Jean Rottner : la région, le virus et moi

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Le Dr Jean Rottner préside la région Grand-Est depuis 2017. Mais c’est le coronavirus qui a véritablement fait de cet urgentiste, membre du groupe « Les Républicains », une figure politique de premier plan. De la crise épidémique à celle des urgences, de ses études « en dilettante » à la vocation médicale de son fils, il raconte tout à What’s up Doc.

Jean Rottner : la région, le virus et moi

What's up Doc. Si en 2017, avant de prendre la présidence de la région Grand-Est, on vous avait annoncé la pandémie que vous alliez devoir affronter, auriez-vous signé ?

Jean Rottner.  Les choses ne se présentent pas vraiment comme ça. On n’a pas eu le choix, on a pris un rouleau compresseur viral en pleine figure. Cela dépassait tout entendement, mais on a dû faire face. Je dois également dire que la crise a aussi quelque chose de passionnant pour l’urgentiste que je suis en termes d’organisation, de connaissances… Et c’est vrai que cela m’a permis d’avoir une ampleur politique assez singulière.

WUD. Le fait d’être médecin et président de région, dans une telle période, doit avoir quelque chose d’assez particulier…

JR. C’est un avantage, indéniablement, parce qu’on détecte les signaux faibles que les autres ne perçoivent pas au départ. J’ai d’ailleurs pu alerter mes homologues présidents de région en leur disant de se préparer, en les avertissant de ce qui pouvait se passer si le virus arrivait chez eux. Mon métier de médecin m’a aussi permis d’être davantage dans l’écoute : je me suis remis, pendant quelques soirées, à venir renforcer le Samu, pour vivre au milieu des équipes, pour comprendre ce qui était en train de se passer au delà de ce qui m’était raconté.

WUD. Ce métier de médecin, vous ne l’exercez plus depuis plus de 10 ans, sauf situations exceptionnelles. Cela vous manque ?

JR. Non, parce que je suis passé à autre chose. Il ne faut pas céder à la politique du rétroviseur, en regrettant l’hélicoptère, le gyro, l’adrénaline…  J’ai une autre adrénaline tous les jours, j’ai des choses qui me motivent. Ce que j’ai fait dans ma vie médicale, je ne le regrette pas, c’était un vrai bonheur, mais les phases de construction individuelle font qu’après la médecine, j’ai fait de la politique, et qu’après la politique, je ferai probablement autre chose.

WUD. Parlons pour l’instant de ce qui s’est passé avant la politique. Comment avez-vous choisi le métier de médecin ?

JR. C’est quelque chose qui s’était imposé à moi en fin de première ou début de terminale, et que j’ai fait avec beaucoup de plaisir. Je ne suis pas, toutefois, un exemple d’études très linéaires : j’ai fait beaucoup de choses pendant cette période. La fête, bien sûr, mais j’avais aussi déjà beaucoup d’engagements : des responsabilités étudiantes (j’ai été vice-président de mon université), mais aussi des responsabilités familiales (je suis devenu père très tôt, à 21 ans). Cela dit, à la fin de ma quatrième année, j’ai décidé d’y aller, de performer, et cela s’est très bien passé à partir de ce moment-là.

WUD. Pourquoi vous être orienté vers la médecine d’urgence ?

JR. Cela s’est aussi imposé à moi très tôt de manière évidente, lors de mon premier stage d’internat en médecine générale. Une fois mes études finies à Strasbourg, je suis redescendu sur Mulhouse, je suis devenu assistant, j’ai eu mon concours de PH très rapidement, puis je suis devenu chef de service assez jeune, à 35 ans. Ce que j’ai adoré dans cette profession d’urgentiste, c’est le travail d’équipe, la solidarité : on sait qu’on peut compter sur la personne à côté de soi pour faire le bon geste au bon moment. C’est justement pour cela que j’ai arrêté de pratiquer une fois que j’ai embrassé une carrière politique : je ne voulais mettre en danger ni mon équipe, ni les patients, ni moi-même.

