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Jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Les sanctions pénales encourues en cas de violences contre les soignants n’ont pas besoin de décret pour que ce facteur aggravant soit pris en compte devant les tribunaux. La loi suffit ! Promulguée le 9 juillet 2025, la loi sur la sécurité des soignants (n° 2025-623) est applicable dès sa publication au Journal Officiel, soit le 10 juillet 2025.
« Tolérance zéro » avait été le mot d’ordre du ministre de la Santé François Braun lors d’une réunion avec les syndicats en mai 2023. Dans les faits, l’observatoire du CNOM enregistre 27 % de violences en plus en 2023. « Il n’y a pas que les déclarations qui augmentent, le phénomène lui-même progresse », alerte Sophie Bauer, chirurgienne thoracique et cardiovasculaire et présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML). Et pourtant, nombre de victimes se taisent encore, freinées par la peur des représailles : « Elles savent que leurs agresseurs connaissent l’adresse du cabinet, parfois même celle du domicile. » L’isolement des praticiens rend ces violences plus lourdes à porter. « Une jeune collègue a fini par faire ses consultations avec une bombe de défense avant de décrocher sa plaque. »
Pour que la loi « passe », il aura fallu des faits graves envers les soignants, des mobilisations de l’ensemble de la communauté, et de la persévérance. Créée en novembre 2019 à Lisbonne par le Conseil européen des Ordres des Médecins (CEOM), la journée du 12 mars – Journée européenne de sensibilisation à la violence contre les médecins et les autres professionnels de la santé – est devenue en France une date symbolique de mobilisation avec la création en 2025 du « Collectif du 12 mars ». Lancé par Saïd Ouichou, médecin généraliste à Marseille, il rassemble des organisations professionnelles et syndicales du monde de la santé : syndicat des médecins libéraux (UFML), collectif Médecins pour demain, SOS Médecins France, rejoints par les kinés et les pharmaciens notamment.
Un projet passé de main en main
Adoptée en accéléré le 14 mars 2024, puis étudiée au Sénat, la proposition de loi sur les violences aura finalement réussi à passer les mailles de la valse des ministres depuis 2023. Au menu de cette loi, des avancées majeures pour durcir la réponse pénale face aux violences : peines aggravées en cas d’agression ou de vol dans un établissement de soins, création d’un délit d’outrage sur les professionnels de santé, procédure de dépôt de plainte facilitée permettant aux employeurs de porter plainte au nom du soignant et de protéger leur adresse personnelle. « Mais encore faut-il que les plaintes soient réceptionnées », déplore Nicole Veschi, militante engagée depuis toujours. Cette praticienne s’est vu proposer par la police de faire une simple main courante, au motif que le message reçu : « Je vais te crever » ne signifiait pas : « Je veux te tuer ». « Comment voulez-vous que les médecins se sentent protégés ? » s’indigne-t-elle.
Des mesures d’accompagnement en manque de décrets
Dès 2023, le Gouvernement avait promis des mesures concrètes pour septembre 2025. Et notamment un plan de 42 mesures pour prévenir les violences, instaurer un environnement apaisé et accompagner les victimes. Présentées par Agnès Firmin-Le Bodo en 2023, alors ministre déléguée à la santé, les mesures étaient organisées selon 3 axes : sensibiliser le public et former les soignants, prévenir les violences et sécuriser l'exercice, déclarer les violences et accompagner les victimes. Ce sont les procédures de mise en application de ces volets qui risquent de se faire attendre, faute de décrets.
Pas de décrets sans gouvernement
Avec un nouveau remaniement ministériel à la date de bouclage de ce numéro, difficile de dire quand pourraient être publiés les décrets nécessaires à l’application de certaines dispositions. « Le projet de décret concernant la possibilité pour les ordres professionnels de déposer plainte – au nom d'un professionnel de santé libéral – a fait l’objet de discussion entre les ordres de santé et le Ministère, mais au regard de la situation politique actuelle, nous ne pouvons nous prononcer sur un décret de publication », précise Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire de la sécurité des médecins. « De même, l’organisation pratique du recueil du consentement écrit de la victime pour le dépôt de plainte par l’employeur ou l’ordre, ainsi que la définition des situations où cette possibilité est exclue, sera déterminée par décret. »
En attendant, la violence continue de nourrir la désertion médicale. « Ne pas protéger les médecins, c’est aussi encourager les déserts médicaux », conclut-il.
La formation en question : devrait-on former les étudiants en médecine à la prévention de la violence ?Apprendre à annoncer un diagnostic difficile, à adopter une posture éthique… Ces points entrent peu à peu au programme des études de médecine. Mais toutes les générations de médecins sont d’accord : le cursus initial ne les forme pas à éviter ou gérer des situations de violence. Or, comme le rappelle Delphine Capdevielle, cheffe du pôle psychiatrie au CHU de Montpellier, « La violence qui fait peur, c’est celle qui est inattendue. » Emelyne T., spécialiste à Rouen, se rappelle avoir appris sur le tas à gérer des situations difficiles, des patients acariâtres ; elle se souvient d’avoir observé en stage, de s’être même dit : « Je n’aurais pas fait comme cela » et, arrivée elle-même dans une situation similaire, de « ne pas avoir fait mieux. » Ainsi il pourrait s’avérer utile d’intégrer ce genre de situation dans les ECOS. Accueil, écoute active et gestion des émotions en situation tendue seraient les bienvenus dans le cursus initial ! Car pour l’heure, c’est plutôt une fois en poste que les équipes sont formées, et particulièrement en psychiatrie où le personnel doit apprendre à anticiper ou s’adapter à des comportements potentiellement plus explosifs qu’ailleurs. À noter qu’à Montpellier, depuis 3 ans, l’hôpital a mis en place des sessions de désescalade avec la méthode Oméga : des techniques efficaces visant à adopter des postures physiques et verbales adaptées pour apaiser les tensions. Mais seulement 2 personnes sont formées chaque année… |