Hôpital VS vie de famille : « Nous ne sommes pas des parents comme les autres »

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Ils sont médecins hospitaliers et mères ou pères de famille. Gardes, horaires décalés, pression, vie de famille... Un équilibre est-il possible entre hôpital et foyer ? Comment prendre soin des siens sans sacrifier son métier ? Plusieurs jeunes médecins ont accepté de nous raconter leur quotidien, les doutes et les galères, mais aussi les ressources pour tenir bon sur les deux fronts.

 

Hôpital VS vie de famille : « Nous ne sommes pas des parents comme les autres »

Lucile, médecin généraliste en service de médecine polyvalente et mère d'un petit garçon de 4 ans

« Aujourd'hui j'ai pris une demi-journée de repos et l'hôpital m'a déjà appelée deux fois ! », s'exclame Lucile à l'autre bout du fil, quand on l'appelle pour recueillir son témoignage. « Combien de fois je dois demander à mon fils de regarder un dessin animé le temps que je règle une situation urgente... ». Généraliste en service de médecine polyvalente au CHU de Nice, la jeune femme de 32 ans fait partie de ces hospitalières pour qui la vie s'est sérieusement compliquée à l'arrivée du premier enfant. « J'ai choisi le salariat comme beaucoup de jeunes femmes. Salaire fixe, sécurité de l'emploi, congés... C'était beaucoup plus rassurant que le libéral », se souvient-elle. Pourtant, la réalité s’avère moins idyllique. « Le salaire est assez faible en début de carrière, là où l’on doit assumer des frais de garde énormes pour son enfant. Et puis, en tant que médecin, nous ne sommes prioritaires pour rien à l'hôpital, même pas pour la crèche... Du coup le mode de garde devient une question épineuse. J'ai vu certaines de mes collègues finir par quitter l'hôpital à cause de cela ». Pour couronner le tout, estime-t-elle, « dans certains services, faire un enfant est mal vu ».


Une vie « qui abîme aussi les couples »
 

Son fils était âgé de 8 mois quand elle est retournée travailler à l'hôpital, où elle a retrouvé sans transition « les grosses journées de 10 heures ». « J'allaitais et je n'ai jamais pu tirer mon lait sur place, par manque de temps et de conditions adaptées ». Heureusement, elle a pu compter sur le soutien de ses parents et de son conjoint, « pas un médecin, mais très compréhensif sur nos conditions de travail. Je vois des collègues qui n'ont pas cette chance et finissent en temps partiel ou avec des frais de garde colossaux ».
 
Tout lui fait dire que « nous, médecins, ne sommes pas des parents comme les autres. Mon fils ne comprend pas pourquoi je ne l'attends jamais au portail de l'école à la fin de la journée ». La culpabilité agit parfois à double sens. « Tout le temps que je passe à la maison ou que je me sauve de l'hôpital pour assister à la fête de l'école, je ne suis pas sereine, je me dis que je devrais être au travail. Et inversement : quand je travaille le soir, j'ai cette pensée en arrière-fond qui me dit que je devrais être à la maison, à donner le bain ou le dîner... » Loin d'être un détail, cette vie à mille à l'heure « abîme aussi les couples », glisse celle qui, pourtant, ne changerait pour rien au monde de métier.
 

André, médecin urgentiste et père de deux filles de 5 et 8 ans
 

André, 39 ans, n'est pas du genre à sacrifier ce qu'il aime. Ni sa passion pour la médecine ni sa famille, ni même son goût pour l'équitation. Un difficile exercice d'équilibriste ? Ce médecin urgentiste au CHR Metz-Thionville en a conscience. En août 2019, quand il contracte une tuberculose latente dans le cadre de son travail, puis déclenche une intolérance aux traitements, le voilà contraint de s'arrêter pendant près d'un an. « Être à l'arrêt a suscité en moi une immense déception, avoue-t-il. C'était impossible d'être à la fois malade et affaibli, professionnel compétent et papa efficace. Il a fallu choisir ».
 
L'urgentiste est du genre médecin passionné et travailleur acharné. Les semaines types, il ne connaît pas. Certaines années, il a pu assurer jusqu'à 16 gardes par mois. En 2014, en apprenant néanmoins l'arrivée de son deuxième enfant, il se débrouille pour éviter les gardes de 24 heures. Deux ans plus tard, il parvient à réorganiser son temps de travail et à retrouver une vie plus équilibrée. Il y avait urgence. « Mes filles m'ont souvent dit que j'étais trop absent, elles ont même pleuré il y a peu quand je leur ai annoncé la fin de mon arrêt de travail », lâche-t-il.
 

« A Noël, les difficultés se cristallisent »
 

L'hôpital, souvent, finit aussi par déteindre sur la sphère conjugale. « Avec ma conjointe, nous avons traversé des crises, glisse-t-il sans s'épancher. Des amis m'ont souvent dit ne pas avoir compris comment nous avions tenu. Mais nous avons tenu ! ». Bien sûr la double casquette parent-médecin hospitalier impose tôt ou tard des arbitrages difficiles, « des dilemmes » comme il dit. « Comme à Noël où les difficultés se cristallisent. Je ne vois mes frères et mes sœurs qu'une fois par an, jamais plus. Il y a des sacrifices inévitables à faire pour préserver ses enfants et sa compagne. » Selon lui, une bonne organisation et des relais efficaces sont clés. Lui et sa conjointe ont pu compter sur les grands-parents, tout en faisant appel à une société d'aide à domicile. « Nous avons trouvé une assistante maternelle souple et compréhensive. Il est primordial de constituer une véritable équipe autour de soi », conseille celui qui aura même réussi en s'installant à la campagne à préserver sa troisième passion, celle pour les chevaux.
 

Lucie, neurologue, et Emmanuel, chirurgien, parents de deux garçons de 9 et 12 ans
 

Depuis plus de 12 ans, Lucie et Emmanuel parviennent à concilier leurs missions hospitalières respectives et celles, communes, de parents impliqués. Super-parents, super-médecins ? « Globalement, chez nous, c'est la course un peu tout le temps », sourit Lucie, neurologue. Quand elle rentre à la maison après 19h30, ses deux garçons de 9 et 12 ans ont déjà dîné avec la nounou. Emmanuel, chirurgien, ne chôme pas non plus, loin s’en faut, avec ses deux jours à deux jours et demi de bloc par semaine, auxquels il faut ajouter les visites et les tâches diverses à l'hôpital, sans compter les week-ends d'astreinte. Sans aide extérieure, sans « nounou à temps plein », ici plus qu'ailleurs, rien ne serait possible, admet le couple parisien.
 

« J'ai une charge mentale de fou »
 

« On imagine mal à quel point il faut tout planifier. Ma vie est devenue une liste de choses à faire en permanence, c'est un truc de dingue, raconte Lucie. J'ai une charge mentale de fou, tout le temps en train d'anticiper au maximum. A chaque fois, je me dis que ça ne peut pas être plus... mais c'est toujours plus. Avec les enfants qui grandissent, les activités supplémentaires, les problèmes liés à notre logement... ». Malgré ces contraintes, Emmanuel estime quant à lui que « c'est une richesse pour des enfants que de voir leurs parents passionnés par leur métier ». Même quand les bips d'urgence sonnent sans arrêt ou que l'un des parents est obligé de sortir précipitamment du cinéma pour répondre à un appel de l'hôpital.

Réalisé avec le soutien de la mnh.fr/mediceo

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