Le discours d'un roi

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Critique de "Quelle folie" de Diego Governatori (sortie le 9 octobre 2019).

Le discours d'un roi

Le cinéaste Diego Governatori a proposé à Aurélien Deschamps, autiste de haut niveau, de tenter de représenter et de capter, via la caméra, l' "objet autistique". En lâchant la bride à son discours pour mieux exposer la complexité de sa pensée et surtout de son cours, il expose au risque de noyer le spectateur sous un flot continu, interrompu par une scénographie un peu trop surlignée...

Il faut avoir le cerveau sacrément accroché pour pouvoir entrer dans le film de Diego Governatori et dans la tête d'Aurélien Deschamps, jeune homme tourmenté à la présence pourtant déroutante, très cinématographique pour le coup. On peut aussi choisir de se laisser porter par le tumulte permanent de sa pensée, à laquelle il nous laisse accéder avec une apparente aisance qui contraste de façon saisissante avec les efforts de chaque instant que représente pour lui, ainsi que pour toutes les personnes autistes dont il porte la voix, l'adaptabilité, à la fois nécessaire et impossible, au monde qui l'entoure. De ce discours, qui devient à lui tout seul et par sa forme, plus que par son contenu, l'essence de l'enfermement autistique, émergent régulièrement des moments qui éclairent mieux qu'un ouvrage clinique sur les processus à l'œuvre dans le handicap que constitue l'autisme. Comme une constante incapacité à incorporer, à s'immerger durablement dans les mille et un codes que constitue le quotidien individuel et social.

Attention, tout de même. Toute prodigieuse qu'est sa pensée, de par son fond et sa facilité à constamment jaillir, telle un ordre souterrain dans le chaos neuronal, la situation d'Aurélien Deschamps demeure singulière. Il parle de lui-même, et c'est admirable et émouvant, mais c'est aussi ce qui l'a construit et nourri intellectuellement qui parle à travers lui. Son discours est nourri d'une culture philosophique qui pourrait tout autant le rapprocher de sa vérité que l'en éloigner, de par une tendance à la globalisation - il l'évoque d'ailleurs de façon très pertinente. Cette généralisation et ce recours à des concepts notamment psychanalytiques ont pour effet collatéral d'entretenir une confusion gênante, au niveau épistémologique, entre l'autisme et la psychose.

On sort finalement du film assez essoré intellectuellement, l'important étant de saisir de par cette expérience immersive quelque chose que nous aurions difficilement pu atteindre autrement. Dommage que, pour illustrer et tenter de rythmer le discours de ce roi d'un territoire sans autre habitant que lui, Governatori ait eu recours à une symbolique pour le coup assez lourdingue - la solitude du taureau lâché dans l'immense foule des fêtes de Pampelune...

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