Les faux médicaments : casse-tête pour le médecin humanitaire

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Ce qui est simple chez nous, peut devenir très compliqué ailleurs

Les faux médicaments : casse-tête pour le médecin humanitaire

La Fondation Chirac lançait il y a un mois une campagne de sensibilisation aux faux médicaments en Afrique. Le problème, peu connu en France, devient un véritable fléau parmi les populations des pays en développement, et dans le même temps un casse-tête pour les médecins en mission humanitaire. Eclairage sur leur rôle et plus généralement sur celui de Médecins Sans Frontières par le Dr Jean Rigal, directeur médical de l’ONG.

"10 à 40% des médicaments sont faux dans les pays en développement et sont issus d'un marché criminel", affirme Jean Rigal, directeur médical de MSF. Les faux médicaments, ce n’est pas vraiment une question à laquelle on pense dans notre exercice en France. Pourtant, lorsque l’on part en mission humanitaire, cela devient une préoccupation quotidienne. "Dans le mouvement de MSF, nous avons toute une équipe qui s'occupe du problème de l'accès aux médicaments essentiels", précise Jean Rigal. En pratique, afin de sécuriser l'accès aux médicaments de qualité pour les malades dans le monde, le médecin parti avec MSF aura la plupart du temps accès à des médicaments issus trois centrales d'achat. "Nous recommandons à toutes les missions d'acheter au travers de ces centrales, car nous sommes sûrs de la qualité des médicaments et de leur prix bas. Il est très important pour nous d'avoir des sources sûres, contrôlées régulièrement", explique le directeur médical.

Ainsi, lorsque les médicaments proviennent d'une de ces trois centrales, le médecin sur le terrain peut être plutôt confiant pour son patient. Le problème intervient en revanche dans neuf pays du monde dans lesquels il est interdit d'importer des médicaments car ils protègent leur production nationale. "En Ethiopie et au Pakistan par exemple, on envoie des pharmaciens de MSF qui vont essayer d'avoir des autorisations pour les urgences ou qui sélectionnent des bons producteurs sur place, c'est-à-dire ceux qui peuvent prouver qu'ils ont des standards de bonne fabrication", précise Jean Rigal. Il tempère tout de même : "Ca ne protège pas complètement nos malades". Et même dans les pays autorisant l'importation, des risques demeurent, et le doute peut donc persister pour le médecin en mission : "Quand on est en rupture de stock, on est tenté d'acheter à la pharmacie du coin, et on prend des risques pour nos patients".

La contrefaçon issue du trafic

Une distinction à faire : dans les faux médicaments, il y a les contrefaçons, issues du trafic, et la mauvaise production, soit une fabrication de mauvaise qualité.

Le marché criminel des faux médicaments est aujourd’hui très développé, et le trafic difficile à tracer, car il se modifie sans cesse. "L'activité est beaucoup plus rentable et moins dangereuse que les trafics de drogue et humain", explique Jean Rigal. Pourtant la contrefaçon n'est pas le seul problème dans l'accès aux médicaments. Prenez l'exemple du sac Vuiton contrefait : si on le fabrique, il peut être de même qualité, il restera une contrefaçon. Ce qui n'est pas le cas en pharmacie, comme l'explique Jean Rigal : "si le médicament est le même et moins cher, c'est mieux". Le problème est ailleurs. C’est que lorsqu’on ne connaît pas l'origine de la fabrication, il y a un risque. "Le sous-dosage et la mauvaise fabrication non volontaire ont été plus importants que la contrefaçon elle-même, bien qu'aujourd'hui il semble que cela ne soit plus le cas". Ainsi, les défauts techniques, l'insuffisance de compétence dans la chaîne de fabrication du médicament peuvent être source de sous-dosage, de mauvaise absorption, etc. "Tout cela demande expertise, c'est un vrai métier", renchérit le directeur médical.

Les médicaments non conformes posent un véritable problème dans le système de soin, ils annulent les bénéfices de bonnes prises en charge dans de bons hôpitaux. L'OMS joue un rôle dans cette régulation internationale, en aidant notamment certains pays. "Malheureusement, les investissements pour les organes de planification et validation des médicaments sont en diminution. Ce n'est pas toujours considéré comme une priorité alors que c'en est bien une", regrette Jean Rigal.

Actions de MSF

Qu'en est-il du médecin qui va partir en mission humanitaire ? Il est briefé sur le sujet, nous dit le directeur médical, mais "peut-être pas de façon assez attentive". Et il ajoute : "On briefe les adjoints des chefs de mission, et il y a presque toujours des pharmaciens présents pour vérifier les sources des médicaments".

Quant aux campagnes de sensibilisation telles celle lancée par la fondation Chirac en Afrique : "Nous ne faisons pas de campagne directement auprès des malades", nous dit Jean Rigal. C'est en effet difficile, car si le pays possède sa propre production, une campagne anti-faux médicaments de la part d'une organisation étrangère pourrait être mal interprétée par le gouvernement local. Et il ne faut pas confondre médicament de contrefaçon et médicament générique dans la sensibilisation de la population. Le risque de confusion a en effet été entretenu par l'ambiguïté de certains laboratoires pharmaceutiques sur les différences entre ces deux formes. "Même si ce discours s'est un peu éteint", concède Jean Rigal, "il a fallu lutter contre ça". Les médecins qui partent sont donc en première ligne dans la sensibilisation et le choix des médicaments auprès des patients.

"La recherche de sources valides est un travail permanent", insiste Jean Rigal. "Nous sommes parfois contraints d'acheter à la pharmacie centrale du pays." En effet, cela protège les médecins juridiquement  car s'il y a un problème, on ne peut pas les accuser d'avoir fourni de faux médicaments, "mais ce n'est pas satisfaisant pour nous car les produits ne sont pas en dehors de tout soupçon", affirme-t-il. "La lutte contre les faux médicaments est une de nos priorité à MSF. On a commencé à beaucoup mobiliser les gens sur ce problème depuis que les premiers papiers sont sortis sur le sujet il y a quelques années. La vigilance est à maintenir et à amplifier", conclut Jean Rigal. Le message est passé : pour notre future mission humanitaire, restons vigileants.

 

Source:

Cécile Lienhard

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