L’érotisme et la pornographie des fresques ou des paillardes, une soupape de décompression indispensable aux jeunes médecins ?

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D’après certains défenseurs des traditions carabines, l’érotisme et la pornographie des fresques ou des paillardes seraient une soupape de décompression indispensable aux jeunes médecins, et les aideraient à affronter la mort au quotidien. Mais cette sexualisation à outrance est-elle vraiment indissociable de la formation médicale ? What’s up doc est allé voir comment les choses se passent à l’étranger.

L’érotisme et la pornographie des fresques ou des paillardes, une soupape de décompression indispensable aux jeunes médecins ?

Souvenez-vous. Nous sommes en janvier 2015. Au détour d’un post publié sur le groupe Facebook « Les médecins ne sont pas des pigeons », la France découvre l’existence des fresques qui ornent les salles de garde de certains hôpitaux. Sexisme, pornographie, incitation au viol… Dans les médias, aucun mot n’est alors trop fort pour condamner cette tradition picturale bien connue des médecins. Alors, pour défendre leur héritage, certains ont eu recours à la fameuse complémentarité entre Eros et Thanatos.

 

Ce fut par exemple le cas du Dr Jacques Le Pesteur, chirurgien et auteur dans sa jeunesse d’un ouvrage sur les salles de garde*, interrogé par nos confrères de Slate au moment de la polémique. « Sur les murs, le corps douloureux, sale et asexué laissé sur un lit d’hôpital devient désir, jeunesse et vigueur à travers les traits de personnages grotesques se livrant à toutes les audaces », expliquait-il.

 

Même son de cloche en novembre dernier, lorsque le directeur de l’AP-HP s’est interrogé sur la nécessité de maintenir les fresques des salles de garde. « Quand vous avez 25 ans, que vous vivez avec la mort en permanence, c’est quand même plus sympa de se représenter des choses marrantes et éventuellement sexuelles que de se représenter des croque-morts », déclarait alors à What’s up Doc le Pr Jean-Noël Fabiani, chirurgien cardiaque et auteur d’un ouvrage sur les histoires insolites de la médecine**.

 

Une spécificité bien française ?

 

Pour un peu, l’omniprésence du sexe serait vue comme un outil permettant au médecin de se construire face aux dures réalités qu’il va affronter durant sa vie professionnelle. Mais cet outil un peu spécial semble être un secret que les Français gardent pour eux. Car il est presque impossible d’expliquer à des praticiens étrangers l’ambiance d’une salle de garde à la mode dechez nous. Ils ne voient tout simplement pas de quoi il peut s’agir.

 

« Nous n’avons absolument aucun équivalent », explique par exemple Florian, jeune gastroentérologue allemand exerçant à Munich. « Ces salles de garde ont vraiment l’air d’être un endroit spécial. » Charlotte, gynéco toulousaine qui a passé quelque temps en Norvège et qui a d’ailleurs raconté ses aventures nordiques dans What’s up DocDoing a fellowship in Oslo » #25 à #28), n’a pas non plus rencontré l’once d’une culture carabine chez les Vikings. « Ce sont des gens très puritains, très respectueux, pas vraiment le genre à faire des blagues salaces », se souvient-elle.

 

Même réponse en Angleterre. C’est du moins l’opinion d’Olivier, psychiatre français installé à Londres depuis des années. « Ici il n'y a pas vraiment de pendant à l'esprit carabin au sens français, surtout dans son acceptation grivoise », détaille-t-il. « Certainement pas de salles de garde avec fresques, cela conduirait sans le moindre doute à des plaintes multiples et probablement à des problèmes avec l'équivalent de l'Ordre des médecins ». Olivier dit par ailleurs n’avoir « jamais entendu de paillarde anglaise », et assure que « personne ne semble avoir compris de quoi [il] parlait » quand, à notre demande, il s’est renseigné sur le sujet.

 

Mais comment font-ils ?

 

Bien sûr, la Rédaction n’a pas pu entreprendre un tour du monde pour épuiser la question. Mais d’après l’association « Le Plaisir des dieux », qui défend les traditions carabines, celles-ci sont peu présentes à l’étranger, « sauf chez nos voisins belges ». Il faut donc se rendre à l’évidence : les jeunes médecins d’autres pays ont trouvé le moyen d’apprivoiser Thanatos sans recourir à Eros.

 

À moins de considérer qu’au-delà de nos frontières, les praticiens ont un problème avec la mort, l’argument selon lequel fresques pornographiques et autres paillardes aident le médecin à affronter les dures réalités de leur métier ne tient donc plus la route. Les traditions carabines sont un héritage du passé, et leur caractère sexuel puise ses racines dans une culture que l’on peut choisir de dénoncer ou au contraire de défendre. Mais l’ériger en vertu, voire en nécessité, c’est aller un peu trop loin…

 

* Fresques de salles de garde, Ramsay, 1980

** 30 histoires insolites qui ont fait la médecine, Plon, 2017

 

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Témoignage : La salle de garde comme rituel initiatique

 

Bastien Thelliez a travaillé sur la culture carabine alors qu’il étudiait les arts du spectacle à l’université. Pour lui, le côté sexuel des salles de garde ne peut se comprendre que si on replace le cadre plus large de l’histoire de l’internat.

 

What’s up Doc. Comment la culture carabine est-elle née ?

 

Bastien Thelliez. Le folklore des carabins provient de la création de l’internat en 1802, mais on y reconnaît des références beaucoup plus anciennes remontant au Moyen Âge. L’idée de naissance est en réalité assez impropre, car il s’agit plutôt d’un entremêlement entre un héritage historique d’une part, et la réflexion des internes d’autre part.

 

WUD. Quelle fonction ce folklore jouait-il dans le quotidien de l’hôpital ?

 

BT. À l’origine, les internes vivaient encasernés à l’hôpital, ils n’avaient que peu de loisirs et les sorties étaient rares. Ils s’inventaient donc leur propre vie culturelle et sociale. Il faut aussi rattacher la salle de garde à ce moment où l’interne est entre le monde étudiant et le monde professionnel, où il se forme pour passer de l’un à l’autre. L’internat et la salle de garde représentent ce moment liminaire entre deux états, qui universellement a toujours été l’objet de rituels.

 

WUD. Et comment comprendre le rôle du sexe dans ces rituels ?

 

BT. Le folklore de salle de garde est une expression estudiantine, une expression de jeunesse, une expression de corporation, une expression de vitalité, et au final une expression culturelle et identitaire. Les images à caractère sexuel sur les murs de salles de garde ne font qu’exprimer cette vitalité.

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