Crise des urgences : réformer la médecine de ville ?

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Comment résoudre la crise des urgences ? Selon le Dr Laurent Vercoustre, renforcer les services d’urgences hospitaliers serait « la pire des solutions ». Selon lui, il faudrait donner plus de poids à la médecine de ville aux dépens de la médecine hospitalière. 

Crise des urgences : réformer la médecine de ville ?

À l’heure où de nombreux médecins et spécialistes réclament plus de moyens et d’effectifs pour sortir de la crise des urgences, le Dr Laurent Vercoustre, aujourd’hui à la retraite, propose un discours à contre-courant. Auteur de plusieurs ouvrages sur le système hospitalier (1), le gynécologue-obstétricien vient de faire part de son opinion dans un article publié sur son blog : « Urgences en perdition, les raisons du naufrage ! »
 
Selon lui, renforcer les services d’urgences hospitaliers serait « la pire des solutions ». Et d’ajouter : « Agnès Buzyn ne s’y est pas trompée. Une prise en charge de qualité suppose une gradation dans les réponses aux situations d’urgence. Seule la médecine de ville est capable de cette gradation. »
 
Dans une interview donnée à Libération le 11 juin dernier, Agnès Buzyn mettait en effet en avant la solution suivante pour faire face à l’afflux massif et continu de nouveaux patients aux urgences : 
 
« S’attaquer à « l’hospitalo-centrisme » d’un côté, et de l’autre, créer une nouvelle organisation pour la médecine de ville, avec les communautés territoriales de santé pour y répondre. » Car « l’afflux aux urgences est maximum en fin de journée et le week-end, c’est-à-dire aux moments où l’on a du mal à trouver un médecin en ville. »

Tendance invétérée à l’hospitalocentrisme

 Le Dr Vercoustre avance des arguments similaires. Reprenant les propos de l’économiste de santé Frédéric Bizard, il considère que « le problème des urgences est le miroir grossissant des dysfonctionnements de notre système de santé. Il reflète en effet notre tendance invétérée à l’hospitalocentrisme et notre incapacité à mettre au centre du système les soins ambulatoires de premier recours. »

Il rappelle une étude de la Drees de 2014 : « plus de la moitié de ces urgences (53%) auraient pu être prise en charge au cabinet du généraliste ou du spécialiste. » Pour en conclure que « tous ces patients qui faisaient autrefois l’essentiel des consultations de ville ont recours aujourd’hui aux services d’urgences ».
 
Pourquoi la médecine de ville ou la médecine ambulatoire ne répond plus à cette demande ? s’interroge le gynéco-obs. Parce que les patients voient dans l’hôpital « une simplification de leur parcours de soins. Ils auront, au terme d’un seul déplacement, les examens complémentaires (imagerie, biologie), le diagnostic et le traitement de leur affection », plaide le Dr Vercoustre. Même lorsqu’une alternative satisfaisante est proposée par les soins de ville, les patients préfèrent se rendre à l’hôpital, ajoute le médecin qui fait référence à une récente enquête de l’HCAAM.

Inflation considérable des consultations de suivi

Autre hypothèse soulignée par le Dr Vercoustre : « une inflation considérable des consultations dites de suivi ». L’inflation de ces actes serait selon lui due à deux phénomènes : « un accroissement considérable des maladies chroniques et des examens de dépistage ».
 
Conséquences ? « Cette masse de consultations de suivi, consultations plus ou moins complexes a fini par monopoliser l’activité des praticiens, spécialistes et généralistes », estime le Dr Vercoustre qui donne l’exemple de cas de la pédiatrie médicale soumis à la loi qui « prévoit 20 examens médicaux au cours des 16 premières années de la vie ! »
 
Ces visites de suivi suffisent à remplir les agendas des pédiatres de ville, ce qui explique en partie « la recrudescence des passages aux urgences pédiatriques entre 18 heures et 22 heures, les familles n’ayant alors pas d’autre ressource que de se tourner vers l’hôpital, analyse le médecin. D’autant, qu’à l’hôpital, ces familles n’auront pas à faire l’avance de la consultation ».

Les consultations de suivi sont chronophages

 Or, si ces consultations de suivi donnent lieu à « une activité routinière qui demande assez peu d’investissement intellectuel » pour les spécialistes, il en est tout autrement pour les généralistes « dont les trois quarts des consultations quotidiennes sont dévolues au suivi de malades chroniques », estime le Dr Vercoustre.
 
Des malades dont les dossiers « sont complexes et nécessitent d’interpeller les spécialistes » ? Ces « démarches chronophages » s’ajoutent donc « au temps passé aux tâches administratives », ce qui justifierait le fait que « les généralistes ne souhaitent plus prendre en charge les urgences ».

Médecins disponibles soir ou week-end

 Mais comment alors résoudre la crise fin à la crise des urgences ? Le Dr Vercoustre recommande notamment au gouvernement de s’inspirer du modèle suivant que l'on retrouve dans certaines chaînes de cabinet : « des médecins disponibles, y compris le soir ou le week-end, des outils informatiques qui facilitent la prise de rendez-vous et la consultation des dossiers médicaux. »
 
Reste à savoir si ce genre de modèle séduira les jeunes médecins. En effet, selon une étude du Cnom, la question des horaires et du rythme de travail est jugée déterminante pour 82 % des internes et 87 % des remplaçants. Ceux-ci sont en effet particulièrement attentifs aux trois points suivants : le bien-être au travail, l’équilibre nécessaire entre vie professionnelle et personnelle, et la prévention des risques psycho-sociaux.
 

(1) Ouvrages publiés :
– « Faut-il supprimer les hôpitaux ? L’hôpital au feu de Michel Foucault », L’Harmattan 2009.
– « Dr House et moi, simple praticien hospitalier », L’Harmattan 2014.
– « Naître à la maison, d’hier à aujourd’hui », Ouvrage collaboratif sous la direction de Marie-France-Morel, Éditions érès, 2016.
– « Réformer la santé, La leçon de Michel Foucault », Edition Ovadia 2017.

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