Femme, mère, chirurgien, professeur des universités, chef de pôle…

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Interview du Pr Véronique Duquennoy-Martinot

Femme, mère, chirurgien, professeur des universités, chef de pôle…

What’s Up Doc? Le fait d’être une femme a-t-il eu un impact particulier sur votre carrière?

« J’ai trouvé qu’on nous attendait au tournant avec des doutes sur notre capacité à y arriver. Par contre, personne ne vous met réellement de bâtons dans les roues. Et, une fois que nous avons démontré notre compétence, on est alors écoutée, voire estimée. La reconnaissance est alors supérieure, comme si nous y étions arrivées malgré un handicap terrible.

Le vrai problème est l’extrême difficulté à gérer de façon harmonieuse une vie professionnelle riche et une vie familiale équilibrée, et j’en ajouterai une troisième, la vie de femme. »

Justement, peut-on dire que c’est possible?

« Oui bien sûr, mais la difficulté vient des responsabilités, et donc des contraintes du métier lui-même.

Il faut une organisation très solide, des moyens financiers et accepter des sacrifices : gardes d’enfants, femme de ménage, pouvoir malgré tout partir en vacances ou se détendre. Construire une famille quand on est en cours de formation est difficilement compatible avec un projet professionnel ambitieux, mais pas impossible. Les étapes de la carrière universitaire tombent en même temps que les âges où l’horloge biologique sonne et je crois que souvent, ce sont les femmes qui renoncent, pensant que c’est une montagne infranchissable.

J’ai quatre enfants. À ma première grossesse, j’étais interne, à la deuxième, CCA, la troisième, j’allais être agrégée et la dernière, j’étais presque chef de service. Ça a été de plus en plus facile. Des deux premières, j’ai des souvenirs atroces comme d’emmener les enfants en garde au milieu de la nuit par exemple. Mon mari n’était pas aidant ; nous avons d’ailleurs divorcé. Je vis maintenant avec un chef d’entreprise qui travaille beaucoup, mais qui s’investit bien plus. Le choix du conjoint implique beaucoup de choses. Il faut avoir la chance de rencontrer un partenaire qui accepte les réunions tardives, les déplacements, qui parfois remplisse le frigidaire, change le petit, qui garde les enfants pour qu’on ait des activités de loisir.

Mais la vie quotidienne de la maison repose encore sur mes épaules. Je crois que les femmes sont « multitâches ». Dans la journée, je suis constamment en train de travailler et de penser à ce que je dois faire pour ma famille. À l’hôpital, je ne prends pas de pause : entre deux interventions, je réponds au courrier, je prépare un cours, j’appelle l’orthodontiste pour ma fille,… »

Comment se sont déroulées vos grossesses?

« J’ai fait quatre grossesses pathologiques. J’étais couchée
à six mois et j’accouchais à huit, j’ai fait une septicémie, j’ai eu un décollement placentaire.

À la deuxième grossesse, j’ai même eu la visite de l’assistante sociale. On avait un questionnaire à remplir que les caisses nous envoyaient. Comme je prenais des gardes, que je n’avais pas d’horaires réguliers, que j’habitais au quatrième sans ascenseur, que je n’avais pas d’aides, je me suis retrouvée dans les populations à risque. Elle est donc arrivée chez moi, un peu estomaquée quand elle a vu que j’étais médecin… »

Selon vous, comment la féminisation influencera l’évolution de la médecine?

« Le milieu médical devra s’organiser différemment pour permettre d’harmoniser les vies personnelles et professionnelles. Les femmes seront une aide à cette évolution, car elles savent hiérarchiser et privilégieront naturellement les enfants au boulot. Même si on rate un congrès, une occasion de faire une intervention, même si on se fait piquer un poste. Et je sens que cette évolution, je le vois chez mes collaborateurs masculins, génère chez eux aussi l’envie de pouvoir s’investir dans leurs vies personnelles. Ce n’est pas que la féminisation, c’est une évolution de société.

Cela imposera d’organiser les soins par équipe, que ce soit en libéral ou à l’hôpital. C’est la fin de la pratique individuelle isolée. Et je suis toujours étonnée de voir que ça ne pose pas de problèmes aux patients quand on l’affiche clairement. Ce n’est pas une dépersonnalisation de la relation médicale, c’est une évolution. »

Est-ce que l’hôpital anticipera cette évolution?

« Non, l’hôpital a d’autres préoccupations, principalement de santé publique et de gestion de l’argent public, mais aussi de gestion des syndicats de personnels non médicaux. Les conditions de travail des internes et des chefs ne font pas partie de ses priorités. De plus, ses interlocuteurs sont les patrons qui ont oublié pour la plupart ce qu’est la vie d’un interne. Ils s’en souviennent comme de la cheville ouvrière, celui qui assure les gardes, la porte, les soins quotidiens dans les services. Donc l’hôpital n’a pas nécessairement conscience que l’avenir de la médecine française, ce sont les internes.

Ce sont les femmes qui diront « Désolée mais moi, mercredi après-midi je ne suis pas là. Sur mon contrat de travail est marqué que je dois travailler dix demi-journées. Eh bien ! je finis régulièrement à 20h, donc mes dix demi-journées, je les fais largement. » Elles partiront et on découvrira que dans un service où il y a des femmes, il n’y a personne le mercredi après-midi. L’hôpital sera obligé de s’organiser pour que ça fonctionne aussi avec une forte féminisation. »

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