IVG : puits de conscience

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On en clause ?

IVG : puits de conscience

Face à la pénurie de gynécologues, le sujet délicat de la clause de conscience refait surface. Entre liberté de pratique et droit d’accès aux soins, l’épineuse question des convictions morales et religieuses s’invite dans un débat féministe.

Au Centre hospitalier du Bailleul, dans la Sarthe, il n’était pas possible de subir une IVG cet été. Le dernier gynécologue qui avait accepté de les réaliser est parti à la retraite, et ses confrères font tous jouer leur clause de conscience. Une situation compliquée, dans un département à la démographie médicale déjà délicate.

Une situation qui est parvenue jusqu’aux oreilles de Nadine Grelet-Certenais, sénatrice (PS) de la Sarthe, qui avait interpellé Agnès Buzyn au Sénat, lors de la séance publique du 31 juillet dernier. Elle avait notamment regretté que « des médecins, au mépris de l’accès aux soins, font valoir des réticences d’ordre personnel ou éthique ». Boum, voilà comment on relance un débat !

Des réacs aux commandes ?

Si la ministre de la Santé s’est contentée de répondre sur la logistique pour sortir de cette petite crise sarthoise, d’autres n’ont pas manqué de réagir. Le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) n’a pas laissé passer l’occasion de réaffirmer son attachement à la clause de conscience. « La réalisation de l’avortement n’est pas un acte de soins ordinaire », rappelle-t-il dans un communiqué publié le 10 août. « À ce titre, il nécessite des médecins à qui la loi reconnaît le droit d’avoir une liberté de conscience ».

De l’autre côté du spectre, de nombreuses voix en provenance d’associations féministes ou de particuliers sur les réseaux sociaux se sont faites entendre. Entre les craintes d’une inégalité d’accès aux soins pour les femmes et des critiques acerbes sur ces médecins qui sont « de bons gros réacs de droite », il y a de la matière.

Point Godwin

Contacté par What’s up Doc, le Dr Bertrand de Rochambeau, président du Syngof, reconnaît que l’accès à l’IVG peut parfois poser problème. « Entre la diminution du nombre de gynécologues et la concentration de l’offre de sois, l’accès à l’orthogénie se complexifie. Mais ce que semble oublier la sénatrice, c’est que l’IVG n’est pas un acte comme les autres. Elle bénéficie d’un principe dérogatoire », estime-t-il. « Il y a un dilemme éthique avec la charte de l’Ordre des médecins qui défend pour principe de ne pas attenter à une vie ».

Mettons nous en situation : le nombre de gynécos est trop faible, ils sont de plus en plus nombreux à refuser l’IVG, et il devient difficile d’avorter. La clause tient-elle toujours ? « Depuis la loi de 2006, les sages-femmes peuvent la pratiquer », répond d'abord le président du Syngof. « Elles sont 26 000 ce qui, en comparaison du nombre de gynécologues, est énorme ». Elles sont là pour pallier les pénuries et, dans tous les cas, pas question de l’abandonner. « Il ne faut JAMAIS la remettre en question », estime-t-il. « Nous avons été témoins des excès du nazisme, et du communisme en Chine et en URSS. Pour des refus, les médecins pouvaient passer aux armes. Si vous enlevez la conscience et l’éthique aux médecins, on perd les médecins. C’est ce qui les protège ».

 

 

Un gynéco, à quoi ça sert ?

Clara de Bort, directrice d'hôpital et militante féministe, de son côté, estime que la réponse logique à la question de la clause de conscience émergerait d’une véritable réflexion sur la mission du médecin gynécologue. « Intellectuellement, c’est intéressant de se poser la question », explique-t-elle à What’s up Doc. « Est-il là pour faire naître des bébés ? Pas vraiment… Pour soigner ? Pour faire de la contraception ? Les gynécologues ne sont pas clairs sur l’objectif stratégique de leur métier », estime-t-elle, rappelant que la spécialité s’est construite autour du contrôle des naissances et du corps de la femme. « Ils perpétuent cette vision d’une sexualité hétéro "normale" visant à faire des enfants ».

L’endocrino pourrait gérer la prise d’hormones, le chirurgien les césariennes, le sexologue la sexualité et l’urologue l’appareil urinaire, souligne-t-elle également. « Pour moi, la seule véritable différence qui donnerait sa place au gynécologue résiderait dans l’orientation de la discipline vers l’autonomisation de la femme vis-à-vis des maladies et des contraintes de la nature », ajoute-t-elle, précisant que dès qu’elle s’éloigne des considérations féministes, la gynécologie perd son sens.

On fait comment ?

Avec ce raisonnement, elle en est convaincue : la clause de conscience pour les IVG n’a plus lieu d’être. Une démarche mentale aisée lorsqu’on se place du côté des patientes. Mais comment gérer la réserve morale ou religieuse du praticien ? Clara de Bort n’y va pas par quatre chemins. « Qu’est-ce que c’est que ces médecins qui palpent 10 000 euros par mois et qui s’apitoient sur leur clause de conscience ? », s’emporte-t-elle. « Si ça leur pose des problèmes religieux ou autres, ils n’ont qu’à faire une autre spécialité ! »

Reste que, religion ou pas, clause ou non, l’IVG reste un acte déprécié par la communauté médicale. Qui va aller raconter le soir, en rentrant : « Aujourd’hui, j’ai pratiqué une IVG… C’était top » ? Clara de Bort souhaite que ce geste, qui est un acte médical et technique comme les autres, soit désacralisé. « On continue de nous juger alors que c’est une extraction dentaire ! », pousse-t-elle. « Je force le trait, mais c’est volontaire. Vous savez, l’IVG sauve des vies : statistiquement, poursuivre une grossesse est plus dangereux pour la mère que pratiquer une IVG. Et sur le plan moral, ne vaut-il pas mieux attendre le bon moment pour encourager une grossesse ? »

En attendant, comment fait-on ? On supprime la clause et on poursuit les gynécos qui ne font pas le boulot ? « Je ne dis pas qu’il faut changer les règles en cours de route », tempère Clara de Bort. « Les féministes ne sont pas toutes d’accord sur ce point, mais il est important, à mon avis, d’en passer par la banalisation de l’IVG ».

Pour les nouveaux gynécos sortis tout frais des ECN, plus de clause de conscience ? Au moins, ils seraient prévenus. Mais peut-on construire la liberté (des femmes) sur la contrainte (des gynécos) ?

Source:

Jonathan Herchkovitch

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