Grand débat national : tu l’entends monter la grogne des libéraux ?

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Contraintes administratives, niveau et mode de rémunération, assistants médicaux, exercice regroupé… Consultés par le SML dans le cadre du Grand débat national, les médecins libéraux ont exprimé vivement leur mécontentement.

Grand débat national : tu l’entends monter la grogne des libéraux ?

Dans le cadre du Grand débat national, le SML (Syndicat des Médecins Libéraux) a interrogé 1800 médecins libéraux (50 % de généralistes, 50 % de spécialistes) pour « explorer les différentes dimensions de l’exercice et favoriser l’expression sur les réformes à l’œuvre et futures ». Ce questionnaire en 38 items a fait aujourd’hui l’objet d’une restitution ce 6 mars par le syndicat. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a un fossé entre les mesures du gouvernement et les attentes des médecins.
 
Premier résultat : les médecins libéraux dénoncent les contraintes multiples qui entravent leur exercice. Depuis quelques années, ils ont essuyé de nombreuses réformes qui se sont traduites par un accroissement des formalités administratives ces cinq dernières années pour 79,90 % d’entre eux. Ce qui correspond à une demi-journée de travail supplémentaire (53,60 %) par semaine, voire une journée (31,50 %).
 
« Leur temps médical s’en est trouvé renié, de même que leur vie professionnelle et leur temps de repos est également réduit pour leur permettre de s’exécuter de cette besogne administrative », relève le SML qui constate « un accroissement de leur charge de travail ». 36,7 % d’entre eux affirment d’ailleurs sacrifier leur vie personnelle pour assumer ce surcroit de travail, 5 % se sentent débordés et n’y arrivent plus. Le burn-out n’est pas loin… Comme ce qui est arrivé récemment à cette jeune généraliste de 35 ans.
 

Pas emballés par les assistants médicaux

Ce qui est plus surprenant, c’est que les deux tiers (67 %) jugent peu utile l’embauche d’assistants médicaux, tandis que 12 % à peine envisageraient d’en recruter. Comment expliquer ce manque d’enthousiasme ? « Les médecins ne souhaitent pas, en tant que libéraux, bénéficier de subventions à la durée hypothétique assortie de multiples contraintes et de contreparties », précise le SML.
 
Ils préféreraient « de loin » que « la valeur de leurs actes leur permette de dégager un chiffre d’affaires suffisant pour être en mesure d’assumer par leurs propres moyens ce type de recrutement », affirme le SML qui relaye le témoignage d’un médecin.
 
« Si on veut vraiment dégager du temps médecin pour un généraliste, ce n’est pas d’assistants type "super infirmière" dont nous aurons besoin, mais plutôt d’aide pour pouvoir embaucher une secrétaire et payer un comptable »
 
C’est ce qu’on appelle un joli camouflet pour le gouvernement qui désire créer 4 000 postes d’assistants médicaux pour libérer du temps médical dans le cadre du plan Ma Santé 2022.
 

Les CPTS jugées trop technocratiques 

Malgré la charge de travail importante, les médecins libéraux sont à 85 % satisfaits de leur métier. Ils redoutent néanmoins les effets coercitifs de la réforme du système de santé, en particulier la nouvelle organisation territoriale dans le cadre des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) dont ils ont à 73 % une perception négative. Pour rappel, l’une des mesures phares de Ma Santé 2022 prévoit le déploiement de 1000 CPTS pour mailler le territoire national à l’horizon 2022.
 
Mais, si l’on s’en tient à la consultation du SML, ces structures sont trop technocratiques. Certains praticiens redoutent des « usines à gaz avec un cahier des charges contrôlé par les ARS », « une charge administrative de plus », voire une activité chronophage avec des « réunions incessantes ». D’autres ont même expérimenté à leurs dépens les démarches longues (plus de trois ans), voire vaines et infructueuses en raison de la technocratie des ARS, relate le SML.
 
Autre point de discorde avec le gouvernement : « L’exercice isolé, notamment le retour à l’exercice en solo après avoir travaillé en groupe, comme d’ailleurs l’exercice regroupé devrait procéder de choix individuels et non de contraintes imposées », résume le SML.
 

Non à la rémunération forfaitaire

Les médecins libéraux voient également d’un mauvais œil un autre élément phare de Ma Santé 2022 : la rémunération forfaitaire. 95% des médecins interrogés s’opposent à ce que la rémunération forfaitaire soit conditionnée à l’adhésion à une CPTS. Autre rejet unanime (à 93,4%) : l’idée de rendre obligatoire l’intégration dans une structure d’exercice coordonné. Pour faire simple : les médecins libéraux s’opposent à toute forme de forfait, qu’il s’agisse de la rémunération à l’épisode de soins (94,78 %), de la rémunération à la qualité (78,11%) ou de l’introduction d’une part de forfaitisation (75,7%).
 
Certains médecins suspecteraient même que cette rémunération forfaitaire conduise progressivement au salariat, selon le SML qui s’est lancé dans une comparaison audacieuse : « Les forfaits sont perçus comme des primes ou des subventions. Or, les médecins libéraux ont observé le sort des agriculteurs, qui, peu à peu, ont cessé d’être rémunérés pour leur activité de production pour être alors perfusés de subventions. Et quand les subventions se sont taries, il y a eu une hécatombe et les agriculteurs ont disparu. »
 
On ne s’étonnera donc pas que le paiement à l’acte soit le mode de rémunération privilégié par les praticiens (à 92,4%) qui le considère comme « l’attribut naturel du statut libéral », selon le SML, allant même jusqu'à en faire « l’un de marqueurs identitaires les plus forts ». Contrairement aux forfaits « synonymes de complexité, de bureaucratie et qui entament l’indépendance des professionnels ». Message reçu à 150 % ! Le clou de l’acte est profondément enfoncé !
 
Il fallait également s’y attendre : 78,52 % des « libéraux » sont « peu » ou « pas du tout » satisfaits de leur rémunération. Ils considèrent aussi que « si leurs actes avaient été justement valorisés, l’Assurance maladie ne serait pas à présent contrainte d’engager des financements pour les assistants médicaux », dont les créations de postes devraient « être possibles sans subventions », a observé le SML.
 
Cerise sur la tarte à la crème envoyée au visage du gouvernement : deux dispositions importantes de Ma Santé 2022 ne rencontrent pas l’adhésion du tout du tout du tout des médecins libéraux. Premièrement, la supervision de la création des CPTS par les ARS suscite un rejet massif (92,77 %), comme le regroupement des professionnels de santé libéraux au sein des CPTS (85,35 %), synonyme de fin de l’exercice isolé.
 
Deuxièmement, les libéraux s’opposent vivement aux transfert des tâches médicales à d’autres professionnels de santé (67,%), mais aussi à la vaccination par les pharmaciens (67 %).
 
Seule consolation pour le gouvernement, la suppression du numerus clausus est plutôt bien accueillie (51,82 %). C’est ce qu’on appelle une goutte d’eau dans un océan bien agité…
 
 

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