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De la Creuse (aucun spécialiste répertorié) à la Gironde, un peu mieux lotie (6,8 praticiens pour 100.000 habitants) mais contrainte d'absorber les cas venus de départements voisins, cette vaste région du Sud-Ouest symbolise une pénurie nationale, synonyme pour les malades de parcours de soins « catastrophiques ».
Comme pour Dominique Estebens, 69 ans, atteinte subitement d'un psoriasis en plaques sévère en décembre 2023, qui a dû attendre jusqu'à l'été pour être soignée à Bordeaux.
« J'avais les mains gonflées, rouge sang, les ongles épouvantables », raconte-t-elle, très émue, à l'AFP, décrivant la « prostration » ressentie « pendant plus de six mois ». « J'étais réveillée pendant mon sommeil par des douleurs aux pieds. Je me suis dit : "Si ça continue comme ça, je ne vais plus pouvoir marcher." »
Cette secrétaire médico-sociale à la retraite n'obtient un rendez-vous avec une dermatologue de ville qu'en avril, avec un traitement inadapté, avant de forcer la porte du CHU de Bordeaux en juillet pour, enfin, obtenir des soins efficaces.
« Il faut leur rentrer dedans, à la limite », déplore-t-elle. « Mais bon, ils ont un travail de dingue (...) Ils voudraient bien prendre les gens mais ils sont un peu dépassés. »
Un an d'attente pour un rendez-vous de suivi : « délirant »
Même avis pour Émilie Dieda, 20 ans, atteinte d'un vitiligo, qui doit caler son rendez-vous de suivi dermatologique douze mois à l'avance. « Il faut attendre un an pour être rassuré, c'est horrible. C'est juste délirant », témoigne l'étudiante bordelaise en tourisme.
Selon une carte de l'accès aux soins publiée par la Fondation Jean-Jaurès, utilisant les données du site Doctolib, les dermatologues présentent un délai d'attente médian de 36 jours pour un rendez-vous, soit le deuxième plus long derrière les cardiologues (42 jours).
La Fondation relève que le nombre de dermatologues en France (3.729, territoires ultra-marins inclus) a reculé de 9% depuis 2012.
Les perspectives sont moroses, la faute au numerus clausus, qui rend aujourd'hui impossible le remplacement des praticiens partant à la retraite, selon la professeure Gaëlle Quéreux, présidente de la Société française de dermatologie (SFD).
De 90 internes en dermatologie formés, « nous sommes montés à 100 l'an dernier, mais il en faudrait 25 de plus.»
« On a dix années difficiles devant nous », confirme Marie Beylot-Barry, cheffe du service dermatologie du CHU de Bordeaux. « Pour le patient, ça signifie faire beaucoup de kilomètres, ce sont aussi des mois d'attente. »
Ce sont aussi des « pertes de chance », souligne-t-elle. Une étude menée dans le nord-est de la France a montré que la gravité des mélanomes était corrélée avec un moindre accès local aux dermatologues. « En Nouvelle-Aquitaine, on voit des cancers plus avancés, venant par exemple du Lot-et-Garonne, même de Gironde ou de Charente. »
La téléconsultation comme solution de dépannage
Pour y remédier, la SFD prévoit de mettre sur pied, d'ici à 2026, des salles de consultation itinérantes dans des camions pour cibler les zones les plus démunies, pour un budget d'équipement et de fonctionnement d'environ un million d'euros par véhicule.
De son côté, le CHU de Bordeaux a lancé une plateforme de réception de photographies à l'intention des médecins généralistes, pour un premier avis dermatologique.
« La téléconsultation, ça peut être un dépannage. Mais la solution, c'est de former plus de dermatologues », estime Anne Banvillet, déléguée régionale de l'association France Psoriasis.
Ce collectif de patients, comme l'Association française du vitiligo (AFV), joue un rôle informel d'information et d'aiguillage pour malades déboussolés. « C'est vraiment une aide importante pour nous », confirme Marie Beylot-Barry. « Ils ne vont pas faire des consultations à la place des médecins mais (...) orienter vers des parcours, parfois rassurer. »
Reste la question de la concurrence des soins esthétiques, actes rémunérateurs qui peuvent accaparer l'agenda de certains dermatologues.
Une minorité, selon Gaëlle Quéreux de la SFD : d'après elle, plus d'un tiers des praticiens libéraux « ne font pas d'esthétique » et pour ceux qui en font, cela représente « moins de 10% » de leur activité.
Avec AFP