Burn-out à l'hôpital : « Pour tout médecin, se penser tout-puissant mène à la faillite »

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Philippe Nuss, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris, nous rappelle que le burn-out demeure une notion complexe qui ne peut se contenter de réponses simplistes. Pour lui, la meilleure des préventions réside dans la construction de « trames narratives » collectives entre soignants. Interview.

Burn-out à l'hôpital : « Pour tout médecin, se penser tout-puissant mène à la faillite »

 Whats's Up Doc : A force de le voir mentionné à toutes les sauces, on ne sait plus très bien comment cerner le burn-out. De quoi parle-t-on ?
 
PN : Certaines définitions du burn-out font implicitement référence à une diminution de la résilience. Par analogie avec celle du métal qui a un certain degré de flexibilité avant de se fissurer, le burn-out apparaîtrait quand cette adaptabilité serait dépassée. Mais ce modèle théorique distingue mal le burn-out du trouble de l’adaptation. L’expérience personnelle du médecin en burn-out, notamment l’assèchement affectif, le cynisme, la démotivation, le vécu d’échec et d’obsolescence, ou encore la perte de sens, sont essentiels au diagnostic. On observe dans le burn-out la fréquence des conflits entre valeurs personnelles, professionnelles et leur possibilité de mise en œuvre au travail. Défini souvent de façon générique comme un ressenti subjectif d’épuisement au travail, le burn-out est discuté comme entité nosographique autonome, certains le rapprochant de la dépression, dont il se distingue néanmoins. La perte d’efficience, le coût du présentéisme/absentéisme et surtout le risque majeur d’erreur professionnelle, parfois plus que la notion de souffrance personnelle, ont obligé les institutions à se pencher sur ce « ressenti subjectif » si problématique.
 
WUD : Comment expliquer le malaise qui semble frapper aujourd'hui l'hôpital ?
 
PN : Beaucoup d’études ont pu montrer que la fonction soignante est, en tant que telle, rarement la cause du burn-out. Au contraire, sa capacité de mise en œuvre est considérée comme protectrice. En revanche, les médecins décrivent les contraintes institutionnelles, réglementaires ou les conditions d’exercice comme susceptibles de générer du burn-out. Par exemple, le fait de tourner le dos au malade pour remplir un dossier, dont le temps de remplissage dépasse celui de la clinique, avoir recours à des référentiels qui collent mal avec la complexité clinique et sociale des situations rencontrées, tout cela est décrit comme problématique, vide de sens. Lors de l'épidémie de Covid-19, malgré la quantité importante de travail et du stress, on a observé l’effet protecteur de la possibilité d’exercer médicalement son métier de médecin. Peu de contraintes administratives et une collégialité forte : c'était une éclaircie de courte durée ! Toutefois, certains soignants, surtout exécutants comme les internes, par exemple, ont vécu cette période comme peu stimulante et peu responsabilisante...
 
WUD : Face à l'épuisement professionnel, à la perte de sens, comment se protéger et prévenir ?
 
PN : Je crois que faire venir des coachs ou réaliser des mini-vidéos pour « apprendre » au corps médical à mieux définir ses priorités ou éviter l’investissement émotionnel ne sert pas à grande chose. Il s'agit plus de happening que de prévention ou de soin. Ce qui est primordial est de favoriser des activités professionnelles susceptibles de s’inscrire dans une trame narrative tant personnelle qu’institutionnelle. Toutes les stratégies qui tendent à entraver cette implication narrative (comme, par exemple, évaluer principalement son investissement professionnel à l’aune du nombre de lits à remplir ou à vider, résumer son activité clinique à sa traçabilité, ou encore travailler avec des équipes sans cesse renouvelées) peuvent favoriser le burn-out. Votre seul interlocuteur ne peut pas être l'ordinateur et les smiley distribués par les administrations ! La clinique Mayo a ainsi développé des carrefours institutionnels narratifs de soin et de sens qui se sont révélés très efficaces.
 
WUD : Restaurer les trames narratives, concrètement, qu'est-ce que ça signifie ?
 
PN : Je me souviens d'une équipe en réa confrontée à l'irruption de maladies nosocomiales. Un expert arrive, interroge et tout le monde se sent sur la sellette : il faut trouver des coupables. Aucune trame ne peut se construire, l'expert semble être présent pour dénoncer. Malgré un rapport circonstancié, rien n’y fait, les infections nosocomiales persistent. En désespoir de cause, on appelle le psychiatre. Il s’avère alors qu'en écoutant les personnels parler de leur métier que, d’une part, chacun a l’idée que son implication est forte et ne peut à ce titre générer de problème, un peu comme si elle était antiseptique en soi. D’autre part, même si elle est rigoureuse à l'échelle individuelle, la pratique du soin ne se révèle pas assez uniformisée au sein de l’équipe pour éviter des ruptures de pratiques lors du passage d’une équipe à l’autre. Praxis et doxa doivent s’intégrer dans un vivre ensemble valorisé par un temps institutionnellement dédié, par exemple au moment des transmissions.
 
WUD : Comment se reconstruit-on après un burn-out ?
 
PN : Pas tout seul déjà ! Pour tout médecin, se penser tout-puissant mène à la faillite. Il s'agit donc de prendre le temps d’identifier ses lieux intérieurs de fragilité et de les envisager dans leur complexité. En effet, ces lieux sont aussi des lieux d’excellence : méticulosité, dévouement, précaution, etc. On observe chez ceux qui vont souffrir de burn-out, et avant qu’il ne se développe complètement, une tendance à sur-déterminer le recours à ces « modalités fragiles » de pratique soignante, comme le sentiment de se sentir illégitime dans sa pratique. Cela est fréquemment retrouvé chez les internes et doit alerter les seniors et l’institution. Un modèle résilient est celui où le soignant est en situation de pouvoir apprendre et constater en même temps, et sans crainte, que le réalité clinique et biologique résiste à l’universalité supposée de son savoir. On retrouve chez les plus résilients une tolérance à l'insécurité provoquée par l’analyse clinique objective et rigoureuse. Il faut dire que lors des études, la formation décontextualisée et binaire des QCM insécurise souvent les médecins et ne les prépare pas à cette combinatoire savoir/étonnement/décision pourtant essentielle à l’exercice médical.
 
Avec plusieurs autres chercheurs, Philippe Nuss a publié en mai 2020 dans Frontiers in Psychiatry une étude portant sur les facteurs associés au burn-out chez les psychiatres en France : Factors Associated With a Higher Score of Burnout in a Population of 860 French Psychiatrists.

Réalisé avec le soutien de la mnh.fr/mediceo
 

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