Grâce à la reprise de la dette, les hôpitaux vont pouvoir embaucher ? Ah bon t’es sûr ?

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La reprise par l’État d’une partie de la dette hospitalière était la mesure-phare du plan d’Agnès Buzyn en faveur des établissements publics. Leur donnera-t-elle les moyens de satisfaire  la principale revendication du mouvement de contestation qui les traverse depuis plus d’un an, à savoir le recrutement de personnel supplémentaire ? Pas sûr.

Grâce à la reprise de la dette, les hôpitaux vont pouvoir embaucher ? Ah bon t’es sûr ?

Imaginez : par un coup de baguette magique, une bonne fée promet d’effacer un tiers de votre crédit immobilier. Voilà qui serait certainement l’occasion pour vous d’ouvrir une bouteille de champagne et de mettre davantage de beurre dans les épinards. Eh bien c’est un peu ce qu’Agnès Buzyn a promis de faire pour les hôpitaux publics dans le cadre de son plan « Investir pour l’hôpital », présenté en novembre dernier. L’État s’y engage en effet à rembourser dans les trois ans 10 des 30 milliards d’euros de dette accumulés par les établissements français. Alors, champagne, beurre, épinards et recrutement de personnel ? Minute, papillon… Certes, la reprise de la dette va incontestablement donner un bol d’air aux établissements. « On ne peut pas dire qu’il ne s’agit pas d’un effort important, et cela aura un effet immédiat pour les hôpitaux qui ont d’importantes charges financières pesant sur leurs budgets courants », commente Jérôme Wittwer, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et président du Collège des économistes de la santé. « Mais tout dépendra de la politique de l’hôpital : si celui-ci choisit plutôt de réduire son déficit, par exemple, la mesure ne sera pas très visible pour le personnel. »

Priorité à l’investissement

Pour savoir si la reprise de la dette permettra aux services en tension d’avoir un infirmier ou un aide-soignant en plus, il faut donc se tourner vers les responsables hospitaliers eux-mêmes afin de connaître leurs intentions. Or il semblerait que ceux-ci aient d’autres priorités que l’augmentation de la masse salariale. « Nous souhaitons utiliser cette mesure comme un levier pour augmenter les dépenses d’investissement », explique Cécile Chevance, responsable du pôle « Finances » de la Fédération hospitalière de France (FHF), le lobby des hôpitaux publics. Aujourd’hui, rappelle-t-elle, la moitié des hôpitaux investissent moins de 3 % de leurs recettes, « ce qui est considéré comme la limite en dessous de laquelle il ne faut pas descendre si on veut assurer le simple renouvellement des équipements ». Moralité : si la réduction de la dette allégera un peu les budgets courants des hôpitaux car ceux-ci paieront moins d’intérêts, le gros de l’effet attendu porte sur les budgets d’investissement. Certes, les professionnels seront heureux de travailler dans des locaux moins vétustes ou avec du matériel plus conforme aux standards du moment, mais cela nerépondra que très indirectement aux trois revendications du mouvement de protestation porté depuis des mois par le Collectif interhôpitaux (CIH) : plus de budgets, plus de lits, plus de postes.

Pas de dette, (presque) pas d’allègement

Et il y a pire : l’allègement de la dette ne bénéficiera pas de la même manière à tous les hôpitaux, loin de là. « Rappelons qu’une quinzaine d’établissements représentent à eux seuls un tiers du total de la dette, et qu’une cinquantaine en rassemblent la moitié », détaille Cécile Chevance. Certes, les mécanismes de mise en œuvre de la mesure, qui ne sont pas encore connus à l’heure où nous écrivons ces lignes, devraient aplanir les disparités de sorte que l’allègement bénéficie au moins un peu à tout le monde. Mais il est indéniable que les hôpitaux les moins endettés seront pénalisés. Autre point d’inquiétude : les fonds qui serviront à l’allègement de la dette des hôpitaux seront-ils pris ailleurs dans les dépenses de santé, aggravant ainsi les tensions et le manque de personnel hors des établissements ? « A priori non, ces milliards ne seront pas pris sur l’Ondam [Objectif national de dépenses d’Assurance maladie, NDLR], même s’il faudra être vigilant sur les prochains PLFSS [Projets de loi de financement de la Sécurité sociale, NDLR] », répond Jérôme Wittwer. Même optimisme mesuré du côté de la FHF. « C’est bien de l’argent en plus, mais nous insistons pour que cet engagement soit entièrement réalisé au plus tard en 2022… parce qu’après, nul ne sait ce qui se passera », explique Cécile Chevance. En d’autres termes, la conduite à tenir est celle de Woody Allen : « Prends l’oseille et tire-toi ».

 

Trois questions à Antoinette Perla
Le Dr Antoinette Perlat, interniste au CHU  de Rennes et membre du Collectif interhôpitaux, fait partie des praticiens qui ont démissionné de leurs fonctions administratives début 2020 pour réclamer plus de moyens. Pour elle, l’allègement  de la dette ne suffit pas.
What’s up Doc. La reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux va-t-elle dans le bon sens ?
Antoinette Perlat. On ne va pas dire que c’est une mauvaise nouvelle. Mais tout d’abord, il s’agit d’une reprise partielle, qui ne règle donc pas tout le problème. Il reste tout de même deux tiers de la dette à rembourser. D’autre part, une partie des hôpitaux vont utiliser cet argent pour remettre leurs finances à l’équilibre, et non pour ouvrir des lits, embaucher du personnel et augmenter les budgets. Il y en a même qui pourraient s’en servir pour refaire de la dette : moins endettés, ils pourraient réemprunter plus facilement.
WUD. Les responsables hospitaliers disent vouloir utiliser cet argent prioritairement pour investir, qu’en pensez-vous ?
AP. Ce n’est pas non plus une mauvaise nouvelle. Mais on peut travailler dans des locaux vétustes. Mon hôpital, par exemple, est très mal isolé, mais ce n’est pas de cela que se plaint le personnel. Ce que nous disons, c’est que nous ne sommes pas assez nombreux, que nous ne sommes pas remplacés quand nous sommes absents, etc.
WUD. Pour vous, cet allègement de la dette est donc une mesure trop indirecte ?
AP. Oui. L’argent de la reprise de la dette arrivera au mieux fin 2020, alors que l’urgence est sur les besoins de l’année, que nous estimons à 800 millions d’euros.

 

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