Dr Laurent Alexandre : « Les études de médecine ne servent à rien, n’entrez pas à la fac, vous allez perdre 10 ans de votre vie »

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Chirurgien urologue de formation, le Dr Laurent Alexandre analyse, dans son dernier livre, l’irruption de l’IA en santé et adresse aux étudiants en médecine un message pour le moins… radical. 

Dr Laurent Alexandre : « Les études de médecine ne servent à rien, n’entrez pas à la fac, vous allez perdre 10 ans de votre vie »

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Passé par plusieurs grandes écoles pendant et après ses études de médecine, Laurent Alexandre a cessé son activité d’urologue pour se consacrer à l’entreprenariat. Fondateur de Doctissimo et de plusieurs start-up du numériques, il fait de l’intelligence artificielle l’un de ses terrains d’analyses privilégiés. À 65 ans, ce technophile assumé, parfois controversé, co-signe avec l’essayiste Olivier Babeau, un énième ouvrage sur le sujet, sobrement intitulé Ne faites plus d’études – Apprendre autrement à l’ère de l’IA

 

What’s up Doc : Votre livre commence par un aveu : vous êtes pris de panique face à l’IA. Pourquoi maintenant ? 

Laurent Alexandre : Parce que la société, et en particulier le monde de l’éducation, ne se prépare absolument pas au choc de l’IA. On pouvait anticiper la révolution, certes. Mais ce qui arrive est pire que prévu.
Voir que l’Assemblée nationale (au moment de l’examen du PLFSS, ndlr) parle des retraites, mais pas une seule fois d’éducation ni d’IA, nous angoisse, mon co-auteur Olivier Babeau et moi. Nous sommes pères de famille nombreuse : nos enfants vont entrer dans un système qui n’est pas prêt.

 

Dans le médical, l’IA est déjà très performante en diagnostic. Jusqu’où peut-elle aller, selon vous ? 

LA. : Je suis convaincu qu’à moyen terme, nous ne poserons plus les diagnostics, nous ne choisirons plus les traitements, et nous n’opérerons plus les malades. Le rôle du médecin deviendra celui d’un orchestrateur d’IA, un chorégraphe, mais il ne prendra plus les décisions. L’IA continue de progresser sans plafond de verre : Gemini 3 (IA de Google), qui vient de sortir, est nettement meilleur que ChatGPT 5.1. Les professionnels de santé, comme dans d’autres secteurs, doivent sortir du déni.

 

Toutes les spécialités seront touchées par le phénomène ? 

LA. : Toutes le seront très vite. Les spécialités chirurgicales le seront juste un peu plus tard, car la robotisation complète de la chirurgie prendra davantage de temps.
Attention : je ne dis pas du tout qu’il n’y aura plus besoin de médecins et que ceux-ci vont disparaître. Je dis que le métier sera extrêmement différent et qu’il sera interdit à un médecin de faire un diagnostic ou une ordonnance sans validation de l’IA. Je ne vois pas d’argument solide pour prédire l’inverse.

 

« L’université aujourd’hui forme des médecins anti-complémentaire de l’IA » 

 

Vous décrivez l’université comme obsolète, pourquoi ?

LA. : L’université est aujourd’hui une bureaucratie archaïque, incapable de se réformer. Les études de médecine prennent 10 ans pour devenir généraliste : c’est grotesque à l’ère de l’IA. On fait apprendre des quantités de choses inutiles, mais on ne forme pas à la seule compétence cruciale, qui est l’orchestration de l’IA. Et cela est valable pour la plupart des cursus. 
L’université oublie un fait simple : l’IA est déjà plus intelligente que 99,93 % des humains. Bientôt ce sera 100 %. Il ne faut plus former à des tâches techniques mais à l’interfaçage entre l’IA et les humains. Or l’université fait exactement l’inverse, elle forme des médecins anti-complémentaire de l’IA. 

 

Que voulez-vous dire par là ? 

LA. : ChatGPT est largement meilleur que les médecins pour un diagnostic. (certaines études sont plus nuancées, ndlr) Mais le plus grave, c’est que ChatGPT + médecin est moins performant que ChatGPT seul. Cela signifie que la formation actuelle produit des médecins qui abaissent la performance de l’IA. Ce n’est pas acceptable. 

