Juliette, interniste, occupe son temps libre dans un camping-car de Médecins du Monde

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Interniste à l’hôpital civil de Strasbourg, Juliette Jeannel est également médecin bénévole pour la mission mobile de Médecins du monde. Une fois par mois, elle assure des consultations gratuites auprès des concitoyens les plus précaires, parmi lesquels une majorité de demandeurs d’asile. Son mot d’ordre : soigner tout le monde et contribuer ainsi à réduire les inégalités sociales.

Juliette, interniste, occupe son temps libre dans un camping-car de Médecins du Monde

Garé en double file, le camping-car Médecins du monde (Mdm) est déjà là, prêt à être chargé. Depuis les locaux strasbourgeois de l’association, deux bénévoles multiplient les allers-retours, caisses de matériel médical et de médicaments dans les bras. « Je vous ai mis un chauffage d’appoint à l’arrière. J’espère que vous n’aurez pas à vous en servir », prévient Yasmina Ferchiou, coordinatrice de la délégation Alsace de Mdm, avant de claquer la porte du véhicule.

Le cap est mis sur « Lyautey » dans le quartier du Neuhof, un ancien hôpital militaire du sud de la ville qui cache derrière ses grilles un centre d’hébergement du 115. Il est 19h30 ce jeudi 13 février. Juliette Jeannel est venue par ses propres moyens, directement après sa journée de travail au service de médecine interne et maladies infectieuses de l’hôpital civil de Strasbourg. À peine a-t-elle enfilé son gilet grimé du logo bleu et blanc de l’association humanitaire, qu’elle est interpellée par deux hommes qui se partagent un joint particulièrement odorant. « Allez-vous inscrire sur la liste et je vous recevrai », leur indique-t-elle d’un ton calme, mais ferme.

Une permanence un jeudi sur deux l’hiver

Cela fait maintenant deux ans que la jeune femme de 35 ans donne de son temps libre pour exercer en tant que volontaire chez Médecins du monde. Externe à Nice, puis interne à Toulouse, Juliette a posé ses valises dans la capitale alsacienne pour des raisons extraprofessionnelles. « J’ai suivi mon Jules, alors que je n’avais pas encore de travail, confie-t-elle. Bon, ma période d’inactivité n’aura duré qu’un mois, mais j’ai vécu ce moment comme un nouveau départ, une opportunité pour enfin faire du bénévolat. » En janvier 2017, la praticienne s’inscrit donc au Caso [Centre d’accueil, de soins et d’orientation] pour consulter le matin. Faute de place, elle participe à « quelques maraudes » avant d’intégrer la mission mobile. « Je suis devenue médecin pour soigner tout le monde et force est de constater que même à l’hôpital public, ce n’est pas le cas, remarque Juliette. J’avais envie de comprendre pourquoi la question d’inégalité d’accès aux soins demeure. »

Six mois par an, l’antenne locale de l’ONG fondée par Bernard Kouchner assure dans ce centre d’hébergement une permanence médicale gratuite, ouverte à tous, au rythme d’un jeudi sur deux. « Nous accueillons ici jusqu’à 60 personnes par soir. Et deux places supplémentaires sont réservées aux sans-abri orientés par le Samu social lors des maraudes », explique Joëlle Ponsing, accueillante-veilleuse à l’hôpital Lyautey. « Quand Mdm est là, on propose à nos résidents de voir le docteur… Après, on ne les force pas non plus », concède-t-elle. La liste d’inscription pour voir le médecin passe de mains en mains. Elle comporte une quinzaine de noms, autant de personnes disposées voir le tandem médical, toujours composé d’un médecin et d’une infirmière.

Ce soir-là, Juliette et sa collègue Nabila sont chanceuses : elles vont pouvoir recevoir les patients au chaud, à l’intérieur d’une petite chambre du rez-de-chaussée restée vacante, et non à l’arrière du camping-car comme c’est parfois le cas. « On s’adapte, mais c’est sûr que l’hiver, c’est plus confortable pour tout le monde d’être à l’intérieur », assure Juliette. Jusqu’à 23 h, les consultations se succèdent dans la petite salle à la peinture jaune défraichie. Une première dame souffre d’un trouble somatoforme. Un jeune homme, des séquelles d’une entorse à la cheville suite à son parcours migratoire. Un autre s’est bloqué le dos à force de porter des charges lourdes. « Je suis plongeur et commis de cuisine au Meteor [une brasserie du centre-ville], raconte Mohamdi Zaiougay, réfugié politique sahraoui de 26 ans. Je suis allé voir mon médecin traitant pour un arrêt de travail, mais je ne pouvais pas avancer les 7,5 € non-pris en charge par la sécurité sociale. »

« Les stigmates de souffrances anciennes »

Si le binôme prend en charge les patients comme dans n’importe quel cabinet médical, le travail des deux femmes consiste surtout à informer et à orienter vers des structures sociales et médicales appropriées. «Nous pouvons dépanner des médicaments pour deux ou trois jours, mais nous ne pouvons pas nous substituer à des soins qui existent », prévient-elle. En plus de la barrière de la langue, qui peut donner lieux à des situations cocasses, Juliette pointe « beaucoup de non-dits » qui rendent la tâche du médecin plus délicate : « Quand on ausculte les corps, on voit les cicatrices, les stigmates de souffrances anciennes, sans en avoir le récit complet ».

À Strasbourg, parmi les quelque 70 bénévoles que compte Médecins du monde, ils ne sont que six médecins à exercer bénévolement, dont plusieurs retraités. « Je pense que certaines personnes sont naturellement plus tournées vers l’aide et la solidarité que d’autres, avance-t-elle pour expliquer le désintérêt de ses confrères pour l’associatif. En tout cas, l’engagement me paraît indispensable pour exercer mon métier tel que je l’aime. » Cette fibre sociale, Juliette la porte également lorsqu’elle intervient en milieu carcéral à l’occasion « d’astreintes le week-end », ou en tant que présidente de Migrations Santé Alsace, une association qui a pour objet de promouvoir la santé des populations migrantes et de leurs familles. Médecin engagée, Juliette explique que les inégalités sociales l’ont « toujours révoltées ». Et d’ajouter : « Les études de médecine sont très techniques, chargées d’informations, mais ne nous apprennent pas assez le retentissement que la précarité peut avoir sur la vie des gens. »

Il est 22h30 et la praticienne bénévole range son stéthoscope. Le dernier patient ne s’est pas montré, préférant retrouver les bras de Morphée. Des permanences comme celle-ci, Juliette en assure une par mois. Une limite qu’elle s’impose pour tenir sur la durée. Interniste, bénévole et généraliste en prison, l’emploi du temps de Juliette est acquis à la cause d’une certaine idée de la médecine, pour tous quels que soient les revenus ou l’origine. Non pas sans une certaine fatigue mentale et physique, qui reste bien dérisoire face à la qualité des rencontres humaines et des émotions vécues en consultation : « J’ai beau me dire que je finis trop tard, je continue. »
 

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