Qui a dit que les médecins ne pouvaient pas être punk ? Passionnée de musique depuis l’enfance, Juliette Felician, PH de 32 ans, a choisi les riffs de guitare électrique et les kicks de grosse caisse pour s’exprimer. À travers un mélange d’influences empruntant au pop punk des années 2 000 et au nu-metal, le quattuor Mess Out dont elle fait partie aborde avec émotion les sujets liés à la santé. Mais pas seulement.
Le groupe se produira à Lyon le 21 septembre, pour un concert caritatif au bénéfice de la Ligue contre le cancer.
What's up Doc : La musique et vous, c’est une histoire de longue date ?
Juliette Felician : Oui ! J’ai commencé le piano à 6 ans, et le violoncelle à 8 ans. J’ai fait une dizaine d’années de conservatoire, et j’ai obtenu mon certificat de fin d’études en piano et violoncelle, mais aussi en déchiffrage, en orchestre, en musique de chambre et en formation médicale. J’ai également donné pas mal de cours de musique par la suite, pour financer mes études de médecine, étant boursière.
Je suis passée par plusieurs groupes de musiques de différents styles : du rock progressif au métal, en passant par le reggae. J’ai même été dans des groupes de reprises pour les mariages. En 2018, j’ai rejoint Mess Out en tant que bassiste et deuxième voix, et m’y suis depuis consacrée à temps plein, en parallèle de mon métier de psychiatre.
La psychiatrie justement, c’était le métier de vos rêves ?
JF : Oui, j'ai toujours voulu faire ça, en partie pour des raisons familiales. J’avais un grand-père psychiatre qui m’a beaucoup partagé de son métier. Mes deux parents étaient psychologues et m’en parlaient également beaucoup, et ça m’intéressait pas mal. Ça aussi sans doute beaucoup joué dans mon orientation professionnelle. Au lycée, j’étais passionnée par la philosophie et notamment la psychanalyse. Même si je ne suis plus du tout dans cette direction, c’est la psychanalyse qui m’a fait découvrir et apprécier la psychiatrie.
Si je n’étais pas devenue médecin, je pense que j'aurais été prof de musique. Quoi qu’il en soit, en tant que psychiatre, j’essaie de mettre en avant l’importance de la santé mentale, un sujet qui résonne particulièrement dans nos compositions.
« Ça reste de la fiction et tout ne reflète pas ma vision absolue de l’hôpital public. Si j’y travaille, c’est que j’y crois quand même ! »
La santé mentale fait d’ailleurs partie des thèmes que vous abordez dans vos morceaux…
JF : La santé au sens large, même ! Déjà, il faut savoir que nos chansons sont de manière générale très pessimistes, ce qui contraste beaucoup avec notre manière d’être sur scène. Récemment, on a écrit une chanson qui s’appelle Crève, et qui sortira sur notre album, prévu pour 2025. Cette chanson parle du système hospitalier, du manque de places et de moyens. On y raconte la difficulté des gardes et la maltraitance des patients. Elle parle aussi de la libéralisation de l’offre de soins, au détriment de sa qualité… Évidemment, cela reste quand même de la fiction, et ne reflète pas ma vision absolue de l’hôpital public. Si j’y travaille, c’est que j’y crois quand même !
Plusieurs musiciens du groupe ont un rapport personnel avec la maladie ?
JF : Oui. On a fait un morceau qui parle de la maladie d’Alzheimer, une maladie dont était atteint le père du chanteur. On y aborde la perte de mémoire, le point de vue des aidants… Et moi, j’ai écrit une chanson qui parle de la maladie de ma mère, qui l’a emportée il y a quelques années. J’y raconte notamment le regard que je portais dessus quand j’étais adolescente et qu’elle était malade.
Ma mère était très impliquée à la Ligue contre le cancer. Cela m’a donné envie de les contacter pour voir si on ne pouvait pas faire quelque chose ensemble. Et cela a payé puisqu’on a décidé de coorganiser un concert caritatif prochainement. Il aura lieu le 21 septembre à Bron et tous les bénéfices seront reversés à la Ligue contre le cancer.
Mais la santé n’est pas l’unique thème abordé dans vos chansons, de quoi parlez-vous d’autres ?
JF : On parle de pleins de chose, de harcèlement en ligne, de violences policières, de sexisme… globalement toutes les choses qui nous remuent un peu et nous tiennent à cœur. Notre premier clip Waste parlait d’écologie. C’est un dessin animé que j’ai entièrement réalisé. J’adore dessiner, c’est une autre de mes passions. D’ailleurs, je travaille depuis un an sur un autre dessin animé, un peu dans le même style que le premier, qui sortira en septembre.
