Fresques : cent médecins ne baissent pas la garde

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Une centaine de médecins demandent à l’exécutif de revenir sur sa décision et de ne pas supprimer les fresques de salles de garde.

Fresques : cent médecins ne baissent pas la garde

Une salle de garde de l'AP-HP.

© DR.

Certains considéreront sans doute qu’à l’heure de la réforme des retraites et de la crise de l’hôpital public, défendre les fresques de salle de garde est loin d’être une priorité. D’autres au contraire jugeront qu’il s’agit d’une question de principe, tenant à la défense de la liberté d’expression et que c’est justement en ces temps difficiles qu’il est nécessaire de protéger l’esprit carabin et son caractère cathartique. C’est l’opinion d’une centaine de médecins hospitaliers français mais aussi étrangers qui signaient ce lundi 20 mars sur le site Atlantico une lettre ouverte au Président de la République Emmanuel Macron et au ministre de la Santé François Braun pour défendre les fresques de salles de garde.

Une tribune qui vient répondre à une circulaire émise par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) le 17 janvier dernier, demandant à l’ensemble des Agences régionales de Santé (ARS) de prendre les mesures nécessaires pour faire retirer de tous les établissements hospitaliers les fresques de salles de garde. Dernier vestige de l’esprit carabin dans des hôpitaux où les traditions de ce type ont, à de rares exceptions près, été abandonnées, ces fresques à caractère pornographique s’amusent à représenter des médecins de l’hôpital en plein ébat sexuel, s’adonnant à des pratiques transgressives.

De Napoléon à Manet, les médecins convoquent l’Histoire

Pour la DGOS, ces fresques ne sont plus compatibles avec l’esprit de notre temps et avec la lutte salutaire (mais dont les cibles sont peut-être parfois décalées) contre les violences sexuelles et les comportements inappropriés. Ces dessins constituent « un agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité » écrivent les agents de la DGOS dans leur jargon administrativo-judiciaire.

Une analyse battue en brèche par les auteurs de la tribune en question. Pour ces médecins chevronnés qui sont tous passés par des salles de garde, ces fresques « font partie de l’histoire médicale de notre pays ». Ils ne manquent pas de rappeler l’importance historique des salles de garde, dont l’origine remonte à la création de l’internat par Napoléon Bonaparte en 1802 ainsi que son rôle de défouloir pour les médecins. « Les internes, praticiens en première ligne, face à la maladie, la mort ou encore la misère sociale, y trouvaient et y trouvent encore, un espace de liberté et de défoulement » écrivent les médecins. « La salle de garde a aujourd’hui perdu de son prestige et n’est le plus souvent qu’un lieu de passage, mais reste encore un défouloir où les règles de vie sociale et les rapports hiérarchiques sont temporairement modifiés voire suspendus ». 

Les défenseurs des fresques de salle de garde n’hésitent pas à inscrire ces œuvres « volontairement outrancières » dans l’histoire de l’art. « Depuis toujours, la femme a été représentée dans la peinture et dans la sculpture, avec une certaine dimension érotique » écrivent les médecins, qui n’hésitent pas à évoquer Le Déjeuner sur l’herbe de Manet ou l’Origine du monde de Courbet, des œuvres qui avaient fait scandale en leurs temps et qui sont désormais considérés comme des chefs d’œuvre. « Nous ne cherchons pas à comparer les fresques de salles de garde à des œuvres majeures, mais nous revendiquons que la symbolique de la salle de garde et ses fresques soit respectée et maintenue ».

François Braun allait-il en salle de garde avec le père de Macron ?

Pour les auteurs de la tribune, cette défense des fresques s’inscrit dans un combat plus large contre une forme de progressisme pudibond, le fameux « wokisme » (terme que la tribune n’emploie cependant pas). Une idéologie que les médecins rapprochent prudemment d’une autre, bien plus mortifère, celle de l’islamisme radical. « Sans comparer l’incomparable et toutes proportions gardées, ce sont des motifs bien futiles qui ont conduit à saccager le musée de Mossoul et à dynamiter les statues de Bouddha. C’est aussi sous la pression de certaines minorités qui jugent le passé avec des critères du présent que l’on débaptise des établissements scolaires et hospitaliers, en attendant que certaines statues entretenant la mémoire de l’histoire de notre pays dans l’espace public soient bientôt condamnées ».

Les médecins terminent leur lettre ouverte en s’adressant directement à Emmanuel Macron et à François Braun, lui-même ancien urgentiste, tentant sans doute de jouer sur la corde sensible. « Monsieur le Président, vous-même fils d’un médecin universitaire qui a sans doute fréquenté avec bonheur les salles de garde, accepterez-vous que l’administration française ampute cet espace de liberté de ses fresques patrimoniales ? Monsieur le Ministre, n’avez-vous jamais fréquenté les salles de garde ? Avez-vous déjà imaginé que leurs fresques puissent constituer une atteinte grave à la dignité humaine ? ».

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/diaporama/salles-de-garde-lenvers-du-decor-premiere-partie

Chacun jugera si cette tribune constitue ou non un combat d’arrière-garde. Un argument des auteurs semble tout de même selon nous emporter l’adhésion : celui selon lequel les jeunes médecins qui se sentiraient choqués par ces fresques somme toute inoffensives peuvent tout simplement ne pas se rendre en salle de garde, « leur présence en ce lieu étant purement facultative ».

Nicolas Barbet
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