Ce que j'ai adoré dans cette profession d'urgentiste, c'est le travail d'équipe, la solidarité. 

WUD. Entre le préhospitalier, l’intrahospitalier, la régul’, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

JR. J’ai beaucoup aimé la régulation, mais on ne préfère rien en particulier : c’est un tout. Et j’ai aussi beaucoup aimé le travail sur l’organisation, sur l’informatisation du service, sur la diminution du temps d’attente, notre lutte acharnée auprès de quatre ministres de la Santé successifs afin d’obtenir un hélicoptère…

WUD. Vous disiez que vous aviez eu des responsabilités très tôt… C’était déjà de la politique ?

JR. Non, c’était de l’engagement. Je le dois, je crois, à mes parents, qui ont toujours fait preuve d’une grande ouverture envers les autres. Ils étaient tous les deux enseignants, et mon père, par la suite, a dirigé un établissement pour personnes en état de handicap mental. J’ai été fortement marqué par cet environnement familial. Le fait que j’aie choisi de devenir médecin, que j’aie choisi la politique, n’y est pas étranger.

C'était de l'engagement. je le dois à mes parents, qui ont toujours fait preuve d'une grande ouverture envers les autres.

WUD. Et comment, justement, en êtes-vous venu à la politique ?

JR. Par le plus grand des hasards, en croisant quelqu’un qui voulait se présenter aux élections législatives, et qui a trouvé que je ferais un bon suppléant. J’ai dit pourquoi pas, j’y suis allé. J’étais au bon endroit au bon moment, et j’y ai pris goût.  Ma carrière politique est un peu le fruit du hasard. Je suis devenu maire de Mulhouse alors que rien ne m’y prédisposait : j’étais le premier adjoint de Jean-Marie Bockel, qui avait rejoint Nicolas Sarkozy et qu’il a fallu remplacer à partir de 2010. Pour la région, c’est un peu la même chose. J’étais vice-président, maire, et très heureux de cette situation. Philippe Richert, le président, m’a dit qu’il en avait assez, qu’il était usé… Il m’a demandé d’y aller, l’équipe a dit banco. Ce sont des portes qui se sont ouvertes.

WUD. Vous parlez de rencontres, de personnalités, plus que de convictions…

JR. Mes convictions politiques ont été bâties pendant ma vie d’étudiant, avec un certain nombre de figures qui m’ont marqué, qui m’ont guidé, façonné dans mon engagement public : Pierre Pflimlin, Marcel Rudloff, Adrien Zeller, Philippe Richert… Je suis issu d’une forme de droite modérée, de ce qu’on appelle le centre alsacien, et on peut dire que la démocratie chrétienne me va bien.

WUD. Vous vous êtes donc entièrement consacré à la politique à partir de 2010. Pourtant, la médecine vous a rattrapé au moment de la crise des urgences, et vous avez repris du service à Mulhouse…

JR. Oui, les désaffections médicales s’étaient succédé dans mon ancien service, il y avait une vraie crise, et en octobre 2019, j’ai repris la blouse pour donner un coup de main. Il ne s’agissait pas forcément d’un coup de main médical, car on n’arrête pas pendant une dizaine d’années pour reprendre du jour au lendemain. Je me suis plutôt positionné dans un rôle de conseil, de soutien, d’organisation… On a finalement pu recruter, reconstituer cette équipe qui s’était désagrégée. J’ai fait cela pendant 2 mois, et je dois dire que sur le plan personnel, c’était un peu compliqué d’être à la fois à l’hôpital et sur mes engagements politiques.

WUD. On vous a accusé d’en profiter pour faire de la communication politique, pour vous mettre en scène…

JR. Vous n’avez jamais vu une photo de moi, à ce moment-là, dans le service. J’ai toujours refusé.  
Il y en a eu juste une, avec mon fils, qui était interne à l’époque : j’ai pris une photo avec lui, parce que j’étais fier (rires). Mais je n’ai pas communiqué volontairement là-dessus, je n’en ai pas fait  
un outil politique.