Médecin, instrumentiste, chanteuse, dessinatrice... vous dormez parfois… ?
JF : Et je ne vous ai pas parlé du vélo ! (rires) Je me suis mise à faire du sport à fond, dès que j’en ai eu l’occasion à l’internat. J’ai notamment été en équipe nationale de cyclisme, et ai pu faire pas mal de compétitions à un assez haut niveau. Aujourd’hui, je suis plutôt dans le cyclisme « plaisir », ce qui ne m’empêche pas d’en faire encore énormément, près de dix heures par semaine.
Votre engagement pour les causes évoquées dépasse-t-il le cadre de la musique ?
JF : J’ai eu un compte Twitter très actif au début de mon internat, sur lequel je relayais pas mal de contenu, que ce soit du militantisme féministe, LGBTQIA+, ou encore sur les conditions de vie à l’hôpital. J’ai abandonné ce compte suite au rachat par Elon Musk, car je m’oppose absolument à ses idées.
Aujourd’hui, mon militantisme s’articule plutôt autour de la promotion du vélo et de l’aménagement des pistes cyclables. Je fais aussi toujours partie d’associations de défense de la cause LGBTQIA+, notamment pour l’organisation d’évènements. Mais je suis moins impliquée qu'avant sur internet, j’essaye un peu plus de protéger ma vie privée.
« Je parle beaucoup avec des personnes âgées, particulièrement des femmes, qui racontent l’époque où elles n'avaient pas le droit de d'avoir un compte en banque, ni de travailler toute seule »
Et récemment, sur la nouvelle vague #MeToo à l’hôpital ?
JF : J’en ai pas mal parlé. J’ai moi-même été victime d’agression dans le passé à Marseille. Là-bas, de mon temps, il y avait une grande tradition patriarcale et d’omerta, j’ignore si c’est toujours le cas. Beaucoup de chefs avaient des comportements très permissifs, et ils étaient tous en lien les uns avec les autres. Je n’ai jamais dénoncé qui que ce soit parce que je n’avais pas envie de mettre ma carrière en jeu, et je ne pense pas que je le ferai un jour, même si cela me démange. Car même si je n’ai pas vécu des choses très graves au sens pénal du terme, je pense qu’il y aurait pu avoir des conséquences. Alors oui, c’est des choses que l’on voit encore aujourd’hui. Cependant, ici à Lyon, j’ai été plutôt épargnée. Je trouve que l’ambiance en psychiatrie est vraiment bienveillante, c’est un environnement plutôt privilégié.
La musique vous aide-t-elle dans la pratique psychiatrique ?
JF : Dans la façon de bosser. Je n’ai jamais vraiment eu besoin de travailler pendant ma scolarité, jusqu’à mes études de médecine. Je pense que la rigueur de la musique m’a aidée à ce moment-là, dans l’organisation et l’apprentissage. C’est une manière de travailler que je tiens de ma formation musicale et de ma prof de piano de l’époque, dont je loue la manière d’enseigner.
Et le contraire vaut aussi. La psychiatrie m'a aidée pour la musique, en me permettant d’avoir plus de recul sur la vie de manière générale, du fait des discussions que j’ai pu avoir avec les patients. Je parle notamment beaucoup avec des personnes âgées, particulièrement des femmes, qui racontent l’époque où elles n'avaient pas le droit de d'avoir un compte en banque, ni de travailler toute seule… On voit quand même que les choses ont évolué, même si on dit qu'il y a encore beaucoup de luttes à tenir.
Vous vous verriez mettre votre activité médicale en pause pour vous consacrer pleinement à la musique ?
JF : Je pense. Le souci, c'est que la musique que je fais ne génère pas beaucoup d’argent par rapport à d’autres styles, comme le rap. Même les gros groupes de punk rock ont du mal à vivre uniquement de leur musique. Par exemple, nous partageons le studio avec un groupe qui s’appelle TARLD. Même eux, alors qu’ils sont relativement connu et qu’ils passent au HellFest, travaillent à côté. Donc c’est quand même vachement difficile d’en vivre. Mais si c’est possible, bien-sûr que je suis prête à tout mettre de côté pour la musique, et je pense que tout le groupe est du même avis que moi !
Quelles sont les prochaines actualités de Mess Out ?
JF : À part le concert caritatif dont on a parlé, nous jouerons le 1er Novembre à Chambéry, le 21 décembre à Grenoble, et le 25 janvier à Lyon ! En plus de tout ça, il y aura une surprise en février, probablement la plus grosse date de toutes ! On communiquera en temps voulu car, pour le moment, on ne peut pas en dire plus…