque. Il a dû le masser à côté des autres patients et le patient est décédé… La direction n’a toujours pas donné d’explications sur cette affaire. On réclame donc plus d'effectifs médicaux et paramédicaux : au moins 10 postes de paramédicaux et un médecin en plus sur 24h. La direction se cache derrière une nouvelle organisation pondue en juin. Sauf que cela fait déjà six mois qu'on leur demande des effectifs, donc nos demandes sont toujours les mêmes, peu importe l’organisation. Ils nous disent « attendez que la nouvelle réorganisation soit finie, et vous verrez que cela ira mieux, » alors que c’est déjà pire… On a l’impression d’être des robots avec cette nouvelle organisation. On n’a pas le temps d’accueillir comme il faut les patients. Ils arrivent, on leur met une blouse, on les pique, et au suivant ! C’est un ressenti collectif. Certaines personnes âgées qui arrivent sont un peu confuses, mais on n’a pas le temps de les rassurer, de leur expliquer ce qu’on va leur faire. On les déshabille parfois de force, on leur tire le bras pour les piquer de force, parce que l’on a trois imprévus qui arrivent derrière. Donc, elles s‘agitent parce que, forcément, on les maltraite, donc on est obligés de les attacher. On devient maltraitants malgré nous avec les patients alors qu’on a plutôt envie d’en prendre soin, et cela a des répercutions psychologiques énormes sur les patients et les soignants. Or, si les soignants ne peuvent plus venir travailler, il n’y en aura plus pour ouvrir les urgences, donc personne pour soigner les personnes de la région. Une clinique de Toulouse est en grève, comme le Centre Hospitalier Comminges Pyrénées à Saint-Gauden qui a failli faire fermer les urgences… C’est aux directions d’interpeller les ARS et le ministère pour faire bouger les choses, de dire en public : « les soignants ont raison, on les soutient, donc on demande des moyens pour eux.» C’est aussi leur rôle de protéger les soignants et de les soutenir, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Il y a eu plusieurs suicides au CHU de Toulouse, cela serait dramatique si l’un de mes collègues en arrivait là… »

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