Anne Lécu : médecin carcéral, philosophe et… religieuse

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Sous la blouse, le rosaire

Anne Lécu : médecin carcéral, philosophe et… religieuse

Anne Lécu a récemment fait paraître un livre intitulé Le secret médical, que la rédaction avait chroniqué. Nous avons voulu rencontrer cette généraliste qui exerce en centre de détention, et qui est, accessoirement, religieuse dominicaine.

What’s up Doc. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Anne Lécu. Cela fait vingt ans que je travaille à Fleury-Mérogis à mi-temps comme praticien hospitalier. J’ai fait quatre ans à la maison d’arrêt des hommes et les seize autres à la maison d’arrêt des femmes.

WUD. Pourquoi avoir choisi les femmes ?

AL. J’ai tout simplement répondu à l’ouverture d’un poste de PH (rires). Et puis les femmes sont plus demandeuses de soins, on les voit donc plus souvent et on les connaît mieux. C’est plus sécurisant d’un point de vue médical, on risque moins de passer à côté de quelque chose.

WUD.  Est-ce le cadre carcéral qui vous a poussée à écrire sur le secret médical, sujet de votre dernier ouvrage ?  

AL.  Mon travail sur le secret médical fait en quelque sorte suite à la thèse que j’ai écrite à la fin de mon master de philosophie : La prison, un lieu de soin ?. La prison est un poste d’observation assez particulier : elle met en lumière des phénomènes qui semblent évidents dans un environnement carcéral, mais qui ne sont pas forcément visibles ailleurs. C’est un filtre pour comprendre ce qui se passe dans la société. Dans le milieu carcéral, la question du secret est majeure. Cela veut peut-être dire qu’elle est majeure ailleurs aussi, mais qu’on la voit moins.

WUD. En prison, le secret médical est donc un sujet sensible ?

AL.  C’est un sujet important. Les médecins sont régulièrement sollicités soit par des détenus qui demandent à ce que l’on notifie leur avocat de leur état de santé, soit par le personnel carcéral, parfois démuni, qui demande au praticien si tel ou tel détenu est dangereux, suicidaire, ou vulnérable. J’ai appris en prison que le secret, ce n’est pas seulement taire des choses que l’on sait. C’est aussi fermer les yeux sur ce qui ne me concerne pas, et notamment sur le motif d’incarcération.

WUD. Vous ne nous en avez pas vraiment parlé, mais vous êtes aussi sœur dominicaine…

AL. (Rires.) Oui, je n’en parle pas beaucoup, je ne crois pas que mon statut de religieuse influe particulièrement sur ma pratique médicale. Le seul bonus professionnel que cela a pu m’apporter concerne mes études de philosophie et de théologie. J’ai en effet une idée assez claire de l’origine du secret médical : il est, en droit français en tous cas, très imprégné par ce que fut et ce qu’est encore aujourd’hui le secret professionnel des confesseurs. Nous pensons être héritiers du secret médical d’Hippocrate, mais celui-ci a été oublié durant environ douze siècles.

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Propos recueillis par Johana Hallmann

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