Les psychologues aux médecins : y’a pas écrit « auxiliaire médical » ici !

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Les médecins ont tendance à fonctionner dans une bulle qui les empêche d’entendre ce que les autres soignants ont à dire. C’est pourquoi What’s up Doc a décidé de demander à différentes catégories de professionnels de brosser le portrait des praticiens qu'ils côtoient. Dans ce numéro, ce sont les psychologues qui tendent un miroir aux médecins.

Les psychologues aux médecins : y’a pas écrit « auxiliaire médical » ici !

« On m’interdit de poser un diagnostic, ce serait de l’exercice illégal de la médecine. Or j’estime être plus compétente qu’un médecin généraliste pour diagnostiquer des troubles psychotiques. » En affirmant cela, Nathalie Seigneur sait qu’elle met les pieds dans le plat, mais elle assume. Psychologue dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) à Paris*, elle l’affirme haut et fort : « Les médecins, surtout en France, ont du mal à accepter que d’autres professionnels puissent parler d’égal à égal avec eux. »
Cette tendance des médecins à l’entre-soi, Elvire Alessandrini l’a aussi ressentie. Psychologue libérale installée à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, elle vient d’ouvrir un centre de prise en charge de l’obésité et du surpoids. « J’ai envoyé 130 courriers à des médecins pour leur présenter le centre, je n’ai eu aucun retour », regrette-t-elle. Dans le cadre de son cabinet libéral, elle a pourtant réussi à nouer des relations très positives avec certains médecins des environs. « Une fois que deux ou trois médecins vous font confiance, ils vous remplissent votre cabinet », remarque-t-elle. Mais elle estime que s’ils lui adressent des patients, c’est moins en raison de ses efforts de persuasion que grâce aux retours des patients qu’elle a pris en charge.
 

Allô, y’a quelqu’un ?

En plus d’être relativement inaccessibles, les médecins ont un autre défaut aux yeux des psychologues : celui d’être rares. Morgane Nadeau, psychologue libérale installée à Lille, en sait quelque chose. « Quand je pressens qu’un patient risque d’avoir besoin de médicaments et que je l’oriente vers un psychiatre, la réponse est toujours la même : il y a deux mois d’attente », témoigne-t-elle. Même ressenti de la part de Fanny Villain, elle aussi psychologue libérale, mais à Lorient. « Je n’ai pas du tout de contact avec les psychiatres, et d’ailleurs, nous en manquons cruellement dans le Morbihan », soupire-t-elle.
Pour Fanny, ce manque de psychiatres pose un premier problème : elle participe en effet à une expérimentation sur la prise en charge des consultations de psychologue par la Sécurité sociale, dans laquelle les psychiatres jouent un rôle-clé. Le médecin traitant prescrit 10 séances, au bout desquelles le patient doit en théorie être vu par un psychiatre. « Sauf que des psychiatres, nous n’en avons pour ainsi dire pas dans les environs », regrette la Bretonne.
 

Être prescrit ? Beurk !

En plus de ce problème de disponibilité, l’expérimentation à laquelle participe Fanny soulève une autre question aux yeux de bien des psychologues : elle place leurs services au rang de ceux que prescrivent les médecins, à l’instar des prestations des infirmiers ou des masseurs-kinésithérapeutes. « Nous refusons de travailler sur prescription médicale », affirme Nathalie. Fanny, elle, est plus nuancée, car elle constate que les séances remboursées profitent à certains de ses patients qui ne seraient jamais venus la voir autrement.
« Mais le problème, c’est que le médecin fait l’ordonnance, puis ne suit pas le patient », remarque-t-elle. « Au bout de 10 séances, c’est nous qui avons les éléments pour faire le bilan. » Au-delà de l’expérimentation, il semble bien qu’il y ait chez les médecins une certaine méconnaissance de l’étendue des compétences des psychologues. « Il y a des médecins qui nous envoient des patients pour faire une thérapie, mais ne réalisent pas forcément qu’il existe des dizaines de thérapies différentes », remarque Elvire. « Par conséquent, ils n’orientent pas forcément vers le professionnel le plus adapté. »
Heureusement, les quatre professionnelles interrogées ici font toutes le même constat : plus les médecins sont jeunes, plus ils sont enclins à collaborer avec les psychologues. Morgane Moreau remarque par exemple que beaucoup de patients lui sont adressés pendant les périodes où les médecins plus âgés sont en vacances, remplacés par des confrères moins chenus. Tout n’est donc pas perdu !
 
 
* Nathalie Seigneur est par ailleurs permanente du Syndicat national des psychologues (SNP), mais souligne que les opinions exprimées dans cet article sont les siennes et n’engagent pas son organisation.
 

Verbatim
 « Les psychiatres ont fait médecine et prescrivent des médicaments en 15 minutes, alors que nous avons fait 5 ans de psychopathologie et travaillons en 45 minutes, voire une heure. » Morgane
« Les médecins ne doivent pas nous voir comme les paramédicaux que nous ne sommes pas. » Nathalie
« Deux cerveaux valent toujours mieux qu’un pour comprendre un patient, médecin et psychologue ont donc tout intérêt à collaborer. » Elvire
« Je comprends que les médecins soient débordés, nous le sommes aussi parfois, mais tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait plus d’interaction entre les professionnels. » Fanny

 
 
 

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