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Le titre de votre livre Ne faites plus d’études est tout de même une provocation ?

LA. : Pas du tout. C’est littéral. La plupart des cursus, tels qu’ils sont construits aujourd’hui, sont une perte de temps. Il existe des exceptions, des cursus extrêmement exigeants et adaptés. Mais pour l’essentiel, l’université ne prépare pas au monde réel. 
Ce n’est pas un constat définitif, il vaut pour 2025. Peut-être que d’ici dix ans, de nouvelles structures éducatives émergeront et les facs se réformeront radicalement. Je ne dis pas qu’il ne faut plus jamais faire d’études de médecine. Je dis qu’il ne faut pas faire d’études de médecine aujourd’hui. Et je le dis les yeux dans les yeux à la nouvelle génération. 

 

« Les médecins de demain seront en réalité des "super infirmières", paupérisées, déclassées et profondément malheureuses »

 

La génération de médecins actuellement en formation est donc, comme vous le dites, une « génération sacrifiée » ? 

LA. : Oui. Ils ne sont pas formés à être les médecins de demain. Ils seront en réalité des « super infirmières », paupérisées, déclassées et profondément malheureuses… Alors qu’ils auront fait dix ans d’études.

 

Alors, quel conseil donnez-vous à un nouveau bachelier qui souhaite faire médecine en 2025 ? 

LA. : Simplement : n’entrez pas en médecine aujourd’hui. Vous allez perdre dix ans pour un métier qui sera complètement différent de ce pour quoi on vous forme. Si vous voulez aider les patients, créez une start-up de biotech ou d’IA appliquée à la médecine. Mais ne faites pas médecine tant que les facs n’auront pas réorganisé leur cursus autour de l’IA. Sinon, j’appelle cela du masochisme. 

 

Vous comprenez tout de même qu’il est difficile de dire à un jeune de se lancer dans l'entreprenariat à la sortie du bac ? 

LA. : Alexandr Wang, à qui Mark Zuckerberg (Facebook, Meta) confie la création d’une super IA a quitté la fac à 19 ans. Bill Gates (Microsoft), Mark Zuckerberg n’ont rien fait à la fac. On pourrait multiplier les exemples : Peter Thiel (Meta, Palantir), lui, offrait même des bourses aux étudiants les plus brillants pour ne pas aller à l’université. Un jeune motivé peut gagner du temps en se lançant directement.

 

« Il serait dommage de se priver du meilleur professeur de la Terre, ChatGPT, pour 20 dollars » 

 

Beaucoup ont néanmoins besoin d’un cadre pour apprendre. Avec cette vision, vous ne craignez pas une rupture du pacte républicain et méritocratique de l’université ? 

LA. : Envoyer tout le monde dans des facs qui ne forment plus à rien, est-ce vraiment républicain ? Le niveau s’est effondré, les diplômes sont distribués massivement. L’université de 2025 n’est plus celle de 1970 : elle ne joue plus son rôle méritocratique. Elle fait perdre du temps. Encore une fois, il y a des exceptions d’excellence - si on est pris à polytechnique, Cambridge ou au MIT, il faut y aller - mais elles sont rares.

 

Et si cela produisait l’effet inverse ? On peut légitimement craindre une génération découragée, qui travaille moins en délégant systématiquement à l’IA, non ? 

LA. : L’IA n’est pas faite pour les paresseux. C’est d’ailleurs l’un des chapitres du livre. Au contraire : il faudra travailler beaucoup pour devenir complémentaire de l’IA. Mais encore une fois, ce n’est pas l’université qui y prépare. 

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Un mot optimiste pour finir ? 

LA. : Pour les étudiants et internes actuels, la priorité est d’apprendre à orchestrer l’IA. Et pour cela, il faut s’autoformer. Le meilleur professeur que j’ai rencontré dans toute ma vie est ChatGPT. Personne, que ce soit en médecine ou ailleurs, n’est aussi bon. Il serait dommage de se priver du meilleur professeur de la Terre pour 20 dollars. Mais cela suppose d’avoir une intention, de savoir ce que l’on cherche. Si on ne sait pas utiliser l’IA, si on ne sait pas ce que l’on veut, on ne va pas s’en sortir. 

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