« C’est un drame existentiel d’être médecin »

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Entretien avec le Pr Eric Galam, spécialiste de la détresse psychologique chez les soignants

« C’est un drame existentiel d’être médecin »

Entre le suicide d'un cardiologue à l'hôpital Pompidou et les résultats alarmants d'une étude internationale sur la dépression chez les internes, l’actualité a remis en lumière la question de la détresse psychologique des médecins. Eric Galam, professeur de médecine générale, médecin coordonnateur de l’Association d’aide aux professionnels de santé et médecins libéraux (AAPML), et initiateur d’un DIU « Soigner les soignants », nous parle d'un métier trop souvent exercé sur le fil de la corde.

 

What’s up Doc : Les médecins sont-ils particulièrement sujets à la détresse psychologique ?

Pr Eric Galam : Si vous êtes un médecin entre 30 et 65 ans, vous avez deux fois plus de chance de mourir par suicide (d’après une des rares études françaises sur la question, réalisée en 2003 dans le Vaucluse, ndlr). Une des raisons à ça, c’est qu’ils savent comment se suicider. Difficile de dire si les médecins sont plus ou moins fragiles, mais ils sont plus blindés. Ce qui explique que c’est plus grave quand ils basculent.

WUD : Existe-t-il un profil psychologique propre aux médecins ?  

EG : Pour devenir médecin, il y a tout un parcours qu’on appelle un « curriculum caché » (programme d’étude implicite, ndlr), qui véhicule des normes comme : un médecin n’a pas d’émotions, un médecin ne se trompe pas, il respecte la hiérarchie... Ce sont des éléments importants, peut-être pas de la psychologie, mais de la culture du médecin.

WUD : Les médecins les plus investis dans l’aspect humain sont-ils plus vulnérables ?

EG : Pour moi, le soin est la quintessence de la médecine, mais c’est aussi la dimension la plus difficile. On se blinde. Mais si on devient trop blindé alors on n’est plus humain, donc on a tout perdu. C’est un drame existentiel d’être médecin: il faut faire en sorte de ne pas être humain, tout en le restant, tout en ne l’étant pas trop…

WUD : La relation à l’autre est-elle abordée dans la formation ?

EG : Pas du tout ! L’un des autres aspects du curriculum caché c’est qu’on n’en parle pas : ni comme médecin, ni dans la formation. Tout le monde sait que c’est important mais en parler est, quelque part, une transgression.

WUD : Comment faire pour améliorer les choses ?

EG : L’organisation du temps travail des médecins, notamment des internes, est un scandale impressionnant. Un médecin peut travailler 70 heures par semaine, 30 heures d’affilée, sans avoir la possibilité de se plaindre. Le médecin est forcément dans le non-droit parce qu’il a un travail un peu métaphysique, mais il a besoin de dormir, d’être respecté, de pouvoir exprimer son désaccord. Le temps de travail des médecins devrait se rapprocher un peu du droit commun.

WUD : A titre individuel, que faire si l’on se sent sur la mauvaise pente ?

EG : Il faut savoir être un peu bienveillant vis-à-vis de soi-même, se reposer, s’accorder du temps de loisir. Se dire que même si c’est magnifique d’être médecin, on n’est pas que médecin. En libéral, on peut aussi organiser son travail pour ne pas être harassé par un millier de rendez-vous, déléguer la gestion. Et en cas de détresse psychologique, on peut aller voir le psychologue de la fac, un psy qu’on connaît ou consulter un médecin traitant. il existe aussi des dispositifs d’alerte, comme le numéro vert de l’AAPML (0826 004 580), ouvert 7j/7 et 24h/24.

Source:

Yvan Pandelé

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