WUD. Ce n’est pas seulement votre service qui était en crise, mais l’ensemble de la médecine d’urgence. Quel est votre diagnostic, Dr Rottner ?

JR. Aujourd’hui, les urgences sont à la fois une pièce maîtresse du dispositif de santé, et un maillon faible. La médecine libérale ne fait plus le job ; ce n’est pas une critique, c’est un constat. L’hôpital privé n’a pas toujours de service d’urgences. L’hôpital public est donc l’endroit où l’on se rend, car c’est là qu’il y a de la lumière la nuit.

Les urgences sont à la fois une pièce maîtresse du dispositif de santé, et un maillon faible.

WUD. Vous faites donc partie de ceux qui pensent que l’enjeu est de détourner une partie du flux de patients qui vient aux urgences vers d’autres modes de prise en charge ?

JR. Cela dépend des territoires, des solutions humaines à disposition, et aussi peut-être de décisions nationales. Mais il faut surtout une forme de nouveau pacte social à l’échelle de ce pays : on ne peut pas toujours être en sous-effectif, toujours sur des choix par défaut. Si on assume une filière, il faut lui donner les moyens de fonctionner, d’exister, quitte à ce qu’elle soit déficitaire. Cela peut être le service des urgences, cela peut être une maison médicale de consultations avancées, l’important est de construire la filière solidement.

WUD. Face à ce tableau assez sombre, conseilleriez-vous à un jeune médecin de s’orienter vers la médecine d’urgence ?  D’ailleurs, à propos, votre fils fait quelle spé ?

JR. Il fait médecine d’urgence (rires) ! Il est très épanoui, mais je n’y suis pour rien, même si je ne lui ai pas déconseillé de le faire. Je suis épaté quand il me décrit la manière dont on utilise aujourd’hui des choses que je n’ai jamais connues, ou qui étaient encore balbutiantes : l’échographe, les intra-osseuses, les machines à masser, la circulation extra-corporelle… On a fabriqué des urgences qui souffrent parce qu’on n’y a pas mis les moyens au bon moment. C’est dommage, et c’est vrai que cela peut décourager les jeunes médecins, qui peuvent se dire que ce n’est pas comme cela qu’ils veulent vivre. Je peux les comprendre. Mais il n’y a pas beaucoup de services où l’on vit une telle cohésion d’équipe, des minutes aussi intenses, autant d’émotions, de drames, de satisfactions…

WUD. Face à la crise des urgences, mais aussi face à la crise épidémique, demandez-vous plus de responsabilités pour les régions en matière  de santé ?

JR. À 100 %. À la région Grand-Est, nous dépensons environ 210 millions d’euros par an pour la santé. Ce n’est pas grand-chose à l’échelle d’un budget de 3,1 milliards, mais c’est un bon début. Et nous sommes impliqués sur presque toutes nos compétences : mobilité, formation, économie, industrie, innovation, tous ces sujets ont un lien avec la santé. Malheureusement, nous sommes aujourd’hui dans un monde recentralisé, avec une hyper-administration intermédiaire qui ne fait que gonfler. Quand l’État veut faire fermer des maternités ou des services de pédiatrie loin des CHU, il se tourne vers nous en nous demandant de l’aider à faire passer la pilule. Moi je ne marche plus. On peut travailler autrement, on peut réfléchir à la manière d’être cofinanceurs, et donc d’avoir notre mot à dire.

WUD. Personnellement, comment sortez-vous de cette crise ?

JR. Humainement, c’est une crise qui m’a marqué, j’ai perdu pas mal de proches, d’amis, de collègues… J’ai donc appris à être extrêmement modeste par rapport à ces phénomènes.  

BIO express

  • 1997 : PH au Centre hospitalier (CH) de Mulhouse
  • 2002 : Première candidature électorale, comme suppléant aux législatives
  • 2005 : Directeur médical du pôle des urgences au CH de Mulhouse
  • 2010 : Commence à militer à Europe-Ecologie les Verts (EELV)
  • 2008 : Maire de Mulhouse 2017 : Président de la région Grand-Est 

 

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